Raymond se rase. La fenêtre est grande ouverte et, de temps à autre, entre deux coups de blaireau, il jette un coup d’œil au-dehors : sur le troisième étage de l’immeuble d’en face où le store est baissé ; sur la porte d’entrée du même immeuble d’où sort à l’instant un homme qui considère avec étonnement et répulsion un bout de tissu ayant toute l’apparence d’un mouchoir, un mouchoir qu’il tient pincé au bout de son bras droit tendu, et, l’espace de quelques secondes, Raymond suspend ses gestes et observe l’homme qui, immobile, examine la chose avant de la laisser choir dans le caniveau et de rebrousser chemin pour disparaître dans le hall de l’immeuble... Alors, Raymond retourne à ses gestes – la rotation du blaireau dans le bol de savon, l’application méthodique du savon sur son visage – tandis que derrière lui la porte s’ouvre et que surgissent trois petits Raymond aux boucles noires, trois petites copies conformes à figures de démons qui se mettent à glapir et à bondir tout en s’accrochant férocement à son maillot de corps en coton blanc.

« Oh, refais-nous Joe Cockère, papa ! »

Ses doigts se crispent et son corps se raidit. Et de la mousse où se cache à moitié son visage, fusent les premières mesures de Cry me a River, surcroît de poussière sur le maigre de sa mémoire...