Saisie directe, près de minuit. Rien de particulier, journée lente, sans beaucoup de travail, voire aucun. J’ai achevé « l’artiste du monde flottant », celui du monde transitoire lié au plaisir, aux geishas, au saké, aux conversations entre hommes dans les bars, encore que, si Hishuguro n’avait pas été japonais (il y est né ; Nagasaki, qu’il a quitté à l’âge de six ans pour l’Angleterre et je peux alors le considérer comme britannique), j’aurais eu quelques doutes. Dans mon souvenir, le monde flottant est davantage lié à l’état de mélancolie, à la langueur dont les geishas, mais pas seulement, font partie, et il me semble que Dalby la geisha états-unienne va dans ce sens. Le doute néanmoins subsiste, et Ishiguro est probablement plus britannique qu’il ne le pense et n’aurait donc qu’une vue superficielle et altérée d’un monde qui, en définitive, lui serait étranger. L’art japonais traditionnel tel qu’il est connu ici fait partie de ce monde, en est probablement une représentation. Mais pas seulement. C’est peut-être de là que provient cette espèce de maladresse que j’ai senti d’un bout à l’autre du texte. Je l’ai dit : la tentative de conférer un ton japonais. En outre, il me semble assez étonnant qu’il n’ait pas eu le souci de donner certaines indications au lecteur, indispensables à mon sens. Ainsi, dans l’emploi ou non du « san » qui est d’une grande importance et définit clairement les relations entre les personnages, même ceux d’une même famille. Aussi, la traduction de noms de personnages ou, peut-être le plus important, celle, à mon avis ça s’imposait, du nom du bar qui revient en leitmotiv, est, d’une certaine manière, le pivot de l’histoire, le symbole de la fracture entre ce monde neuf qui, après la Deuxième guerre mondiale (mais cela avait déjà commencé bien avant et lorsqu’il parle de la guerre, je suis parfois dans la confusion puisqu’il est pour le moins quinquagénaire lorsqu’il raconte cette histoire en 1948, lui peintre formé à l’école de la peinture traditionnelle et qui déjà parle d’une guerre lors de son apprentissage), chasse l’ancien. C’est donc l’opposition entre deux mondes, l’un de l’Est, l’autre de l’Ouest, et c’est ce que dit le nom du bar : migi-hidari, soit « droite-gauche ». Ce n’est évidemment pas innocent et à quoi cela rime-t-il de ne pas en donner la signification ? Il n’empêche que ça ne m’a conféré aucun privilège particulier, ne m’a pas mieux aidé à adhérer à ce texte auquel je pourrais au moins trouver une qualité : celle du brouillage des temps...