La différence entre la musique
« moderne » et la musique classique, c’est que la première est aussitôt
enregistrable (et c’est à partir de là qu’on peut la définir : Schaeffer est le
premier compositeur « moderne »). C’est dire que quiconque, à partir d’un
appareil, peut fixer instantanément un son et en disposer à loisir, qu’il soit
d’origine instrumentale ou non. L’auteur peut tout faire et l’œuvre une fois
enregistrée devient unique. Elle n’est plus reproductible et elle est sienne,
absolument, et ce que j’écoute, c’est lui, totalement. C’est ainsi que lorsque
j’écoute Beefheart, c’est Beefheart que j’entends, alors que lorsque j’écoute
Bartók par le quatuor Vegh, c’est le quatuor Vegh que j’entends... La majorité
de mes compositions existent sous la forme d’une bande magnétique. Elles y sont
fixées, n’y existent qu’à un seul exemplaire et sous une forme unique : celle
que j’ai voulu leur donner. Elles considèrent toutes sources sonores,
instrumentales ou non. Elles ne sont pas écrites et ne peuvent être transcrites
sur papier. Ou alors approximativement. De toute manière, il ne viendrait à
l’idée de personne de les transcrire sur papier. Pour quoi faire ? Elles n’ont
pas à être interprétées. Elles ne sont pas faites pour ça. Elles sont conçues
pour n’exister que sous cette forme. Elles ne sont productibles que par
diffusion et reproductibles que par enregistrement, c’est-à-dire qu’il ne peut y
avoir d’elles que des copies conformes (le disque par exemple).