Pourtant, elle – l’épouse – n’était pas partie sans rien laisser, car, en plus de son dernier soupir, elle lui avait confié un fils, son fils, leur fils, qu’à tout hasard elle avait doublé, afin qu’il ne se sente pas lésé et qu’il n’ait pas un jour à regretter de n’avoir qu’un seul fils à regarder.
Mais depuis peu, il – l’époux – ne regarde plus son fils, leur fils, leurs fils uniques, Philippe et Jacques, qui depuis sa mort – leur père – viennent chaque semaine voir Jacqueline à l’heure du repas.
Ils viennent et ne disent rien, ne l’embrassent même pas ; attendent qu’elle rapproche les sièges Louis XVI et les colle en bout de table, où ils vont venir s’asseoir, l’un à côté de l’autre, Philippe à droite et Jacques à gauche, tous deux immobiles et silencieux, les mains sur les cuisses et le regard agité qui suit les mouvements lents, de plus en plus lents, de Jacqueline qui grignote son repas, à l’autre bout de la table, en les regardant tous deux, eux qui attendent qu’elle finisse son repas, moment où elle se lève et les reconduit à la porte, Philippe et Jacques qui n’auront rien dit, comme ils ne diront rien la semaine suivante lorsqu’ils reviendront s’asseoir en bout de table et regarderont mémé manger, grignoter son repas, dans l’attente patiente qu’elle crève, vu que c’est elle qui détient toute l’oseille...