Pourtant, si effectivement Alexandre était plongé dans les tribulations d’un dossier préoccupant (dont il ne savait encore quel bénéfice tirer), si Bernadette songeait à un chef de bureau affriolant (c’est-à-dire à mine d’esthète et d’artiste ratés), si Claude repoussait avec peine quelques rimes concassées (desquelles son propre fils n’était toutefois pas absent), Ella, elle, en revanche, pleurait... En effet, Ella pleurait ; pleurait doucement, certes, et en silence, mais elle pleurait : toutes les fibres en elle s’étaient réunies et s’agitaient, et deux longs filets minces au débit sage et discret lui maculaient les joues ; deux longues coulées de larmes chaudes que la loi d’inertie en vigueur à ce moment-là l’empêchaient d’effacer, mais qu’elles n’avaient pas moins puisées au fond d’elle-même, au plus profond de son être, là où toute la maternité du monde se trouvait concentrée et qui, présentement, murmurait : où es-tu, mon petit Rodrigue ? disait-elle, c’est moi ta mère, disait-elle, je t’en supplie, mon petit, disait-elle, réponds-moi, disait-elle... petite voix torturée et affaiblie qui était très loin de s’imaginer qu’il lui aurait peut-être suffi de se manifester hors le corps pour offrir à son désarroi et à sa détresse quelque réconfort ; ou même – mais dans ce cas toute la puissance et la dynamique de l’organe aurait été nécessaire – quelque réponse, une seule et unique réponse qui d’un endroit proche serait provenue, à savoir du second étage de la maison du numéro 25 où Rodrigue, en compagnie de son copain Gérard, malmenait un joystick face à un écran de téléviseur où il se trouvait aux prises avec des monstres vidéophages et en butte à des trappes ouvrant sur des puits au fond infini...