Sera-ce qu’il fasse le même temps qu’il y a neuf ans ?/Comme c’est drôle : il est 23 h 00, comme il était 23 h 00 hier lorsque je me suis assis au second bureau pour y tirer le cahier, puis le capuchon du stylographe, puis ouvrir le cahier et y appliquer la plume. Cela fait de même la deuxième journée que je n’ai pas allumé l’ordinateur, ce qui fait que c’est de nouveau dans le silence complet que j’écris, deuxième jour que je consacre à des tâches manuelles, deuxième jour que je suis courbatu, et ce n’est pas fini puisqu’il y aura demain, demain qui, dans mon programme, devait se passer en partie chez Thierry, Thierry que j’ai appelé à 20 h 00 pour le prévenir que ce n’était pas fini, que je ne viendrais pas à la répétition, et qu’il fallait absolument que je finisse puisque Joséphine arrive demain soir et que sa chambre est toujours dans le bordel le plus complet./Alex qui m’appelle pour savoir si tout va bien, si j’étais satisfait de la journée d’hier !/Tout est à refaire. Ça m’apprendra à aller au plus près et au pressé et à acheter du bon marché (cheap, n’est-ce pas ?). Ce qui fait que le plafond, malgré deux couches qui m’ont tiré des larmes, est épouvantable, et que je ne puis décemment lui rendre sa chambre dans cet état. Alors : demain acheter une autre peinture et refaire ce maudit plafond et, tant qu’à faire, les murs et le placard. Je passe le détail du fiasco de cette après-midi qui n’offre pas le moindre intérêt./En a-t-il douté ? Ai-je paru manquer d’enthousiasme ? Il m’avait déjà posé la question, à plusieurs reprises, l’après-midi même : « Alors, tu es heureux ? » « Je ne dirais pas heureux, mais content. » « Que ça ? » « Je n’aime pas le mot “ heureux ”, je préfère “ content ”. » Mais en fait, le mot juste me manquait. Il est venu de lui-même durant ce coup de fil étonnant : « ravi ». Non, mieux : « enchanté ». Voilà : « Je suis enchanté ! » Et j’ai renouvelé mes félicitations au maître pâtissier qu’il avait été./Puis nous avons passé la soirée serrés l’un contre l’autre, comme deux moineaux transis, face à deux mauvais documentaires, le premier sur la Mésopotamie, le second sur l’Égypte. Auparavant, il y a eu les actualités glanées au fil des chaînes appelant notre consternation face à l’inanité et à la bêtise racoleuse dont la bousculade qui aurait causé la mort prématurée d’une actrice de cinéma (mais toutes les morts sont prématurées). Auparavant, elle m’avait parlé de son séjour en Angleterre et de son désir d’acheter une maison à la mer. J’ai dit que c’était une bonne idée, puis, comme je m’étais promis d’aller me coucher tôt, je suis monté, et, dédaignant superbement l’ordinateur auquel je n’ai pas même jeté un regard, j’ai survolé ma souffrance, d’où, après de longues minutes de tâtonnements, j’ai tiré La tête de l’hydre de Fuentes. Je l’ai entamé dans le séjour avec ma septième cigarette avant d’aller le poursuivre au lit jusqu’à trois heures. C’était exactement le type de texte qu’il me fallait, soit du roman traditionnel un peu secoué… Sur le noir de l’écran où allaient se projeter mes rêves, j’ai eu un sourire en pensant au réflexe qui immédiatement m’avait fait trouver la signification de Mésopotamie : mesos et potamos, soit « au milieu de deux fleuves ». Tout n’est donc pas vain./À 8 h 00, je me levais. À 8 h 30, il entrait dans la cuisine pour un espresso et une cigarette. Une heure plus tard, nous étions à Géant chacun muni de sa liste. Au total : trente œufs, deux litres de crème fraîche, 2 kg de farine, deux de sucre, trois de prunes, et un ananas, et trois plaques de chocolat à pâtisser et des moules à charlotte, et de là, Nicolas où nous lui racontons toute l’affaire et lui demandons conseil pour une cakeformance devant régaler quarante personnes : « Vouvray, Crémant de Loire, Côteaux de Cassan ! » Il est catégorique. Nous repartons avec trois cartons de six que nous déposons dans la cuisine avant un autre café et une cigarette, avant que je ne place mon micro dans l’un