– Oui, de l’envie ! Comme si j’étais je ne sais quel personnage extraordinaire chu tout à coup au milieu d’un lot d’analphabètes dont la souffrance première serait la misère intellectuelle, et alors leur regard crierait : “ quelle chance il a, ce type, de savoir lire ! ” et d’un autre côté – et je me demande dans quelle mesure les deux ne sont pas liés –, il y a de la désapprobation, voire même de l’opprobre, comme si cette fois ces yeux disaient : “ mais pour qui il se prend ce type, avec son bouquin ? est-ce qu’on lit, nous ? ”... Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais cherché – ou jamais osé ! – à vérifier, et jamais je n’ai accordé un seul regard aux gens qui m’entouraient : j’entre, je m’assois, je sors mon bouquin, je lis, je le referme, je le range, je me lève, je sors : je pourrais tout aussi bien être seul dans le compartiment.
– Et ce n’est pas le cas.
– Ce n’est pas le cas, loin de là. Et si je sens tous les regards posés sur moi, je veux dire toutes les personnes autour de moi qui sont en mesure et en position de me voir lire, tu te doutes bien que les plus présents, les plus pesants, sont ceux de mes voisins immédiats, ceux assis à côté de moi... Ah, ceux-là ! je ne te raconte pas ! Ce sont bien les pires, car eux, à la différence des autres, peuvent en plus partager ma lecture. Tu imagines sans peine mon malaise...