Il est 3 h 00 du matin. Table de séjour. M*** dort dans la chambre d'amis, Susan dans notre chambre, Trixie dans le canapé du salon. Huitième cigarette./Passage aux Lisières pour aider Claire à accrocher les deux cadres de la Trousse d'Hervé : le panoramique horizontal et Une après-midi à la Trousse./M*** est rentrée tout à l'heure. Ces dames dorment.../(Depuis deux jours, tentation de voir Y***, de lui rendre une petite visite...)/Ma fête, et personne n'y a pensé !.../Ce matin, puces, Wambrechies./Ai failli m'acheter un vieil appareil photo. Sinon, rien./Répétition. Christine, la chanteuse, que je vois pour la seconde fois arrive à 18 h 30. Ni Thierry, ni Cyril, ni Marc ne viendront. Nous discutons jusqu'à 20 h 00. Je lui parle de la musique, des éditions, de l'écriture, du journal. Elle me parle d'elle, de la Corrèze d'où elle vient, de sa vie comme institutrice à Roubaix depuis onze ans. Sensible, intelligente, agréable. Rire sonore très particulier./Christine extrêmement intriguée et séduite par la pratique du journal, par le fait de le publier, et troublée (trouble qu'elle n'a su comment exprimer) par le fait aussi d'en prendre connaissance en présence de son auteur./Susan rentre tard, est fatiguée. Période d'examens, de corrections, de réunions. Ça va bientôt finir, dit-elle. Ah.../Journée calme, lente. Admirablement lente. Je devais me mettre à la conférence. J'y ai beaucoup pensé, mais n'ai rien entamé. Ai fait le grec, le latin./Ai entamé le projet de la conférence. Une lecture de la présentation, puis quelques lignes supplémentaires destinées à présenter le J.M. À partir de là, le premier extrait. Mais lequel ?/Le travail de 5 à 70 ans, soit traîner son corps toute une vie durant d'un point à un autre pour des fonctions qui n'ont pas été choisies. Comment faites-vous pour supporter cela ?/Nous étions dans la pénombre, marchions, Anne et moi. Nous dirigions vers la sortie. En face sont apparues deux ombres qui venaient dans notre direction. Qui sont devenues deux silhouettes. L'une d'elles, celle de droite, celle qui allait me croiser, moi étant à la gauche d'Anne, avait de longs cheveux. J'ai pensé à elle, comme à chaque fois je pense à elle lorsque je vois une fille qui a de longs cheveux. Les deux ombres ont continué à approcher et à un moment donné, juste au moment où nous allions nous croiser, l'éclairage s'est fait et le visage de cette fille qui m'avait fait penser à elle s'est éclairé. Je l'ai regardée, elle m'a regardé. C'était elle. Durant une fraction de seconde, celle où elle est apparue à ma vue, où le visage de cette silhouette s'est tout à coup éclairé au passage d'une des rares lampes allumées, placée juste là, comme un fait exprès, à cet endroit où nous allions nous croiser, à ce moment-là, je ne l'ai pas reconnue ; j'ai juste pensé qu'il s'agissait d'une fille qui lui ressemblait, et déjà mon cœur s'est mis à accélérer. Et à la fraction de seconde suivante où elle m'a regardé et où je l'ai regardée, croisement d'un regard de part et d'autre inexpressif, totalement inexpressif, je l'ai reconnue. Puis elle a passé, et la seconde suivante, par pur réflexe – mais pas tout à fait parce que j'ai senti que je le commandais –, j'ai tourné la tête. Mais d'une étrange manière, comme pour obéir à une convention de gestes, ou comme pour lui signifier, lui faire comprendre que je l'avais bien remarquée, mais que malgré tout persistait un doute quant à son identité. Et en fait, si ma tête a effectivement pivoté en direction de cet endroit où l'instant d’avant elle se trouvait encore, mon regard non. Mon regard n'a pas suivi. Comme si j'avais craint une confirmation totale, ou comme si, tout simplement, je ne désirais pas de nouveau croiser son regard. Et ç'a été tout. Nous avons continué jusqu'à la sortie, et ç'a été tout.../Le Fresnoy, vernissage de travaux d'élèves : impossibilité de fixer un minimum d'attention sur quoi que ce soit, comme si j'avais déambulé dans une sorte de magasin technologique, préfiguration d'un commerce à venir, boutique à gadgets futuristes où seule la nonchalance et la distraction sont requises…/J'ai préparé le repas à prendre au jardin. Marianne est arrivée. Ai fait un peu de piano, ai lu avec Susan au lit jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Elle s'était couchée tôt pour être en forme le