des éléments tout frais installés et avant, enfin, que nous nous y mettions./France-Culture toute la journée. C’est bien le seul point positif de ces journées de bricolage enduites de la perspective du grenier la semaine prochaine qui m’épouvante déjà. Catherine Deneuve papote avec Laure Adler, préliminaires à un poète dont j’ai oublié le nom, mais dont je suis sûr d’avoir déjà entendu les propos (l’être et le « ne pas être », le doute, l’impossibilité de la vérité ; quelque chose de Juliet sans le désespoir abyssal), puis la chronique de Jacquart, puis une émission sur Alain et une autre sur les émigrés, aujourd’hui un Argentin ordinaire, et une autre à propos d’un certain Machado qui a publié un livre-CD conte pour enfants, et une dernière, agaçante, sur les mots d’une langue à une autre, héritage, emprunt, etc., du réchauffé, avec une espèce de fat qui proclamait que la prononciation polonaise est simple, que c’est une langue facile et qui déplorait en ricanant que les noms propres étrangers soient prononcés à la française. Il se gausse : « Ah ah, que les Français sont bêtes ! » Comme si je riais de la prononciation de mon nom et que j’exigeais qu’il le soit à la polonaise. Un con./Il était 10 h 30. À 14 h 00, je devais arrêter pour accompagner Susan chez Jaqui et Luc à l’occasion du baptême du petit Max. Suite donc au lendemain matin, et priorité donc aux desserts froids à préparer la veille et aux chauds qui supporteraient bien la nuit. Alex, qui avait abandonné les macarons exigeant une trop longue préparation, a dressé sa sélection finale : nougat glacé, deux charlottes, délice au café de grand-mère (la sienne en l’occurrence) et mousse au rhum et aux zestes de mandarine. Pour ma part : tiramisu, clafoutis aux prunes, baba au rhum, Juliette et un Gabriel révisé. J’ai commencé par le tiramisu, lui par le délice au café ; j’ai choisi ensuite le clafoutis, lui le nougat glacé./J’ai dormi un bon neuf heures. Ce n’est pas pour cela que je me sens mieux. Bizarrement, ma première pensée en m’agrippant au premier réveil a été pour Monique qui, à 53 ans, est à la retraite et pétille de bonheur./De la discussion hier soir, les derniers convives de cette journée radieuse, dans le séjour, autour des tables basses improvisées : Dieu, la souffrance, la vie et la mort, la notion d’épreuve et cette réflexion mienne comme une conclusion : « La vie, c’est extraordinaire. » Qui a fait hausser les sourcils à Wanda : « Pourquoi extraordinaire ? », avant qu’elle nous raconte, comme si elle y avait vu un lien, Cendrillon à sa manière. Elle qui m’a raconté ensuite ses randonnées en canoë-kayak sur les lacs paradisiaques de sa région natale, 15 jours durant avec le bivouac, les lacs de l’un à l’autre reliés par des canaux, avec l’eau à plus de deux mètres du bord du fait de la sécheresse cette année. Et Sylvie qui, alors que nous grignotions des flamkuches, puis du boudin aux pommes de terre posés au centre de notre bivouac urbain et roubaisien entamera une discussion sur l’événement de ce week-end, la mère qui avait « euthanasié » son propre fils. C’est du reste, je crois, de là que tout est parti./Et la seconde, alors que je tendais la main vers le second sans réussir à l’atteindre, pour le « je » dans le « jeu », le « am » dans le « game », le « io » dans le « gioco », l’ « ego » dans le « lego ». (Malheureusement, pas d’ « ich » dans « Spiel » encore qu’il ne soit pas impossible de l’entendre lorsqu’il est prononcé : « schpil ».) (Et comment dit-on « jeu » en japonais ?)/C’est après leur départ que je me suis aperçu que je n’avais plus le moindre brin de tabac. Seule solution : entamer le don de Bob. Mais devais-je commettre ce sacrilège d’inhaler la fumée des cigares au nom de la soif de mes poumons ?/Beau, chaud, quoique quelques nuages passent par le Velux au-dessus de mon bureau. Que faire pour les repousser ?