Dix-huit heures par jour, Agathe est morte pour ce monde. Mais les six autres heures également, puisque Marcel est mort, puisque cette maigre part de vie qui reste en elle, suffisante pour actionner ses doigts, n’est qu’un schéma réglé et régulé uniquement destiné à souligner la mort, à en grimer et à en rehausser l’habituelle apparence : c’est la mort qui bouge sous la forme d’une belle femme élégante. Et même si souvent, et par on en sait quel prodige, elle entre en accord avec le monde des autres (tel l’épisode du téléphone aux dépens de Nina), ce succédané de vie, d’animation, ne peut prendre aux yeux de sa progéniture que les traits d’une seconde mort : non la sienne ajoutée à celle de Marcel, mais bien celle de Marcel dont elle interprète chaque jour le coma à l’aide de notes et d’accès de fantaisie...

Marcel était pianiste, quoiqu’il ait toujours détesté et le piano et la musique ; et Nina se dit souvent que c’est ainsi, par-delà la mort, qu’il exprime toute sa gratitude et restitue à sa mère, entières et intactes, toutes ces années d’effort et de douleur, de souffrance en boucle et de constant labeur, qu’il aurait sans doute préféré vouer au jeu et à l’insouciance d’une enfance ordinaire... Cette explication, bien qu’un brin fantaisiste, en vaut bien une autre. C’est pourtant celle-là seule que Nina retient, car comment autrement expliquer un tel comportement chez une femme qui n’a jamais produit une seule note de musique auparavant ?...