« La Beauté est une extase ; elle est aussi élémentaire que la faim. Il n'y a rien vraiment que l'on puisse en dire. C'est comme le parfum d'une rose : on le sent et c'est tout : c'est la raison pour laquelle la critique d'art, sauf dans le cas où elle se montre indifférente à la beauté et par conséquent à l'art, est ennuyeuse. Tout ce que le critique peut nous dire de la Mise au tombeau du Christ du Titien, peut-être l'une des images au monde à présenter la beauté la plus pure, est d'aller la voir. Ce qu'il peut ajouter doit tenir à l'histoire, à la biographie, voire à rien. Mais les gens confèrent d'autres qualités à la beauté le sublime, l'intérêt humain, la tendresse, l'amour car la beauté en soi ne les contente pas bien longtemps. La Beauté est parfaite, et la perfection (ainsi est la nature humaine) ne retient notre attention que durant un court laps de temps. Le mathématicien qui après avoir vu Phèdre a demandé : « Qu'est-ce que ça prouve ? » n'était pas aussi bête qu'on a bien voulu le prétendre. Personne n'a jamais été capable d'expliquer pourquoi le temple dorique de Paestum recèle une beauté supérieure à un verre de bière fraîche sinon en apportant des arguments qui n'ont rien à voir avec la beauté. La Beauté est une impasse. C'est un pic que l'on atteint pour se rendre compte qu'il ne mène nulle part. C'est pour cela que, en définitive, nous trouvons davantage de matière à notre ravissement chez Le Gréco que chez le Titien, dans la réalisation imparfaite de Shakespeare que dans la réussite consommée de Racine. On a trop écrit au sujet de la beauté. C'est pourquoi j'en ai dit si peu. La Beauté est ce qui satisfait l'instinct esthétique. Mais qui veut être satisfait ? Il n'y a que l'âne qui voit la suffisance comme un festin. Regardons les choses en face : la beauté est quelque chose d'un peu rasant. »