« Le Japon n’est ni désordre, ni contradiction, ni paradoxe mais il n’y a pas de moyen plus commode de l’exprimer en pensée française que de le considérer arbitrairement sous ses aspects contraires. C’est terrible et vain de chercher à organiser la pensée japonaise, j’arrive bien à me comporter comme un Japonais devant un pot de fleurs ou une théière, mais pour exprimer ces sentiments complets et ordonnés, je ne trouve que des paradoxes. J’ai bien compris, grâce à John, qu’on ne comprend pas le Japon, on perd son temps à vouloir le reconstruire. J’ai d’abord voulu reconstruire en pensant à la japonaise et je me suis trouvé devant un mur blanc ; le Japon est japonais parce que c’est le Japon. Les cerisiers sont beaux parce qu’ils expriment le Japon et le Fuji aussi. […] J’ai essayé de penser à l’européenne et à la japonaise alternativement, c’est le bon moyen mais c’est très long parce que l’intuition ne vient pas sur commande. Mais j’ai tout de même des résultats : Le Fuji est beau pour plusieurs raisons […] la meilleure raison, c’est que ses pentes ne sont pas assez rectilignes pour être des droites, pas assez incurvées pour être des courbes. […] La note du shamisen est belle parce que c’est une note et plus qu’une note : une note et un peu au-dessus un peu au-dessous, légèrement gauchie. Une branche de pin dans un vase lourd : c’est le monde exprimé par un guerrier ; des lis dans un vase léger : le monde par une femme ; une branche de pin et des lis : c’est le monde vrai et seul un philosophe est capable de l’exprimer. Mais comment faire un livre avec des choses aussi senties, comment rattacher les fleurs, le Fuji et le sashimi ? »

J’ajoute : le Fuji est-il japonais parce qu’il est au Japon
ou les Japonais sont-ils japonais parce qu’il y a le Fuji ?...