lendemain, lever 6 h 00. Marianne était toujours au jardin. Nous avons longuement discuté en buvant de la vodka. Essentiellement de Susan. Je lui ai parlé d'elle, de notre rencontre, de ce qui nous liait. Un moment, avec stupéfaction et une vague incrédulité, elle s'est exclamée : « Mais alors, tu es l'homme de sa vie ! » J'ai dit : « Oui, » sans la moindre hésitation, sans même penser à ce que pouvait porter de prétention une telle exclamation. Et j'ai ajouté : « Et c'est réciproque... »/Lever tard. Puces à Leers jusqu'à 16 h 00. Quelques livres./À noter : l'étonnante sensation de bien-être et de contentement au sortir du shuttle, lorsque le bus a touché le sol anglais et que par la fenêtre j’ai découvert le vert de Folkestone, puis, au retour, lorsque Susan m’a donné à lire un passage de son Bill Bryson : le premier concernant Londres où il affirme qu’il s’agit de la plus belle ville du monde, le second concernant la nature et la mentalité des Anglais, Bryson qui est américain et qui déclare que le peuple anglais est sans doute le peuple le plus heureux de la Terre, voir l'épisode des cabines de plage –Bryson a-t-il été traduit ? et sinon, ne pourrais-je devenir cette sorte de reporter en dilettante ? ne serait-ce pas pour moi un aboutissement logique, un aboutissement d'écriture totalement lié à ma nature profonde ? écriture de nonchalance, de flânerie ?)./Notes Tate. SHERMAN, MOFFAT.12.00. It's getting crowded. I'm a bit fed up. We have to meet Jo at 12.00 outside by the river./Bel endroit, réussite de réhabilitation, mais il me semble que nous sommes loin de l'éblouissement annoncé (voir Libé)./Je suis en train d'achever le livre sur la Pologne, chapitre consacré à l'antisémitisme polonais où apparaît une mention spéciale aux camps de concentration (inévitable), aujourd'hui « abandonnés », mais qui portent toujours l'inscription à leur porche : Arbeit macht frei. Le travail rend libre. Il est étonnant que plus de cinquante ans après et à chaque seconde de ce monde, la formule ait toujours cours. Non dite, gardée au chaud de l'inconscience, mais toujours en vigueur : le travail rend libre. Je suppose que c'est pour cette raison qu’il est encore tant prisé par tant d’êtres qui s'y adonnent avec la même ferveur et la même passion. Pour quelle autre raison sinon ?.../Hier, au jardin, pendant le repas, Marianne et Susan, conversation qui vire sur l'art. Affrontement des clichés, des conventions, des convictions, ma tension et mon ton qui montent face aux éternels arguments : « élitisme », « fumisterie », « le peuple à satisfaire », etc./Le projet stagne. Pas de goût. Et puis il fait chaud. Et puis, il faudrait que je sois à la maison pour cela.../Répétition avec Christine et Thierry. Laborieuse en ce qui me concerne. Velléités de renoncement.../J'en suis à la 73e leçon. En reste 27. Je crains fort de n'avoir pas le temps de terminer avant le départ fin juillet.../Pas de nouvelles d'Antoine. Apparemment, la Mercedes est toujours coincée dans son parking. Il faudrait que je le remue un peu.../Passage sur Arte qui inaugure son incursion dans le genre « émission de variétés ». Rock and roll circus. Niaiserie totale de l'intervieweuse, débandade musicale hormis Rita Mitsouko./Puis un documentaire « Les cent tubes du siècle », pot-pourri à la sauce américaine de la muzak censée représenter l'un des arts de l'humanité. Idéal pour la digestion alimentaire. Quand je pense que de probables palpitations dorment en m'attendant sur des bandes de cassettes que j'enregistre et accumule sans me donner la peine de leur accorder un peu de mon temps et de mon attention.../Passage hier chez Francko pour la résolution de son problème de publication de pages web. Non résolu. (Nous commençons à mordre les fauteuils…)/Le noir de l'encre que j'utilise à présent s'explique par le fait que Cross a arrêté la fabrication du « bleu-noir » que j'utilisais jusqu'à présent. Je n'ai pas dû user de noir depuis 1994, année où, pour une raison inexplicable, j'avais opté pour le violet.../Cette après-midi, discussion avec Martine à qui je remets son exemplaire d'Emma et qui me parle longuement du journal, de son changement au fil du temps, de mon caractère « humain » qui s'affirme. Qui me dit, chose très importante, qu'elle en est arrivée à ne plus penser à moi en tant qu'auteur et