Je suis dans mon bureau, en peignoir, il est midi, je lis Hrabal dans le fauteuil à bascule, j’entends le petit Nicanor monter et parler à quelqu’un, puis l’entends dire Guy avant de soulever le rideau et dire : « c’est Guy » ; je vois alors apparaître une gamine qui se plante devant moi ; elle me regarde, ne dit rien, je la regarde et devine à ses traits qu’elle est la fille de Thida. Elle attend je ne sais quoi avec Nicanor à côté d’elle (elle est double de sa taille, doit avoir neuf ou dix ans, me semble grande pour son âge, fait grande Duduche), je ne sais quoi lui dire, finalement dis : « Tu es… ? » Elle me dit son prénom, je dis : « tu es la fille de Thilda et d’Albin, non ? » « oui », et elle ne bouge pas, ne dit plus rien, ni moi, qu’est-ce que je peux dire à cette gamine trop grande pour son âge qui a l’air excessivement timide, une timidité qui lui imposerait la prostration ? Finalement, je ne sais comment, elle disparaît avec Nicanor qui continue à lui faire faire le tour du propriétaire, lui montre la mezzanine, « ça c’est la chambre d’Armel », puis : « ça, c’est la chambre de son frère », puis la chambre de Tashi devenue le lieu des livres d’Éléonore (je n’ai pas entendu ce qu’il lui a dit, dommage), ils redescendent... Que fait-elle là ? Je vais prendre une douche dans le studio (celle du cabinet de toilette est bouchée), remonte en peignoir, ils cavalent au rez-de-chaussée, je m’installe à mon écran, entends une cavalcade dans l’escalier du grenier, vois le rideau se soulever et cette fille timide et trop grande pour son âge surgir dans mon bureau pour courir se cacher dans l’espace de ma boutique, puis, alors que j’entends Nicanor monter et demander « where are you ? » (ils jouent donc à cache-cache), sortir de la boutique pour filer avec ses jambes trop longues se cacher derrière les deux meubles de rangement. Nicanor continue à la chercher, à l’appeler, soulève le rideau, me demande si je l’ai vue, je dis non, il laisse tomber le rideau (pourquoi n’ai-je pas mis une porte, bon sang ?), continue à la chercher en l’appelant, je la regarde qui pouffe dans ses mains, puis met son corps haricot vert en mouvement pour passer le rideau et descendre au premier. Il se passe une demi-heure, je les entends cavaler et hurler au premier, puis au rez-de-chaussée et tout à coup, la voilà qui revient, passe le rideau, va se cacher dans la boutique en courant, Nicanor monte, elle file derrière les meubles en pouffant dans ses mains, il soulève le rideau, me demande si je l’ai vue, je dis non, il disparaît, elle en profite pour sortir de sa cachette et disparaître à son tour… J’ai su au soir qu’elle était ici pour la journée pour un « stage d’immersion ». « Immersion ? » « À l’anglais. Elle est en école bilingue et Thida a pensé que ce serait une bonne idée qu’elle passe une journée à parler anglais ici avec moi et Laura. » Et Nicanor qui lui parlait aussi en anglais. Immersion. Les hurlements, la cavalcade, le cache-cache dans mon bureau en faisaient-ils partie ? (Comment crier, cavaler et jouer à cache-cache à l’anglaise.)... Pour le reste, je poursuis Hrabal ; ça bascule tout à coup après la centième page, soit aux environs de la moitié du texte. Je lisais sans déplaisir cette histoire à la première personne, à la slave et à une époque indéfinie d’un jeune Tchèque qui fait ses armes de maître d’hôtel dans de grands établissements tout en faisant son éducation sexuelle jusqu’à ce que l’époque enfin se définisse : fin des années trente, invasion de la Tchécoslovaquie et le voilà marié avec une pure aryenne