Un dernier mot. Jusqu'où peut aller son ignominie ? Et est-il ignominieux, seulement ? Et cette ignominie étant (ou n'étant pas, j'en doute tout de même, à moins que la réaction à ce degré puisse prétendre à l'innocence ou à la naïveté – inconscience ? pardonnez-lui, il ne sait pas ce qu'il fait) n'aurait-elle pas quelque chose de charmant, de touchant ?... Les vingt dernières pages de ces fragments de journal intime, toujours consacrées à la Turquie (« là où on le vénère, où il est comme un ami et un roi » [sic]), ont pour sujet la guerre. Quelle guerre, je ne sais trop, car comme à son habitude, il pose les faits comme des évidences ; non comme s'il jugeait que tout le monde était suffisamment renseigné pour qu'il ne prenne pas la peine d'expliquer, mais plutôt comme si cela n'avait aucune importance, guerre bulgaro-turque tout d'abord aux environs des années dix, puis une autre avec les Grecs, y seraient intervenus les Anglais... On ne sait rien de ces guerres, on n'en connaît que les horreurs, divers massacres et autres actes de cruauté perpétrés par Bulgares, Grecs et Anglais sur les personnes de ces Turcs qu'il chérit tant et qui, de ce fait, sont exempts de toute faute, sont des anges... Inutile de dire que tout ceci est du même tonneau que la Hyène : les Bulgares sont de monstrueuses abjections, les Grecs des ordures de la pire espèce, les Anglais des porcs baveurs. J'interprète, ce ne sont pas exactement ses termes, mais c'est bien dans le ton ; et ce ton, cette fois-ci, je l'ai trouvé amusant, et, au bout du compte, touchant. Car c'est tellement outré et mauvais (médiocre, autant dans les intentions que dans la manière) que je ne peux m'empêcher de lui accorder de l'indulgence, comme on le ferait avec un enfant qu'on ne saurait toujours punir, aussi insupportable soit-il. Bref, voilà un type qui finalement m'intrigue beaucoup. Est-ce que je vais oser continuer à le lire, malgré mes précédentes déclarations ?...

26 octobre 1990 (courrier à Marcel)