Si elle ne l’a pas reconnu tout de suite, c’est en premier lieu à cause de sa position contre le battant, lové, replié, enroulé, recroquevillé, le visage enfoui dans l’encoignure du seuil et de la porte. Puis – mais elle s’était déjà faite une petite idée à la vue de sa tenue (le short trop grand de deux ou trois tailles, cette espèce de tricot ample, lâche et souillé, les brodequins d’un autre âge qui manifestement ont vécu) – à cause du visage qui, une fois découvert – à force d’insistance de sa part, de tractions et de caresses qui ont fini par obliger cette tête têtue à se relever et à pivoter en sa direction –, n’a pas révélé une identité, mais avant tout un masque d’affliction et de tuméfaction.
C’est impressionnant, et sa première réaction est un mouvement de recul avant qu’elle ne puisse effectivement mettre un nom sur ce visage démoli et un visage à ce corps secoué de convulsions.
« Oh, mon pauvre Bruno ! »
Démoli, le mot lui a traversé l’esprit, prélevé de cette éternelle expression qui, à l’instar du plomb que l’on met dans la tête, ou des reins que l’on casse, est cette petite note de raffinement indispensable au bon fonctionnement des rapports entre êtres humains, et notamment entre géniteurs et progéniture, et plus précisément ces graines de rien qui osent des écarts là où l’on se doit de ne voir que rectitude : je vais te démolir...