Le patron du petit bar, le Turandot, a une allure de ténor qui aurait mal tourné ; qui, faute de réelles capacités à tenir convenablement le rôle de Don Ottavio et de Manrico, se serait converti à celui de bistrotier. Ce qu’il est, même s’il s’en défend, ne veut même pas y penser, même si l’intérieur de son bar, décoré, comme il se doit, de portraits de ténors et de divas célèbres, est très bellement loculaire – d’authentiques loges remplacent les traditionnels boxes –, même si son apparence est digne de l’éphébie et son corps propre à recevoir de multiples lèvres avides d’en faire l’arpentage.
Il n’aime pas les bureaucrates, ses habituels clients, et moins cette tête de plâtrier qui, chaque semaine, se pose à la terrasse de son bar, la casquette rejetée en arrière et le corps enduit de cette abominable substance blanche qui, lorsqu’il marche, semble le précéder comme la varve des grands glaciers. Il le sert cependant, avec gentillesse, affabilité, prévenance et spontanéité, mais, au fil des semaines, son irritation ne fait qu’augmenter, empirer, et lorsqu’il voit ce jour-là la main blanche se lever et venir toquer à la vitre pour une autre commande, il lui prend la soudaine envie de sabotages et d’attentats ; puis d’apocalypses et de chaos lorsqu’une troisième fois le masque blanc se retourne et cogne à la baie ; et enfin d’un anéantissement total – si total que même la tranquille hémitropie des gypses n’en pourrait sortir inaltérée – quand pour la quatrième fois se dresse le bras, comme maniaque et provocateur...