Ça y est, il a un pied sur le trottoir ; il est à deux pas d’eux, il pourrait les toucher. Mais à présent qu’il y est, il doit continuer ; et en effet, il continue, avance, sans ralentir son allure ; avance avec l’impression de ne pas bouger, tout en se voyant remonter à toutes jambes la rue en direction de son immeuble ; mais il est encore loin d’y être parvenu ; en est seulement à effectuer son deuxième pas, en cherchant la décontraction, en s’efforçant de conférer à son allure générale toute l’apparence du naturel, en se demandant même si dans une telle situation il ne serait pas judicieux de siffloter, voire même de leur lancer au passage un coup d’œil machinal et bonhomme (et pourquoi pas amusé, et pourquoi pas agrémenté d’un bonsoir) comme le ferait certainement n’importe quelle personne qui rentre tranquillement chez elle... Et puis il amorce le troisième, le troisième qui, effectivement cette fois, l’amène tout près d’eux. Il y a un mètre à peine entre le caniveau et le petit groupe qu’ils forment, et c’est dans ce couloir qu’il va devoir passer, c’est-à-dire les frôler, voire même les effleurer. Y a-t-il moyen de les éviter ? Oui, en se déportant sur la droite, c’est-à-dire dans le caniveau. Mais est-ce bien naturel ? Ne serait-ce pas justement le moyen d’attirer leur attention alors que pour l’instant ils ne font que rire, semblent même ne pas l’avoir vu, ne pas avoir remarqué sa présence ?...