J'étais à Mahousse, il me fallait un livre de queue. J’ai prélevé des rayonnages à moitié vides, et qui ne seraient pas remplis avant longtemps, Dans le café de la jeunesse perdue. J’ai longuement hésité, je ne me voyais plus lire Modiano, et puis c’est d’un fin que j’avais besoin. Finalement, je l’ai emporté et comme de fait c’est dans la queue que je l’ai entamé en me demandant de nouveau si je ne l’avais pas à la maison, si je l’avais lu ou non. Je l’ai poursuivi une fois rentré, dans le sofa noir contre la fenêtre de la rue pour échapper aux bruits de marteau et de compresseur du voisin qui a l’air de s’être remis à de nouveaux travaux. Je l’ai achevé après le repas dans le sofa jaune du salon d’hiver pour échapper à la télé qu'Éléonore avait allumée. C’est drôle, on ne dirait pas du Modiano. Il y a bien Paris, la nostalgie, les endroits disparus et regrettés, les personnages énigmatiques au nom exotiques, l’immobilité du temps, mais cela résonne autrement. Et puis, que se passe-t-il ? Quel est cet étrange tic pris je ne sais où qui le force à écrire comme un journaliste, avec des ruptures de phrase sans objet maladroites et des phrases sans verbe qui ne lui ressemblent pas et surtout qui ne lui vont pas du tout ? À quoi sert-il d’avoir écrit des dizaines de livres pour en écrire comme s’il n’avait jamais écrit ? Lit-il trop le journal, ou bien se sent-il en devoir d’écrire comme un journaliste à l’heure où les journalistes s'échinent à écrire comme des écrivains ? Et puis, il y a la structure, point de vue des divers protagonistes, qui également ne lui ressemble pas. Veut-il, à l’aube de la vieillesse et de la fin de carrière, s’essayer à la modernité ? (Je constate à l’instant que Folio a abandonné son Baskerville ; je me disais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas.)
2 mai 2009