/J’ai moins mal, mais j’ai encore mal. Aïe cou. À présent, il pleut. Les voisins sont d’un calme exemplaire. Comme je le disais à Yann qui mangeait dans la cuisine en compagnie de Susan et d’Émilie : « Il y a peut-être eu une fuite de gaz dans la nuit et ils sont tous morts. » Comment peut-on provoquer impunément une fuite de gaz chez des voisins ?/(Et comment dit-on Velux en français ?)/À son retour d’Angleterre, Susan m’a remis une grande enveloppe de papier kraft : « From my father » qui vient d’être opéré, est en réanimation. À l’intérieur se trouve tout son matériel de fumeur : deux briquets jetables dont l’un pratiquement à sec, des cigarillos et quelques cigares de diverses tailles. « Pourquoi ? » « Parce qu’il n’en aura plus besoin et que tu es le seul fumeur qu’il connaisse. » C’était touchant et en même temps terrifiant. C’était exactement comme s’il s’était apprêté à mourir, comme s’il avait eu la vision de sa propre mort, et je n’ai pu m’empêcher de relier cet étrange cadeau aux photos prises au Noël dernier. J’avais tout remis dans l’enveloppe en me demandant si j’allais l’utiliser ou non, ou, plus justement, si je devais l’utiliser. Superstition, et là encore, les photos. J’avais déposé l’enveloppe sur le sofa de mon bureau et il n’y a qu’aujourd’hui que je l’ai prise et en ai vidé le contenu qui se trouve à présent à ma gauche. Si je l’ai prise, c’est parce que je me suis aperçu que le briquet jetable que j’utilise habituellement à mon autre bureau avait disparu. J’ai pensé aller chercher le Zippo au rez-de-chaussée, puis me suis souvenu de l’enveloppe et des deux briquets qui s’y trouvaient. J’ai tout vidé sur mon bureau, et, après hésitation entre le plein et le vide, me suis servi du second. J’ai allumé mon énième cigarette. Je n’ai pas compté, tout comme hier. Je ne suis sûrement pas loin de dix…/Dixième d’ailleurs en découvrant l’émail que Francko m’a envoyé : son lexique et sa grammaire de japonais qu’il tient sur ordinateur, contrairement à moi qui utilise toujours la main et des petits carnets. Je comptais m’en servir pour imprimer ma dernière découverte : nikki, « journal intime » quand je me suis aperçu que son lexique ne possède pas le ki             pour « rapporter »./Il y a : un étui contenant un Partagas ; un sachet d’un assortiment de Jose Gaspar, cinq modèles de différentes tailles ; une boîte de Hoyo de Monterrey bien entamée ; un petit cigare dont je ne parviens pas à lire le nom ; un emballage non ouvert de vingt-cinq cigarillos Hamlet. Question : vais-je les entamer ? Et cette autre : où vais-je les mettre ?…/Après les cervicales, les lombes. Ça n’en finit pas. Les douleurs commencent à s’estomper. Mis à part une sortie pour le tabac qui s’est achevée à la Condition Publique, puis une discussion à table avec Yann et Émilie au sujet de Roubaix, je n’ai pas quitté mon poste face à l’écran pour la suite de Praha-Lucca. À ma gauche et devant moi, sont dépliées deux cartes d’Europe d’échelle différente. J’y suis, avec le plus de précision possible, le périple de mes trois personnages./Parmi eux, s’étalent mes affaires de japonais : le tome I de Parlons japonais, le livre des kanji et les quatre carnets que j’utilise quotidiennement et scrupuleusement tout en me posant la question de leur intérêt puisque j’oublie pratiquement tout de leur contenu. Je n’y ai pas jeté un œil hier, et je ne suis pas sûr de le faire aujourd’hui… (Demain, arrivée d’Andrew et de Natacha, puis de Joséphine et de deux de ses amis !/Tous trois se rendaient à la Condition Publique. J’ai vaguement promis de les y rejoindre après mon retour du Romarin pour du tabac. Nous sommes sortis ensemble de la maison, j’ai pris la direction du café Les Olympiades en en cherchant, comme à chaque fois que je passe devant, le rapport du nom avec Roubaix. Contre toute attente, c’était ouvert. Je m’en suis étonné. « Sept sur sept », a clamé le serveur en me rendant la monnaie. J’ai donc pu y acheter mon tabac et aller directement à la Condition. Je n’en ai vu qu’une partie, celle de droite à l’extrémité de l’avenue de Beaurepaire où je n’avais jamais mis les pieds. Je ne sais si le reste était accessible, mais je souffrais trop pour poursuivre. Il y a une salle à verrière, une terrasse sur le toit avec des plantes de laboratoire, et, au rez-de-chaussée, un restaurant et un café assez attrayants, puis quelques autres salles que je n’ai vues que rapidement. Nous avons pris un verre au café jaune où figurent trois toiles urbaines naïves qui m’ont très intrigué./(J’ai retrouvé mon briquet posé sur la quatrième marche de l’escalier menant au grenier, bleu nuit confondu avec le marron brun du bois.)