S’arrêter tout à coup , comme épuisé, se dire : s’asseoir pour quatre mots et en être à ne plus pouvoir s’arrêter, mais s’arrêter tout de même, penser à la cigarette, se lever, faire le tour du bureau jusqu’au tiroir de l’autre pour en tirer tabac et papier tout en se disant : c’est peut-être cette écriture-là qu’il te faut, en même temps, penser : oui, mais je m’arrête tout à coup, comme le souffle coupé, et se dire encore : ça n’arrivait pas avant, avant, il n’y avait que les coupures de la réflexion, pas celles de l’épuisement, du vide soudain, du bord du fossé d’où brusquement on craint de tomber, d’où on veut peut-être tomber, et en se roulant la cigarette, se dire : voilà la énième, je ne compte plus, suis incapable de dire quel numéro porte cette cigarette-là, refermer le tiroir, se mettre la cigarette à la bouche, revenir à sa place pour tout consigner, ou du moins une toute petite partie car bien sûr le plus gros s’est envolé, allumer ladite cigarette avec un mélange de contentement et de dégoût, réfléchir de nouveau, penser à Kundera repris en début d’après-midi, une demi-heure après le lever, avec une cigarette et une légère gueule de bois, une dizaine de pages pour le terminer, mais avec la pensée de la visite à ma mère, et comme un fait exprès, le téléphone sonne, Guillemette me souhaite la bonne année, me demande si je vais voir maman, oui mais pas avant deux heures, ah bon moi j’y vais dans une demi-heure, non moi pour l’instant c’est au-delà du possible, puis raccrocher et retourner à Kundera en sentant germer en moi ce qui allait très vite se décider : y aller maintenant, en même temps qu’elle, s’y retrouver à deux afin que ça soit moins pénible, sinon que vais-je faire jusqu’à l’heure du départ avec mon corps mal fichu, mes pensées hagardes et ce trop-plein de monde dans la maison ? Alors, je me lève, prends le téléphone, l’appelle, lui dis que nous nous retrouverons là-bas, ça l’arrange aussi, pour les mêmes raisons. Alors, je regagne ma place, il me reste à peine quatre ou cinq pages et la moitié de ma cigarette, mais mes pensées sont définitivement ailleurs, c’est-à-dire à cette visite dont il faut que je me débarrasse au plus vite. Alors, je ne finis rien, laisse livre et roulée en plan et vais me préparer...

 

1er janvier 2006