que le journal, loin de lasser comme je le crains souvent, séduit de plus en plus du fait de son évolution et de l'univers qu'il construit petit à petit.../Pas grand-chose.../Chez P***, X***, à un moment donné, seul au buffet, moi assis à côté, qui, avec sa gueule des mauvais jours, se servait verre sur verre et qui m’a parlé de la vulgarité « absolue » des femmes, dont de la sienne, vulgarité et bêtise des femmes : « Les femmes sont bêtes et vulgaires. Ce sont des êtres à part. » Il était déjà saoul, ce qui ne m'a pas empêché, au contraire, de le trouver particulièrement écœurant…/Midi. J'ai envoyé Emma. Je suis content.../l'éclat de Wanda ; la malice azémienne de Françoise ; le charme inaltérable de Dany…/Je prends la décision de faire de la traduction pour H***. Histoire de voir, et de me faire un peu d'argent. Je rédige une lettre en ce sens…/Travail sur la conférence. Je chercherai à élaguer, supprimer. Trop de textes, trop de pièces. Comment réduire ? selon quels critères ? Je chercherai en outre une correspondance, une concordance entre les deux, textes et pièces, sachant qu'il y aura décalage, la première pièce Pâques, du 10 avril, servant d'introduction. Si la chronologie des textes sera conservée, celle des pièces, par contre, sera bouleversée. Mais selon quelles règles ? À réfléchir.../Entamerai l'un des livres italiens bilingues trouvés aux puces de Leers. J'ai toujours évité les livres bilingues : davantage que la compréhension, que le vocabulaire, c'est la couleur, l'essence de la langue qui m'importe. Je ne veux pas de l'influence d'une traduction. Mais les textes italiens sont trop rares (c'est en fait Susan qui me les a trouvés et offerts), et je vais entamer l'un d'eux…/Il est tard, pas le courage ni la force de prendre le stylo, d'ouvrir mon cahier.../Pique-nique dans le jardin, à la maison. Une vingtaine de personnes avec les enfants : Wanda et Alexis, Fabienne et Didier, Dany et Max, Patricia et Hervé, Anne et Janusz, Claire et Baudouin, Francine et Francko... Pas de soleil, mais temps doux. Les derniers (Wanda et Alexis, Francine et Francko) sont partis à une heure./Condom, suite. L'Oxford ne lui trouve pas d'origine, tandis que le Cassell prétend qu'il s'agit du nom de son inventeur au XVIIIe siècle. Le mot ne figure évidemment pas dans le Concise Oxford Dictionary de 1923.../Après-midi passée avec Francko face à son ordinateur pour tenter de lui arracher la publication d'une page web. En vain. Contrairement à ce qu'il pensait, il ne dispose pas de logiciel adéquat, Frontpage, par exemple, qui est celui que j'utilise et que je connais bien. À suivre.../Jenny qui a passé la journée avec Susan. Nous mangeons au Campanile (Zardi qui nous reconnaît, nous reçoit comme des pontes)./N'ai pu faire autrement que d'aller voir Brigitte.../Temps exécrable, malaises tabac…/Mauvaise humeur (chair !). Dégoût…/Crise hier soir. Sale gueule, tension…/Tabac à l’excès. Impossibilité de dormir…/Je réfléchis, cherche à comprendre…/Que faire ?/Trouver le point de bascule et l’étrangler avant qu’il ne soit trop tard !/Je pense beaucoup à la conférence sans parvenir à m'y mettre sérieusement./Pas de réponse de Francis Dannemark suite à l'envoi de mon texte. Peut-être est-il mécontent.../En fin de repas, coup de fil d'Hervé, puis de Francis Dannemark. Qui me parle de mon texte, qu'il a aimé, mais dont certains points le gênent. Je m'y attendais : cette forme sortie du contexte des publications heurte. Il me propose le retrait de quelques fragments qui gênent la lecture, notamment les passages concernant les livres. Je suis d'accord pour le retrait de certaines choses, la cohésion de l'ensemble primant. Il me demande de même de revoir ma notice biographique : « Il serait dommage que le lecteur reste dans l'ignorance de votre travail. » Oui, sans doute. J'y réfléchis.../À 23 h 00, j'ai ramené M*** chez lui, plus hagard que jamais. Il doit m'appeler dans l'après-midi./J'ai passé une partie de la nuit à la constitution d'Emma sur Qxpress.../Hier, cours-éclair à Roman, puis latin/grec, Le mythe de Pygmalion et l'infinitif futur grec. Au retour, Susan attablée avec M*** dans le jardin. « Vous êtes beaux tous les deux ! » dit-elle. C'est vrai que nous sommes beaux.../Me suis attaché au Livre de mai00 cette nuit. Long travail.../Réponse à Philippe Lejeune.../