Cette oreille gauche ne se
retrouve en référence qu'une seule fois ailleurs, dans un seul autre livre. Dans
l'évangile apocryphe du pseudo-Matthieu. Mais cette fois, pour préciser que
c'est par là, par l'oreille gauche de la Vierge qu'a pénétré le message de
l'Ange. Ce message qui, maintenant nous le savons, est donc entré par l'oreille
gauche et a rejoint la veine creuse. Une veine dont on sait depuis que l'on
pratique, comme Rabelais, des dissections, qu'elle fait communiquer le sang du
cœur, au niveau de l'oreillette, avec le sang qui vient des jambes, de l'abdomen
et du bassin. Tout s'explique.
L'oreille, cet organe situé à la
racine des cheveux, qu'en peinture l'on cache sous un voile lorsqu'on désire
dire d'une femme représentée qu'elle est vierge.
L'oreille, cet organe donc,
situé à la racine des poils, par où on peut entendre, mais aussi par où l'on
doit s'entendre dans toute affaire de cœur.
Car il s'agit bien là d'une
affaire de cœur...
Car dans le cœur, c'est bien là
que circule le sang, que circule la vie. Au son de la diastole et de la systole,
le bruit du temps.
Et la vie voyage de l'Oreillette
au Ventricule. Tendre métamorphose des mots d'un bien poète anatomiste.
Ce n'est pas par hasard sans
doute qu'il en va de même dans la langue allemande, dans la langue de ces
luthériens, dans laquelle l'oreillette se dit « der Vorhof », c'est-à-dire le
perron sur lequel les romanciers placent toujours le soupirant, le perron sous
le balcon de la dame. Mais der Hof, c'est aussi la cour, comme en français, et
« der VorHof », le préliminaire. Quant à l'autre, le ventricule, il se dit « die
Kammer », qui est la chambre dans son sens large, mais presque toujours la
chambre à coucher. Et on relèvera que « Kammer » vient de « der Kamm », qui est
le peigne, faisant de cette chambre aussi le peignoir, l'endroit où l'on peigne
ses cheveux, où l'on se prépare pour la nuit, où l'on se prépare pour l'Autre.
Ce même peigne que l'on
retrouvera dans l'entourage de la vierge, dans l'entourage de Marie, à l'époque
de l'Annonciation, où la Confrérie des Pecteurs de Jacques fabriquait justement
ces Carrés de laine bleue destinés à couvrir les corps de ces jeunes filles
nubiles lorsqu'elles servaient au Temple, comme le fit Marie, jusqu'à ce
qu'elles aient leurs « règles ». Ces tisserands dont l'outil de travail pour
peigner la laine, le « pectiné », fut repris en anatomie, déjà à l'époque de
Rabelais, pour désigner exactement le mouvement du désir.
Car le pectiné, c'est le nom qui désigne dans le corps humain, et suivant son exacte définition, par rapport à son « plan sagittal », c'est-à-dire celui par où passent les flèches qu'on lui envoie, c'est le nom qui désigne le muscle rotateur externe des cuisses !
Alors, ces cuisses de la
femme qui rêve, M. Ange va les révéler. Le Carré Bleu qui couvrira la moitié
inférieure du corps de la Vierge de la fresque, le Carré bleu, destiné
initialement à occulter le corps, et qui est ici significativement le seul
vêtement de tous les personnages de toute la chapelle que M. Ange aura peint
transparent.