Cela avait commencé devant la télé alors qu’ils regardaient Rencontres du troisième type. Lui l’avait déjà vu quatre fois et elle quatre fois aussi (toujours ils voyaient les films ensemble), mais en vérité, elle ne l’avait jamais vu car, ainsi qu’une maladie, elle perdait tout souvenir des films qu’elle voyait (mais pareillement pour les livres – qu’elle avait cessé de lire après s’être essayée, et avant de s’y accrocher définitivement, aux romans-photos dont il lui reprochait souvent la lecture : « À quoi ça sert que je lise puisque je ne me souviens de rien ? », et ce mélange de candeur et de lucidité l’avait proprement sidéré –, les livres et les gens, les gens et les faits qui tous, à quelques exceptions près, lui sortaient inéluctablement de la mémoire).

Si tant est qu’ils y soient jamais entrés... et en fait, je crois bien qu’ils n’y entrent pas : ils ne font que glisser. Aussi, il s’agit en rien d’une amnésie, ou d’une quelconque forme maladive pouvant s’apparenter à l’amnésie, mais bien plutôt d’un filtre, d’un tamis, qui ne laisserait pénétrer que ce qu’elle jugerait utile à l’alimentation de sa pensée secrète et intérieure, pensée ne devant pas être pris ici dans son sens global mais dans son sens unitaire : il s’agit d’une seule et unique pensée qui la comblerait toute, ne laissant de place que pour quelques interstices ou vacuoles nécessaires à l’engrangement de temps à autre d’une information ou deux indispensables à la survie de l’ensemble...