Mais, tu comprends, je n’avais d’yeux que pour l’autre qui attirait toute l’attention à  lui –, Aymar sur son tabouret, à sa place habituelle, et comme d’habitude tourné face à la rue ; puis Roméo, à la gauche d’Aymar, qui était penché sur ma table où il posait mon petit déjeuner et qui donc tournait le dos à Corto... Voilà donc la scène, le décor ; le décor dans lequel j’entre, attiré tout de suite par le type et marquant un temps d’arrêt, puis me remettant en marche sans quitter le type des yeux vers qui j’allais et voyant tout à coup deux énormes mains se lever et filer en direction de son cou qu’elles se sont mises à serrer. À serrer, mon vieux ! et s’il n’y avait que ça ! car il ne se contentait pas de serrer, Aymar, il secouait aussi, secouait le type qui entre ses battoirs n’était plus qu’une pauvre loque, et tout en serrant et en le secouant – on n’en voyait plus que du flou tellement il l’agitait ! –, il beuglait, Aymar... Ah, tu aurais dû l’entendre, je n’en revenais pas ! “ Espèce d’ordure, de salaud, de bougre de salopard ! tu vas voir, petit fumier de merde ! vieille saloperie, raclure de chiotte ! pourriture immonde, dégueulasse ! ah, nom de Dieu, et il ose revenir ici, ce fils de pute ! il ose remontrer sa face de crevure, de vieille charogne, sa face de trou du cul, de ramassis de merde ! tu vas voir comme je vais arranger ta sale petite gueule d’ordure, de fumier, de traîne-la-chiasse, de... ” et le reste à l’avenant, tant et plus, ça n’en finissait plus, et le type qui bleuissait, et Roméo et moi comme deux ronds de flan, qui n’en revenions pas, ne pensions même pas à bouger tellement c’était incroyable...