Il s'agit de la version Feedbooks ; je n'ai pas comparé mot à mot avec GF,
mais un survol me permet d'affirmer qu'il s'agit de la même...
« [...] elle était partie goûter jusqu’à la pâmoison, jusqu’à mordre cette petite blanchisseuse qu’elle retrouvait au soleil levant, sur le bord de la Loire, et à qui elle disait : “ Tu me mets aux anges. ” Une Albertine différente, non pas seulement dans le sens où nous entendons le mot différent quand il s’agit des autres. Si les autres sont différents de ce que nous avons cru, cette différence ne nous atteignant pas profondément, et le pendule de l’intuition ne pouvant projeter hors de lui qu’une oscillation égale à celle qu’il a exécutée dans le sens intérieur, ce n’est que dans les régions superficielles d’eux-mêmes que nous situons ces différences. Autrefois, quand j’apprenais qu’une femme aimait les femmes, elle ne me paraissait pas pour cela une femme autre, d’une essence particulière. Mais s’il s’agit d’une femme qu’on aime, pour se débarrasser de la douleur qu’on éprouve à l’idée que cela peut être on cherche à savoir non seulement ce qu’elle a fait, mais ce qu’elle ressentait en le faisant, quelle idée elle avait de ce qu’elle faisait ; alors descendant de plus en plus avant, par la profondeur de la douleur, on atteint au mystère, à l’essence. Je souffrais jusqu’au fond de moi-même, jusque dans mon corps, dans mon cœur – bien plus que ne m’eût fait souffrir la peur de perdre la vie – de cette curiosité à laquelle collaboraient toutes les forces de mon intelligence et de mon inconscient ; et ainsi c’est dans les profondeurs mêmes d’Albertine que je projetais maintenant tout ce que j’apprenais d’elle. Et la douleur qu’avait ainsi fait pénétrer en moi, à une telle profondeur, la réalité du vice d’Albertine me rendit bien plus tard un dernier office. Comme le mal que j’avais fait à ma grand’mère, le mal que m’avait fait Albertine fut un dernier lien entre elle et moi et qui survécut même au souvenir, car, avec la conservation d’énergie que possède tout ce qui est physique, la souffrance n’a même pas besoin des leçons de la mémoire.