« Écriture d’un moderne bon ton, d’une audace bon chic, d’un hardi de l’académisme contemporain ; type d’écriture qui singularise (mais en fait banalise) une flopée d’auteurs depuis une trentaine d’années, où l’auteur se regarde écrire, s’époustoufle et se pâme toutes les deux lignes devant une belle image qu’il a certainement la certitude de prendre pour l’amorce d’un bouleversement total de la littérature… » C’est ce que je t’avais écrit à propos de Clio dans les prés de Bory. J’ai eu la surprise de rencontrer cette écriture dans un bouquin de J. H. Rosny intitulé Les deux femmes et qui date de 1902... T’en avais-je parlé au moment de sa lecture ? Je ne sais plus, mais je m’étais dit que c’était une preuve de plus que la littérature dans son ensemble était un genre rouillé, arrêté depuis un siècle, grippé, tournant en roue libre – à la différence des autres formes d’expression qui se sont littéralement envolés en comparaison ; j’ai noté et développé ça quelque part, je vais tâcher de le retrouver. Les deux femmes, donc, à la « modernité » terrible et qui à l’époque devait au moins avoir valeur de nouveauté. Quoi qu’il en soit, on jurerait que ça a été écrit hier matin par je ne sais quel tâcheron du moment, preux d’Apostrophes, qui en sont encore et toujours à s’acharner à débrouiller les nœuds depuis belle lurette dénoués du lien filial, de la mère castratrice, du père réducteur (ou séducteur ?), de la sœur perturbée, de la grand-mère dominatrice (un peu juive, par exemple, et qui malgré tout fait de bonnes confitures), sans oublier la crise d’identité (pour les étrangers, principalement, mais il y a aussi les déracinés autochtones, du type moralité mal consommée), la maîtresse fatale, la première expérience sexuelle avec un bien plus âgé que soi, la peinture paysanne avec les couleurs qui chantent et les odeurs qui tachent la couverture. Que dire d’autre ?...
16 mai 1990 dans une lettre à Marcel