Mais ce soir-là, rien de tout cela, car lorsqu’il pousse la porte du bar, bondé comme à l’accoutumée, il n’entend ni voix, ni rires, ni exclamations, et ne voit nulle agitation ou animation : tout le monde est coi et immobile, tout le monde écoute et fixe Roméo qui, planté derrière son comptoir torchon sur l’épaule, entonne de sa voix vibrante de ténor le refrain de La Javanaise a capella...

Ainsi, pour la première fois, l’entrée de Charles est passée totalement inaperçue. Sauf pour Joseph : Joseph n’écoute pas, a l’œil sur la rue et, perché sur son tabouret, le voit s’approcher et entrer ; et aussitôt s’écrie :

« Ah, monsieur Charles ! »

Comme une vague, de brefs murmures de réprobation  passent, tandis que Charles avance en direction du comptoir, raide, secret et fermé, avec juste ce qu’il faut de soulèvement de la commissure pour indiquer à l’autre que sa présence, et peut-être même sa compagnie, ne lui seront pas forcément désagréables...