Ça me plaît tout autant que les autres que j'ai lus de lui, ce même ton, ce même climat étrangement hors-temps, cette même écriture enlevée et vive, riche et caracolante, curieux mélange d'emportement, de rudesse (presque) et de finesse qui confinerait parfois à la préciosité. Sans aucun doute, La Varende c'est un style, et j'aime ce style, à tel point qu'il me fait pratiquement oublier le récit, l'intrigue – dont la fin ici confine au grotesque ; j'ai été extrêmement surpris et déçu qui du reste ne fait que se répéter de livre en livre : le jeune aristocrate terrien plein d'allant, de fougue, de feu, amoureux passionné de sa condition, de la femme généralement jeune et d'autre condition (ici, une bohémienne) , de la Normandie et des Normands. Bref, c'est l'apologie d'une certaine noblesse (les hobereaux) qui a le pied à l'étrier ou dans la boue, consciente de sa différence d'avec les autres et tenant à la préserver et à la perpétuer, mais malgré tout vivant pleinement au milieu de ses « gens », domestiques, paysans, commerçants, avec qui elle partage un même amour pour la terre en l'occurrence la Normandie, encore et toujours et Dieu... La trame, les péripéties n'ont, à mon sens, guère d'importance. C'est plus une ambiance, un climat et surtout, comme je l'ai dit, une écriture, belle et complètement originale, même si elle est parfois excessive, car débordante, vorace, boulimique (et même si parfois je tique sur certaines réflexions, certaines allusions dans les rapports entre les personnages, car je sens tout de même, de temps à autre, un peu de condescendance, et, avec la meilleure volonté du monde, La Varende ne peut oublier qu'il est lui-même vicomte et qu'il y a tout de même chez lui la conscience d'une certaine supériorité, pour le moins d'une différence, qui point, même si, sincèrement, il y a un accord parfait, une pleine entente, peut-être même une harmonie entre lui ou ses héros aristocrates et les autres qui, malgré tout, travaillent tout autant pour eux-mêmes que pour lui)... Pour dissiper tout malentendu, je précise que ce n'est pas l'opposition des classes, l'une se sentant supérieure à l'autre (peut-être à juste titre ?), qui me gêne, mais le fait qu'il y a parfois un peu trop d'insistance à vouloir montrer le rapprochement, le nivellement des deux ; si je me fais bien comprendre. Mais je pense que condescendance dit bien tout cela...
23 mai 1990 dans une lettre à Marcel