Lorsque j’ai voulu rendre audibles
les compositions du Journal musical – qui de prime abord n’étaient
pas faites pour cela : elles étaient faites pour être écrites et non jouées –,
j’ai été sans cesse confronté à cette incompréhension : celle que marquaient les
instrumentistes face au libre choix, à la transmission ; à la passation de
pouvoir, en somme. Je dis : « À vous de jouer, maintenant. » « Oui, mais
comment ? » « Comme vous l’entendez, c’est-à-dire tel que c’est écrit... »
Ils ne le font pas. Non parce qu’ils
s’y
refusent ou s’y
opposent, mais parce qu’ils
ne comprennent pas. Ils veulent exécuter et non interpréter. Ils se veulent
exécutants et non interprètes, c’est-à-dire
qu'ils se mettent à mes ordres, à ma disposition alors que ce que je recherche,
c’est
qu'ils m’oublient ;
ce que je désire, c’est
disparaître à leurs yeux ; ce que je souhaite, c’est
qu’ils
ne s'occupent que de ce qu’il
y a posé entre eux et moi, et qui nous lie, et qui ne doit être que le seul
lien : la partition, c’est-à-dire
un ensemble de signes convenus qu’ils
ont la charge, durant un temps, de rendre audibles... Une musique peut commencer
là, sur ce terrain intermédiaire qu’elle
occupe entre eux et moi, eux, les exécutants à l’avenir
d'interprète et moi, l’auteur
en vouloir de fantôme.
(À mes élèves, à leur première
leçon de piano, je donne des moufles. Et leur dis : « La musique, c’est avant
tout du son. Sonnez... »)