Mais le plus important reste le doute qu'a fait naître cette révélation, ce retournement : ne suis-je donc réellement que chimie ?... J'ai toujours pensé que je n'étais que chimie et que mon corps mort serait semblable à une pierre, c'est-à-dire lourd, vide et inerte, une mécanique arrêtée, désactivée. Mais je pense aussi que durant le temps de mon existence, il y a un stade particulier de ma conscience qui, né d'une inexprimable trace de ma carte primaire, échappe et échappera toujours au monde dont je suis pourtant fait et continue à être fait. Cette trace, extraite de la carte et dont elle est l'anagramme, s'est arrêtée entre elle et la plage de la conscience pure, accès direct au monde extérieur ; s'y est arrêtée pour y occuper un poste de garde, de vigile ; d'une sentinelle silencieuse, adroite et attentive dont le rôle, outre celui de la faction, est celui de l'estafette, du porte-parole (muet et indolent), sorte de diplomate qui tout à la fois veille, transige et renseigne : une sorte d'espion à découvert sans autre masque (loup) que celui de mon nom dont il est le porteur et le garant. De le savoir là est ma garantie d'être vivant... (Que vaut bien cette péroraison ?)

21 décembre 1998