Roland est un jeune homme réservé, voire timoré. Il n’aime guère sortir la nuit, comme il n’aime pas trop, a fortiori, ce genre de rencontres, et de les avoir vus soudainement surgir du foyer – alors qu’il était déjà bien engagé sur la chaussée –, hilares, tapageurs, insolents, l’a tendu, contracté, a instantanément distillé en lui de la peur, et s’il n’a pas bifurqué, ou n’est pas revenu sur ses pas, c’est qu’il s’est souvenu du premier adage du craintif : ne jamais montrer sa peur, ne jamais laisser soupçonner – par un geste, un regard, une attitude – qu’ils ont en face d’eux une victime en puissance, une proie facile... Aussi il a poursuivi son chemin, bravement peut-on dire, jusqu’à ce point précis, bout de sa trajectoire, où tous trois, comme un fait exprès, s’étaient arrêtés. Point précis où il s’imagine déjà étendu et à demi inconscient, perdant son sang et allégé de son portefeuille et de quelques dents ; point qu’il atteint enfin et foule, le corps privé de souffle, le cœur battant malgré tout, l’œil rivé à l’enseigne lumineuse de l’hôtel qu’il s’est juré, quoi qu’il arrive, de ne pas quitter...