Je referme la porte d’entrée en soufflant : « Ouf, me voilà tranquille pour un jour ou deux. » Mais l’on sonne. C’est Romero. Il a un costume clair, une chemise blanche, cravate ; il s’est rasé, coupé les cheveux, parle un très bon français. Je m’apprête à pester, puis décide d’accepter la situation. Derrière lui apparaissent alors Laura et Pablo. C’est la maison de ma mère, plain-pied. Tout est sens dessus dessous. Il y a des flaques de lait et d’eau à terre, et des traces importantes de quelque chose qui serait entre merde et chocolat. Ça ne sent pas, mais j’hésite à y goûter. Dehors, s’étend un grand jardin à l’image d’un petit parc. C’est vallonné, creusé, il y a de grosses mares d’eau ; mais j’ai mes bottes Aigle et je peux sans dommage les traverser… C’est une maison que je viens d’acheter. J’y suis depuis trois ou quatre jours. Auparavant y habitait une fille dont je ne sais rien. Je prends un bain au rez-de-chaussée ; la porte d’entrée est à moitié ouverte, donne sur un passage qui lui-même donne sur la rue. De ma place, dans le bain, je vois les maisons sur le trottoir opposé. J’entends des bruits dans la rue, puis des voix. Des jeunes passent et je me dépêche de me laver au cas où, en voyant la porte ouverte, il leur prendrait l’envie de s’approcher et d’entrer. Je sors du bain en faisant en sorte que l’on ne puisse me voir des maisons à l’opposé, me drape d’une serviette de bain. J’entends alors une voix, un homme, qui s’approche et entre. Il demande si untelle est là ; il dit un prénom de fille que je ne connais pas. Je dis non ; il est entré, regarde autour de lui, m’ignore totalement. Apparaît alors le visage d’Adolphe à la vitre de la porte. Je suis soulagé de voir quelqu’un que je connais, même si c’est lui. Nous nous serrons la main, échangeons quelques paroles et, en me retournant, je m’aperçois que le rez-de-chaussée est occupé par une cinquantaine de personnes. Certaines se servent dans le frigo, d’autres sont assises sur le lit et fument. Il y a de la musique. Je me demande comment je vais pouvoir dormir dans cette atmosphère enfumée, me demande aussi comment je vais me débarrasser de toutes ces personnes qui, manifestement, ont l’habitude de se retrouver dans ce lieu. À un moment donné, j’entends une fille dire à un garçon : « Demande à Guy, Guy Grudzien ! » Elle me désigne d’un geste vague, puis vient dans ma direction. « Demander quoi à Guy ? » lui dis-je. « Les dialogues. » « Quels dialogues ? » « Les dialogues dans vos préfaces ! » « Les dialogues dans mes préfaces ? » Je souris. Quelqu’un l’a entendu et rit tandis qu’elle s’éloigne. Il le répète, quelqu’un d’autre l’entend et le répète à quelqu’un d’autre, « les dialogues dans mes préfaces ». Puis je parle à quelqu’un qui me dit que ça sera toujours comme ça, cette maison est un lieu de fête, ou pour le moins de réunion. « Je verrouillerai les portes. » « Ils ont les clefs. » « Je changerai les serrures. » « Ils les feront sauter. » « J’appellerai les flics. » « Tu passeras un mauvais quart d’heure. » En réalité, il y a un étage et je me dis que je pourrai toujours m’y installer. « Après tout, je n’ai pas besoin de beaucoup d’espace pour vivre. » Cet étage a une entrée séparée (mais s’ils ont les clefs et l’investissent aussi ?)