Fatigue. Je lis Pepys, ai un mal fou à garder les yeux ouverts, brume de mes pensées qui, au bout de quelques secondes, se délitent complètement. De nombreuses choses que je voudrais relever à propos de cette lecture partent en fumée aussitôt que j’y fixe mon esprit, aussitôt que se met en forme la décision de prendre le cahier et de les relever, dont l’étrange systématisme de sa rédaction, le relevé brut des faits de la journée qui se concluent invariablement par la même formule, le célèbre « so to bed », ces faits, du moins en ce qui concerne cette première année que je suis sur le point d’achever, étant principalement ceux de sa vie professionnelle et publique (voir les jours où il reste chez lui et dont il n’a rien à dire ; le rapport se borne alors à trois ou quatre lignes : que fait-il chez lui une journée durant et en ne voyant personne ?). Pepys passe pour un homme curieux, avide, bon vivant, ouvert à la vie. Rien de tout cela ne transparaît dans son écriture, dans sa manière de rapporter les faits. C’est brut, systématique, quasi mathématique, presque mécanique (mais pas froid, ni sec). C’est effectivement un rapport, et ce systématisme, cette répétition d’un jour à l’autre, quasi immuable dans le ton et l’écriture, me semble d’autant plus étrange qu’il est prouvé qu’il l’a relu, corrigé (du reste, le rapport n’est pas systématiquement quotidien, même si chaque jour a son entrée) et il est même avancé que le journal découvert dans sa bibliothèque serait une copie et non l’original, si tant est qu’il y ait eu un original, je veux dire qu’il aurait pu s’agir de carnets, de feuillets etc. Je conçois cette manière de faire dans le cas d’un homme qui n’aurait pas le souci d’écrire, de rapporter (quelles que soient les raisons qu’il aurait eues à le faire) sans avoir celui de se relire, de se corriger ; qui n’aurait donc pas le souci de la trace. Tandis que lui l’a… (Ne serait-ce pas le signe d’un esprit un peu frustre ? car, à la réflexion, et j’y pense à l’instant, il ne réfléchit pas, ne pense pas, ne semble pas avoir d’avis particulier. Il ne médite pas, il ne raisonne pas. Il ne rêve pas. Il rapporte, c’est tout. Mais c’est peut-être de là que provient tout l’attrait de ce journal, car, bizarrement, il est présent et vivant, et malgré la lassitude qu’engendre parfois cette répétition, comme une rengaine, une scie, une ritournelle, et c’est évidemment particulièrement sensible dans cette lecture de l’intégralité, je me sens attaché à lui, je sens une proximité, j’éprouve pour lui une sympathie. (Dois-je rappeler l’étymologie de ce mot ?)

 

18 décembre 2001