Tous les ans, en ce même jour, chacun et chacune s’attend à ce qu’elle en prenne connaissance sur-le-champ et, avec la mine sérieuse et émue appropriée, lui fasse profiter de ses talents (ne serait-ce que sous la forme d’une seule note, qu’importe du moment qu’on l’entende et que l’on puisse après la féliciter des mains). Mais elle n’en fait rien, et chacun et chacune n’a plus d’autre ressource que d’acquiescer de la tête aux propos de Bertille qui loue ses dons et sa précocité tout en regrettant sa grande timidité.
Mais Bertille ment. Cécile n’est en rien timide et, de quelque point où l’on ait pu se trouver – dans la rue et dans la maison aussi bien –, jamais on n’a entendu la moindre note de musique sortir de la chambre de sa fille.
Ce n’est pourtant pas faute de les manier et de les manipuler, de les porter à sa bouche ou de les coincer sous son menton, entre ses cuisses ou contre son ventre : la trompette ou le bugle dont elle a soudé les pistons ; la flûte, dont elle a bouché les trous ou collé les touches ; la guitare ou le violon, dont elle a comblé la caisse.
Car si Cécile adore les instruments, elle a la musique en horreur, et son seul souci est de reproduire les gestes et les attitudes d’êtres à qui elle confère le silence pour mieux les voir mourir...