Félicien est mon nouvel élève : quatorze ans, doux, timide, terriblement coincé (sa mère m’avait prévenu au téléphone). J’apprends et constate avec stupéfaction qu’au bout d’un an de piano, il ne sait rien. Durant un an, il a été mis face à des partitions auxquelles il ne comprend toujours rien. Son professeur, soi-disant ponte du genre dans la région, n’a fait que lui apprendre des morceaux de mémoire, c’est-à-dire lui indiquer la position des doigts et des mains sur le clavier qu’il devait reproduire mécaniquement jusqu’à les retenir par cœur. Ainsi, il « sait » La Lettre à Élise et le début de la Cinquième de Beethoven par cœur ; ou du moins il l’a su car, évidemment, puisqu’il ne les a pas pratiqués depuis un mois, il les a oubliés. Il a néanmoins réussi à retrouver les premières mesures de la Cinquième dont il nous a fait, à ses parents et à moi, une lamentable démonstration. C’était pitoyable. Il n’était qu’une simple mécanique déréglée qui tâtonne, hésite, plaque accords et notes avec la froideur la plus absolue. Ce type est une ordure (un certain L*** qui, aux dires des parents, fait chaque année une démonstration publique du « savoir » de ses élèves à qui il a mécaniquement fait apprendre un morceau). Tout est à reprendre de zéro. Tout est à prendre de zéro