/Je lis Proust par Sollers, je suis en plein dedans. Et puis tout à coup j’entends un bruit, bruit d’une tôle qui tombe sur le sol et me fait sursauter. Je lève les yeux vers l’origine présumée et probable de ce bruit. Il y a un jeune gars à casquette étatusienne contre la fenêtre au-dessus de moi, un ouvrier qui auparavant faisait aller son motoculteur dans la pelouse entre les fenêtres et l’autoroute. Il avait abandonné son engin, s’était approché de « ma » fenêtre pour propulser je ne sais quel bac contre le sol. Je ne l’avais pas vu, je lisais. Et jetant son machin qui résonne et me tire de mon bain, il s’éloigne sans m’avoir concédé un seul regard. Du moins, je crois. Peut-être ne m’a-t-il pas vu, peut-être du fait de l’angle ne peut-il me voir. Il n’empêche que ma première réaction outre le sursaut, c’est d’avoir fermé le livre et de l’avoir poussé devant moi sur le bureau afin qu’il échappe à son regard. Je ne voulais pas qu’il me voie. Pourquoi ? Ai-je, durant cette fraction de seconde, senti comme de l’indécence à être là en train de lire tandis qu’il crapahute avec son truc durant toute la journée ? (De l’abîme entre deux mondes, le sien et le mien, tout à coup confrontés – où est-il à présent ?)/Mon lundi. Rentré de Venise cette nuit. À 11 h 00 étions chez un vétérinaire un peu étrange de Lys pour y déposer les deux chattes. Nous sommes allés les rechercher à 18 h 00, toutes deux désormais stériles et tatouées. Depuis, elles traînent à moitié groggy, la grise sur le palier du premier, la noire je ne sais où. Pas dehors, j’espère, d’autant qu’il avait préconisé, après avoir empoché les huit euros cash pour deux cachets destinés à les remettre d’aplomb et qui, à mon avis, ont plutôt l’effet de les transformer en plomb, de les garder au chaud. Au chaud ? Nous sommes rentrés pour constater que la cuve était vide et depuis nous sommes dans une glacière. Où est-elle donc passée ?/Je l’ai rouvert pour tomber sur ce passage : « Un peu plus loin, le palais du consulat de France (où il est scandaleux que l’on ne m’ait pas encore proposé un appartement de fonction pour développer, à loisir, une beauté de la prose française dont on n’a pas encore l’idée). » J’ai éclaté de rire. C’est exactement ce que j’aurais pu écrire./Au retour, nous sommes allés tester les Jardins Pamplemousse, le restaurant de la forme qui remplace désormais l’ancienne épicerie arabe, là où il y a un an un ouvrier se fracassait le crâne en tombant du deuxième étage. Ça n’ouvre que le midi. Antoine y est allé qui m’avait dit que c’était bon et plein à craquer. J’avais eu du mal à y croire. Et en effet, c’était plein à craquer ! La nourriture, évidemment, est axée sur les légumes, les fruits, la viande maigre et transparente. L’intérieur est high-tech et le slogan hardi : « Le corps, oui ; la tête, non ! » avec, en guise d’illustration sur le menu joliment tracé à la gloire de la santé des cellules et glissé sous les plaques de verre des tables, une demi-douzaine de fautes d’orthographe. Il n’empêche : il n’y a pas de quoi casser trois ailes à un poulet. La clientèle est jeune, bien mise et volontaire, et sort de je ne sais où. Des bureaux et des écoles aux alentours, dit Susan. Quels bureaux ?/(Alfred m’agace avec son dynamisme, son tonus, sa joie de vivre. Et puis il fait semblant. Moi, je ne fais pas semblant.)