J'ai terminé. Troublant et étonnant. Tout comme l'est Cendrars lui-même : bourlingueur, soiffard, bagarreur, foutriqueur. Et il faut voir sa trogne. Ses livres sont comme sa trogne. Et comme sa vie. Parsemés de bordels, de déserts, de bateaux, de marlous, de putes, de pourris, d'avions, de forêts vierges, de coups de gueule, de guerre, de foi, de colère, d'extase, de joie. Vivent les hommes et qu'ils crèvent tous. Ils puent et je les aime. Et lorsqu'il voyage sur un rafiot pourri qui l'emmène à Sao Paulo, ou à Tananarive, ou à San Francisco, ou en Amazonie, il pète de bonheur et dans le même temps souffre de ne pas arriver à écrire, et lorsqu'il écrit dans une piaule je ne sais où, il se lamente et pense à tous ces jours qu'il perd à écrire, alors qu'il devrait être en Argentine en train de galoper avec une demi-douzaine de filles à la peau dorée... Étrange mélange... Cendrars me fascine et me déconcerte, parce qu'il est la part de celui que je ne suis pas...

12 février 1990 (dans une lettre à Marcel)