« Incapacité d’écrire, manuelle autant qu’intellectuelle. J’ai un mal fou à tracer ces lignes, un mal fou à mettre les mots à la suite les uns des autres, un mal fou à coordonner mes pensées. J’y ajoute mon obsession du tabac et l’envie furieuse de fumer sans compter en me fichant complètement des conséquences, des répercussions sur mon état présent. Je suis en train d’achever la première et ai déjà envie d’en allumer une autre. Je viens de l’achever, de la déposer dans le fond du cendrier et j’ai déjà peur des moments qui vont suivre car je sais que je vais devoir refermer ce cahier sous peine d’en allumer une autre. Et à cet instant, en parallèle, je pense à Amélie Nothomb : je suis tombé par hasard sur une émission, type confession, un écrivain seul face à un interviewer, en l’occurrence Philippe Labro. Je l’ai prise en cours, je ne savais pas que c’était elle. J’ai été immédiatement agrippé, saisi ; attrapé, capturé par cette femme qui s’agitait sur sa chaise, prise par une nervosité incroyable, qui parlait de sa vie, de ses problèmes d’existence, de son incapacité à faire face à la vie, à sa vie, de ses difficultés d’écriture, de la souffrance et du plaisir face à l’écrit, du besoin irrésistible d’écrire. Rien d’extraordinaire, rien de neuf, et c’était même assez naïf ; en même temps pathétique car elle semblait véritablement au bord des larmes, de la crise de nerfs (ce n’est pas tout à fait ça : c’était une tension contenue qui ne pouvait, n’aurait pu éclater), et je ne pouvais détacher mon regard de son visage où étrangement se confondait une extrême jeunesse et la vieillesse, un visage agité, crispé, secoué de toutes parts, et la fébrilité de sa voix et de son regard. Je n’en revenais pas, et j’étais partagé entre le sourire – une telle naïveté, et candeur – et la compassion ; entre l’incrédulité – et j’aurais pu croire à un jeu, à une caricature – et la compréhension, le partage. Et je me disais (mais en pensant à elle puisque ce visage, quoique prématurément vieilli, m’était familier), mais qui est-elle ? quelle est cette femme/fille qui souffre tant ? et surtout : qu’est-ce qu’un être comme celui-là peut-il écrire ? quelle peut être son écriture ?.. L’émission s’est achevée, j’ai suivi le générique où on a préféré donner le nom du tailleur de Labro plutôt que celui de cette invitée étonnante et, d’une certaine manière, extraordinaire. C’est dans le magazine télé que j’ai trouvé son nom ; content parce que j’avais vu juste, en même temps incrédule car je ne parvenais pas à associer le personnage que je venais de voir à ce que j’avais lu d’elle, encore qu’il y ait bien cette identique tension, et, tant pis pour les mots faciles, cette urgence et cette fébrilité (qui en débordant trop empêcherait le contrôle et la maîtrise de l’écriture)... »

 

22 octobre 2001