/Pour le reste, j’ai fait des comptes et me suis attaqué avec joie à une nouvelle traduction : le football transfrontalier, soit un projet visant à installer les terrains à cheval sur les frontières, France-Belgique, Belgique-Angleterre, Angleterre-France. Soleil toute la journée, comme à Venise, avec le même froid, sauf que ce n’est pas Venise. J’en ai du reste été affligé une bonne partie de la journée… (Le fuel passe demain après-midi, entre 13 h 00 et 17 h 00. J’aurais donc une après-midi de libre.)/(Qu’est-ce qui m’a fait croire qu’une semaine manuelle me ferait du bien ? Après deux jours de labeur, je suis exténué et j’ai la tête complètement vidée. C’est complètement idiot !)/Nous sommes rentrés samedi vers 23 h 00. Alors que j’atteignais le palier du premier, elle a surgi pour aller se réfugier dans la salle de bains. Depuis, nous ne l’avons plus vue… Le lendemain, j’ai regardé sous la baignoire, puis dans le grenier où elle aurait pu se faufiler sans que je la voie ; puis dans la dépendance. Avant-hier, j’ai passé en revue chaque recoin des pièces de la cave, hier de la dépendance. En vain. Elle n’a jamais franchi le seuil de la porte d’entrée, ni le faîte du mur du jardin. Elle ne peut être que dans la maison. Mais où ?…/(Il est minuit passé, Paul vient de rentrer. Il claque la porte d’entrée sans le moindre souci du sommeil de sa mère. Il fera de même avec la porte de la salle de bains, puis avec celle de sa chambre. Du coup, je retire mes chaussons, mes petites moufles et me mets à chanter…)/Les deux jours qui ont suivi son opération, elle ne semblait pas très en forme. Puis ç’a été mieux et elle s’est remise à manger. Puis, durant deux jours, elle a refusé toute nourriture. Puis elle s’est remise à manger et à reprendre ses habitudes, soit se percher sur la tablette du radiateur de la cuisine ou celle du bassin des vœux. Puis nous sommes partis pour Rome…/(J’ai réfléchi : ce que j’ai d’étrange en moi depuis quelque temps pourrait se formuler ainsi : j’ai quelque chose à régler avec ma vie.)/Hier, alors que je fouillais la dépendance, la chatte grise est entrée pour aller se jucher sur le congélateur. Je me suis approché et, à tout hasard, ai jeté un œil dans l’espace qui le sépare du mur. Elle s’y est faufilée, puis s’est glissée derrière un tas d’objets divers qui comblent ce coin de la pièce. Je l’ai regardée disparaître derrière une plaque en carton de guingois qui, je ne l’avais jamais remarqué, retenait le tout. Elle a réapparu de l’autre côté. M’est venue alors l’idée que la chatte noire, dont l’état se serait tout à coup aggravé, serait venue là mourir. C’est du reste l’idée qui me poursuit depuis lundi : celle qu’elle se soit cachée pour se laisser mourir. Peut-on s’attendre à un tel comportement chez l’animal ?…/Janusz m’avait dit que Françoise savait tout, qu’elle pouvait tout expliquer. Elle est venue hier et c’est la première chose dont je lui ai parlé. Elle me dit : « Oui, j’ai le découpage et tout y est. » Puis ajoute que le film est plié en deux, que la boîte est la charnière, puis que Lost Highway est construit comme un anneau de Moebius. Un déclic s’est alors produit : le pli, l’anneau ; et de là, la spirale !… En guise de pellicule, j’ai pris un calendrier…/J’ai commencé à dégager une partie de ce coin. Puis, pour je ne sais quelle raison, je me suis arrêté. Pour une part, il y a ma phobie des araignées. Mais la raison principale était que j’avais peur de la découvrir dans ce creux en train de mourir…/Je viens d’achever la transcription des notes de Rome avec ajout de commentaires. J’avais commencé hier. Interminable. J’avais prévu de consacrer cette journée à Dot. Je l’ai relu ; de nombreuses choses à changer, beaucoup de temps encore à y passer si je veux obtenir un résultat plus ou moins satisfaisant. Je comptais imprimer cette semaine. Que faire ? Je crois que je vais bâcler le travail et tout laisser tel quel. Ne puis-je, de temps à autre, me permettre un peu de relâchement ?/(Non !)