Je ne peux m’empêcher de penser à des fourmis lorsque je pense à eux, et c’est peut-être l’image qui ressort de ce paysan japonais agrippé à un minuscule bout de terre qu’inlassablement il cultive avec ses petits outils en déployant une ingéniosité infinie pour en tirer le maximum et en le faisant exactement de la même manière qu’un autre Japonais au nord à mille kilomètres de là et au nom d’une unité (d’un pouvoir, malgré tout) auquel il se donne tout entier. Des fourmis unies et laborieuses, mais esthètes. Et c’est ce qui l’a frappé : partout où il est allé, il a rencontré le même souci de raffinement, un raffinement qui s’exprime uniquement dans des petites choses et avec du matériau éphémère : le bois, le papier, le bambou. Parce que la vie est éphémère, parce que la vie est peu de choses, parce qu’ils ont appris et savent que la vie est rude et ne leur a donné que peu de satisfaction. (Et de là, la mort est aussi peu de choses.) Il dit encore que, malgré les apparences, le Japonais est triste, tristesse née de ces millénaires d’autarcie et de vie rude et immuable. Est-ce que c’est encore le cas aujourd’hui ? As-tu eu l'impression d'une tristesse diffuse chez eux ? Pas moi. (Et est-ce que les bombes étaient déjà tombées lorsqu’il a écrit ces dernières pages ?) Tout cela jeté en vrac et sommairement dans la nuit. Voilà qui ne va pas faciliter mon propre travail sur mon texte japonais. (Je n’ai rien vendu aujourd’hui.) »
12 février 2005 (dans une lettre à Éléonore)