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Certes je comprends chaque jour davantage que pour “ changer la
vie ” il faut d'abord “ transformer le
monde ”. C'est de l'outrecuidance capitaliste de parler avec mépris
des arts d'assouvissement (je l'ai fait) car que peut faire une vendeuse de
Monoprix, le samedi soir, si ce n'est qu'imaginairement assouvir grâce au
cinéma les désirs qu'elle ne pourra jamais effectivement réaliser. Le triomphe
des arts d'assouvissement est la condamnation de toute civilisation qui les
voit naître : la nôtre. Lorsque l'homme sera délivré de l'abêtissement du
travail et de la misère, il se peut qu'alors l'art ne soit plus un luxe et que
l'homme ait alors le loisir de s'occuper enfin des choses sérieuses. Il se
peut, mais que dire d'une telle époque que je ne verrai pas, hélas, et qui
n'existera peut-être jamais, car, tel est le drame, tel est le cercle vicieux,
pour transformer le monde, il faudrait d'abord “ changer la
vie ”. »
Transformer la vie d'abord, bien sûr. Mais pourquoi le
cinéma serait-il un art d'assouvissement plutôt que la peinture ?
Ensuite : pourquoi ce que fait la vendeuse doit-il être vu comme une
fatalité : il y a toutes les chances qu'elle aime ce cinéma-là et n'aurait
que faire de Mozart ou du Titien ; faut-il vraiment l'empêcher d'aller au
cinéma et l'entraîner dans un musée ou à l'opéra ? Ensuite : l'art
doit être un luxe ; c'est son sens, sa raison d'être : le luxe, la
gratuité, la rareté, en ce sens qu'il est l'homme contre le groupe ; l'art
pour tout le groupe prendrait le nom de travail...