/Mais eux se le permettent bien : Pompéi, « docu-fiction », nouveau genre. Celui-là est de la BBC. Hilarant. Je me suis assis à ses côtés pour regarder cette triste débandade, puis pour suivre un accablant reportage d’investigation sur Michael Jackson mené par un journaleux anglais aux accents répugnants de juge, de flic, de potentat, tout à la fois./« Devenez chercheur d’or ». Chic. Nouvelle exposition de la galerie de V2 : de faux cow-boys, une fausse cascade, du faux or, des vieux bouts de bois, un rodéoïste sur sa vache : culture. En traversant cela, ému par ce souci insigne visant au rapprochement des peuples, je songeais à ma prochaine cigarette au retour ; me demandais à quoi j’allais la consacrer : japonais, lecture, écriture ou journal (les deux se distinguent, on ne les confondra pas) ?/A-t-elle été psychologiquement perturbée ? Des idées suicidaires peuvent-elles naître dans la tête d’un animal ?/Puis un documentaire sur sa transformation, tant mentale que physique. D’une certaine manière, l’évolution de cette sorte de robot détraqué est fascinante. Et son histoire, contrairement à ce que l’autre s’échine à nous faire croire, n’est en rien pitoyable. La métamorphose graduelle qu’il « s’inflige » est fabuleuse. À lui seul et à son insu, il illustre le principe d’une civilisation, incarne l’état actuel de la modernité et pourrait être un symbole du troisième millénaire commençant ; un phare, un indice, une piste pour les décennies à venir. Parallèlement, son état mental se dégrade (ou évolue ? change, en tout cas). Ces deux états confondus, en parfaite coïncidence, sont-ils inéluctables ? Pouvait-il en être autrement ?/ (Du « mystère » [sic] du bracelet et de son inscription retrouvé dans les scories d’une villa ensevelie : DOMINUS ANCILLAE, « le maître pour la servante ». En quoi est-ce mystérieux ?)/Et je pense à Orlan qui, d’une certaine manière, agit pareillement. À cette différence près qu’elle a un prétexte, une démarche ; qu’elle garde le contrôle et parle d’art. Mais le fait que lui ne maîtrise pas consciemment sa transformation accroît encore la fascination. Je crois que c’est cela qui est fascinant : ce qu’il devient malgré lui…/Thierry est arrivé, nous sommes directement montés au grenier pour nous remettre enfin aux duos après quelques années d’interruption. Ça n’en finira donc jamais ! Nous avons bien ri en nous remémorant cette illustre et édifiante période des répétitions de la rue Manuel dont la seule trace physique est une succession d’enregistrements dont aujourd’hui je ne peux absolument rien tirer. Nous avons vu avec quelques difficultés Philippe et Jacques avant de nous attaquer à Henri/Joël. C’est prometteur, et j’aime beaucoup la seconde. J’ai été très content de me remettre à chanter, même si m’est sauté à la figure le constat implacable que ma voix avait encore perdu deux tons./L’état actuel de son visage touche à la monstruosité. J’attends de voir jusqu’où cela ira ; et s’il vivra encore longtemps, et si oui, comment il sera dans dix ou vingt ans, et ce que sera son visage dont le nez frôle l’inexistence.../Au retour de l’aéroport, nous nous sommes arrêtés à Mouscron, manière de boucler tout à fait le voyage avec une frite et une bière. Après quelques tours autour du centre de cette ville invraisemblable en matière de signalisation routière, nous avons abouti à La Paix sur la place principale. Bondé, animé. Samedi soir. Clientèle très diverse et gaie. Des familles populaires, dont celle qui s’est pressée autour de la table à côté de la nôtre ; et puis le couple un peu plus loin, lui calvitie avec une longue mèche noire qui lui tombait sur le front, couple d’un certain âge qui de toute évidence jouissait de cette soirée autour d’un plat de je ne sais quoi qu’ils avalaient avec délectation ; et puis cette fille qui ressemblait tant à l’une des sœurs de Sylviane. Comme il n’y avait pas de frites, nous nous sommes contentés de la bière seule, Blanche Susan, et moi qui découvre l’Augustin, proche de la Moinette, que je trouve excellente et dont véritablement je jouis avec une portion de fromage./(Non : il est voué à une mort « prématurée » ; c’est écrit, fatal. Michael est le petit-fils d’Elvis.)