La hyène en question, c'est l'Allemagne – ou plus exactement la Prusse –, et il s'agit de chroniques de la Première guerre mondiale, du moins des deux premières années, guerre qu'il a traversée, où il n'a pas l'air de se battre beaucoup, ce dont je lui fais le « reproche » dans la mesure où son statut d'officier lui donne tout le loisir de contempler l'horreur et la mort, et, dès lors, son indignation et sa haine d'effroyable et abject militaire qu'il est me semblent particulièrement déplacées. Je l'ai aimé dans Les Désenchantées, puis dans Aziyadé, et le trouve ici, avec une certaine stupéfaction mêlée de dégoût, ignoble, repoussant, vil et nauséeux. Outrance des qualificatifs, je n'exagère pourtant pas et tous les adjectifs apparentés peuvent convenir sans problème (à rapprocher éventuellement de Léon Daudet dont j'ai déjà dit toute l'abjection qu'il m'inspirait). Militarisme forcené et imbécile, et l'époque fleur au fusil ne l'excuse en rien : qu'un paysan breton parte en chantant vers la mort, soit, mais qu'un académicien applaudisse à ce départ... – quoique pas très longtemps ni trop haut, car ce n'est jamais qu'une preuve supplémentaire que l'académicien n'est jamais qu'un paysan bien habillé (encore que l'on soit en droit d'attendre de lui un peu plus de pertinence, de sagacité, et tout simplement d'intelligence, alors qu'il est ici petit, ridicule et bête ; vraiment bête). Puis, et c'est peut-être le plus insupportable, l'anti-germanisme. J'allais dire : primaire. Mais c'est bien davantage : primitif, viscéral, bas ; d'une bassesse incroyable, au degré zéro, à ras de terre, plus bas que terre, le fond de tout ; la haine stupide à son niveau le plus repoussant et le plus choquant. En un mot : la brute bornée et baveuse... Glanés au hasard : « les barbares », « les porcs », « les sauvages à la couenne rose » (c'est un écrivain qui s'exprime), « les malheureuses brutes » pour qualifier des prisonniers allemands, blessés, donc immobilisés, brûlés vifs dans l'incendie qui a ravagé une partie de la cathédrale de Reims où on les avait placés. En effet, Loti est triste, ce n'est pas une belle mort, mais tout de même, il est dommage que leurs restes calcinés aient souillé le sol de ce joyau architectural de notre belle France. Le reste à l'avenant. Et je n'en suis qu'à la centième page. Je continuerai malgré tout car il me semble bien que ce livre est une perle et je veux voir jusqu'où elle peut briller. J'y retourne de ce pas...

11 juin 1990