Dès lors, je lis ce texte comme un texte français, ou pour le moins occidental. Qu'y a-t-il de japonais ? Des noms, propres ou communs, dont la consonance n'est pas d'ici ; des attitudes, des comportements qui peuvent sembler singuliers ; des réflexions, des idées qui peuvent ne pas être habituelles, ou pour le moins familières. Mais sinon ? Au bout du compte, ne suis-je pas totalement sur un terrain conventionnel, voire très conventionnel si je considère le style souvent agaçant par sa platitude (platitude française, bien entendu) ? Que puis-je dire d'un tel livre après l'avoir lu ? que puis-je penser du Japon et de Mishima qui en est l'une des figures (d'après ce que j'en sais) ? C'est la question que se posait Léo récemment à propos des Belles endormies de Kawabata qu'il venait d'achever et qui l'avait laissé très sceptique. Que pouvait-il en penser sinon que c'était plat, conventionnel et pauvre ?... Je ne me souviens pas des Belles endormies que j'ai dû lire il y a très longtemps, mais j'ai parfaitement compris de quoi il voulait parler. C'est ce dont je parle ici, c'est-à-dire de la confrontation avec un monde étranger dont le texte en notre langue est censé être la restitution. Mais ce texte ne restitue pas : il transpose, et de là décolore, affadit, affaiblit, et métamorphose. C'est une vue française, et dès lors ce texte pourrait tout aussi bien avoir été écrit par un Français ayant vécu au Japon. Plus que jamais, le traducteur devient l'auteur et de cet auteur, il n'y a qu'une chose que je puisse dire : il m'ennuie... (Voir certains traducteurs de Dostoïevski qui se sont efforcés d'oublier leur langue pour être au plus près de l'esprit de celle de l'auteur. La lecture de ces traductions n'est pas facile, est souvent éprouvante et, pour peu que l'on oublie leur dessein premier, agaçante ; mais du moins on peut prétendre avoir approché le cur et l'esprit de son origine, de sa nature, de son intégrité...
22 juin 1999