/Au matin, j’ai traîné en robe de chambre entre la fin de Préférer la peau et un survol du guide sur Rome de Susan, Susan qui s’étonne que je n’accorde d’attention aux guides qu’une fois rentré. À quoi un guide pourrait-il me servir sur place ? À La Paix, nous avons eu une discussion autour des compagnies « bon marché », et de la différence entre Virgin et Ryanair. Elle dit préférer Virgin et lui faire davantage confiance (mais elle a un petit faible pour Branson : de l’avantage d’être beau garçon chez les ploutocrates)./Peu de temps après, est arrivé Rodolphe qui cherche désespérément un traducteur pour la rubrique Aide d’un nouveau logiciel de scannage de plans : deux cents pages à livrer dans dix jours. C’est urgent. Je refuse, c’est trop technique. Mais il a déjà mâché le travail, a un glossaire. Je me ravise. Mais tout cela me tend au plus haut point. Gros travail dont je n’ai pas envie et que ma « conscience » pourtant m’interdit de refuser, pour lui qui est dans l’embarras, pour Susan à qui il a fait en premier la proposition. Son idée en outre est d’utiliser le nouveau logiciel de traduction de Susan, qu’elle ne maîtrise pas encore, qui ne fonctionne pas très bien. S’ensuivent des essais, des manipulations qui, routine de la pratique informatique, gonflent les minutes en heures pour ne pas mener à grand-chose : je la ferai « à la main » et en compagnie de Word./Une cloque énorme à mon pied gauche, rapportée des rues de Rome foulées à grands pas des heures durant. Souvenir. Vais-je la conserver ?/En définitive, il mange avec nous. Il est de ma génération, est de Rouvroy. Il évoque des souvenirs d’enfance, auxquels, évidemment, je ne peux lui renvoyer les miens, encore qu’il y ait celui de la bière de table à la cantine du lycée et à la maison aussi bien, ce qui époustoufle Susan : « Quoi ? De la bière aux enfants ? » Mais il n’est pas impossible que je l’aie rêvé. Puis il nous parle de sa vocation ratée : l’image, le documentaire. « J’aurais adoré faire ça : du documentaire. » « Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? » « Je suis d’un milieu ouvrier, mon père voulait que je réussisse, aie une situation normale. Et puis, sans doute que je n’ai pas rencontré les bonnes personnes. » Il mentionne sa rencontre avec Jean-Paul et sa bande de révoltés politiques aujourd’hui tous ramollis et banalisés. En effet, ce ne sont pas les bonnes personnes. « Et maintenant, à 50 ans, c’est trop tard. » « Pourquoi trop tard ? Si tu es assez jeune ou vieux pour faire ce qui ne te plaît pas, tu l’es pour faire ce qui te plairait. » Il sourit, un peu interloqué. « Et 50 ans, c’est un bel âge. L’âge mûr pour faire du documentaire. » J’ai lancé cela un peu au hasard, pour faire l’intéressant, mais au fond, c’est vrai que c’est un bel âge pour faire de l’image./« Rok, ce n’est pas six en japonais ? » « Non, c’est roku. » « Et roku, ce n’est pas les ans en polonais ? »/Il m’a demandé ce que j’avais fait après le lycée. C’était le moment de tester un inédit : le concentré autobiographique, en ayant à l’esprit de lui faire sentir qu’il n’y avait pas de fatalité, qu’en définitive, tout résidait dans le contrôle des compromissions. Il a écouté, avec un imperceptible sourire, sans me poser la moindre question, sans peut-être s’y intéresser. Susan me dit qu’il a une vie assez perturbée, sa femme qui l’a quitté, etc., et qu’il est seul, et un peu triste…/Me voici à la Malterie, cet endroit qui d’ordinaire m’oppresse, mais pour lequel, bizarrement, je me prends aujourd’hui d’une certaine affection. Il y a une trentaine de personnes. Je bois un café au comptoir. Francko arrive, suivi de Frédérick. J’ai mon sac contre mon coude, bonnette en évidence ; il ne m’est pas difficile d’enclencher la chose à l’intérieur et d’immortaliser quelques sons. Puis je vais m’installer