« Je suis persuadé que le fait d’être connu dans son apparence extérieure entraîne inconsciemment un homme à se faire le « reflet de son propre moi », selon l’expression de Werfel, à adopter dans chaque geste un certain style, et avec cette modification de la tenue extérieure se perdent ordinairement la cordialité, la liberté et l’insouciance de la nature intime. Si j’avais à recommencer ma vie, j’aspirerais à jouir doublement de ces deux circonstances heureuses : savoir des succès littéraires et de l’anonymat personnel, en publiant mes œuvres sous un autre nom, un nom d’emprunt, un pseudonyme ; car, si déjà la vie est en soi pleine de séductions et de surprises, à plus forte raison la double vie ! » La question que je peux immédiatement me poser, c’est : pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Mais j’ai aussitôt pensé à la date de rédaction de ce texte, non indiquée. Le copyright de la traduction est de 1948, date de publication de ce numéro. Zweig s’est suicidé en 1942. La rédaction de ce texte précèderait-elle de peu son suicide et serait-il, alors, une manière de testament, testament d’un écrivain qui, après avoir fait le terrible constat de la chute de son pays après la Première guerre mondiale et avant l’arrivée des nazis, pose un dernier regard sur lui-même ?...