« Malcolm Cowley, à
propos des “ derniers aventuriers de la traite ” (Revue
hebdomadaire du 5 septembre) raconte ceci :
Ce brick négrier fut pris au
piège, vers la fin d’un après-midi, par quatre croiseurs surgis de différents points de l’horizon. Toute
tentative de fuite était inutile. Pourtant, le vent tomba et la nuit
s’étendit peu à peu sur la mer avant que le plus rapproché des vaisseaux
britanniques fût arrivé à portée de canon.
À la faveur des ténèbres, le
capitaine Homans se prépara à sauver son navire. Il tint prête à être mouillée
la plus grosse de ses ancres. Il fit passer sa chaîne au-dessus du manchon de
l’écubier, puis la déroula, tendue, tout autour du navire, à l’extérieur
de la lisse. Il fit monter les esclaves sur le pont ; ils étaient six cents.
Puis, il les rangea le long de la lisse et les fit attacher à la chaîne de
l’ancre au moyen de cordes solides passées dans leurs menottes. Bientôt,
on entendit les embarcations des quatre croiseurs s’approcher à travers
la nuit. On percevait le grincement des tolets et le clapotis des avirons sur
l’eau tranquille. Homans laissa tomber l’ancre. Dans la nuit, une
plainte confuse s’éleva tandis que la chaîne, avec sa charge de corps,
s’enfonçait dans la mer.
Les cris des esclaves
étaient parvenus jusqu’aux marins britanniques ; l’odeur des
esclaves imprégnait encore lourdement le vaisseau ; les vastes marmites servant
à cuire leurs aliments, les aliments eux-mêmes, et aussi des menottes étaient
encore à bord, mais nul esclave n’était là qui pût servir de pièce à
conviction. Homans s’en alla, libre. »