p. 88 :
« Quelle exigence ? Je ne suis le répondant d'aucun acte, je ne me porte garant de personne, et pourtant je manquerais à la parole donnée si j'oubliais mon serment : “
 Toujours j'irai de ce côté, jamais d'un autre. ” » Que pourrais-je ajouter d'autre ?

Douleur, souffrance, catastrophe, désastre, abîme, en leitmotiv, tous ces mots qui appliqués à l'écriture, à l'épreuve de l'écriture, ont malgré tout, et bien que je comprenne et partage ces mots et les sensations qui leur sont liées, un curieux goût d'irréalité, et je ne peux m'empêcher de penser à ceux qui, extérieurs à son expérience, à cette expérience de l'écriture pure, sont confrontés à ces pages. Souffrir d'écrire, de ne pouvoir écrire, de ne pas savoir quoi écrire, d'être en butte sans cesse à la question de l'écriture, est une réelle souffrance. Mais quel degré a-t-elle ? a-t-elle une vraie réalité ? a-t-elle une réelle consistance ? n'est-elle pas parfois démesurée, exagérée, presque indécente, au regard d'autres souffrances peut-être plus « légitimes », plus valides (mais si j'écris cela aujourd'hui – et le pense, quoique cela soit simplement du stade de l'interrogation –, c'est parce qu'aujourd'hui je suis calme, parce que je me trouve dans une relative paix, parce que, dans une certaine mesure, j'ai dépassé cette épreuve-là, l'épreuve pas tant de l'écriture en soi que de l'écriture et de la vie, cette épreuve qui m'a tenu des mois durant, presque des années, et m'a fait vraiment souffrir – ce que j'ai appelé de l'amour, qui en était et en est encore, d'une certaine manière. Mais ce n'était pas de l'amour, mais de l'écriture, rien que de l'écriture. Si cela n'avait pas été que de l'écriture, je souffrirais en constituant le bulletin à publier, je souffrirais en relisant tous ces écrits d'amour, je souffrirais dans les bras d'Éléonore en pleurant en silence un amour perdu. Alors qu'en définitive, je ne ressens rien...

10 septembre 1997