Lorsque, il y a trois jours, on lui a passé par téléphone une grosse commande de plats divers – parmi les plus chers et les plus rares de sa boutique – qu’une voix grave et posée lui a égrenés d’un ton de suffisance en partie simulée, il n’y a pas cru ; il a feint d’acquiescer, a promis exactitude et célérité, a pris bonne note malgré tout du tout, machinalement, par pur réflexe professionnel, mais n’y a pas cru, et la fin de la communication a marqué dans son esprit celle de tout souvenir de cet appel qui ne pouvait être que le fait d’un farceur.

Aussi, lorsque le lendemain il a pris connaissance au courrier d’un chèque en bonne et due forme couvrant avec un excédent appréciable le montant de ladite commande, a-t-il été très embêté : la note gisait en boule quelque part au fin fond des poubelles de la veille ; et la réputation de la maison, ainsi que sa propre dignité de commerçant et d’homme, lui interdisaient de chercher à recontacter cet inconnu grand seigneur dont il pouvait, à juste titre, craindre alors le désistement...