au milieu de la dernière rangée des chaises, devant la table de mixage à côté de laquelle je pose le micro. C’est Entreprise de Main d’Œuvre Sentimentale, deuxième concert auquel j’assiste. Une petite heure, six pièces dont certaines déjà présentées à la Renaissance quoique dans des versions différentes. Parcours tonique et dynamique, d’entente et de cohésion. Unité indéniable. C’est un groupe, un ensemble et petit à petit un son va se former./(« Il y a âge dans image, et ima, c’est maintenant en japonais, non ? »)/Neuvième, il est 2 h 42. Après, j’irai me coucher. Demain, j’entamerai ma sixième journée de congés, congés durant lesquels je n’ai pas fait grand-chose. Période de transition, sans doute. Mais entre quoi et quoi ? Je me dis que c’est entre le dernier Rok, suivi du Journal sonore, et ce qui va suivre, soit Dot qui stagne et qui devrait être déjà terminé. Je ne fais qu’y jeter un œil de temps à autre. Pas par manque de conviction, mais par paresse. En même temps, je pense au prochain livre, au prochain Journal sonore. En exergue du premier numéro, figure : « Je me disperse trop. » À force de me disperser, j’en arrive à n’être plus que de miettes formé. C’est vers cela que je me sens tendre… (Tendresse pour la miette.) Je suis fatigué, ne me sens pas très bien. Dodo. (J’ai en tête de ne pas reprendre le boulot demain…)/Je me retrouve au comptoir avec Frédérick. Les musiciens ont disparu, le matériel est rangé et, à un moment donné, bruit dans l’air la rumeur qu’autre chose va commencer. Je pose la question à la jolie jeune fille dont les épaules lissent servent de piste de luge à une ratte blanche. Oui, il y a un autre groupe. Elle ne sait exactement lequel, sait seulement qu’il s’agit « aussi de free jazz » [sic]./J’ai téléchargé un dictionnaire de kanji. Mais en anglais et à titre de démo. Ce qui fait que le clavier est anglo-saxon et que bientôt il va disparaître de mon écran./J’avais remarqué en arrivant un petit homme assez âgé, l’air digne et porteur d’un nœud papillon qui dénotait parmi le public habituel de la Malterie. Je l’ai retrouvé sur la scène avec un violoncelle entre les jambes. À côté de lui s’est installé un autre musicien muni d’un énorme tuba, et à sa gauche un autre avec un instrument identique de dimension moindre, et à la gauche de celui-ci un saxophoniste basse et enfin, pour achever le demi-cercle, un contrebassiste. Je m’étonne de cette formation entièrement axée sur les graves. Quel son peut-on sortir d’un ensemble aussi pesant, sans percussion, sans rythmique ? Je suis allé remettre mon petit matériel à sa place devant la table, ai rejoint Frédérick. Ça a commencé. Frédérick est allé s’asseoir. J’ai attendu un moment au bar, puis suis retourné finir ma bière près du micro. Sylvette, à un moment donné, m’a rejoint. Nous avons échangé un regard, puis elle a exprimé à haute voix ce qui, obscurément, tendait à se former dans mon esprit : « C’est chiant ! » Nous avons encore écouté un moment avant de regagner le comptoir où j’ai fini ma bière, où Alex, l’amie de Sylvette, m’en a payé une autre, et où, au fil de ces sons qui n’étaient qu’une caricature de ce qu’une musique improvisée pouvait avoir de pire, elle m’a parlé avec fièvre de leur rencontre, dans une tour catastrophique à Rouen, avec un chanteur oublié…/Pendant son téléchargement, j’ai fait deux heures de japonais en jetant de temps à autre un regard sur Rashômon et Les sept samouraïs au sommet de la pile des DVD en attente à la gauche de mon bureau et desquels j’ai prélevé hier Made in USA, énième ode à Carina Anna. Sur la pochette : « Avec Marianne Faithful et Jean-Pierre Léaud » : elle chante As tears go by sans son Mick ; lui ne fait que traverser muet. Puis Le petit soldat, magnifique, et hier l’indigent et inutile Pas de lettres pour le colonel, Ripstein. À quoi sert de faire un tel film ?/Je prépare les anciens numéros de Journals à l’attention de Sylvette./Laurent m’a apporté son exemplaire des années soixante de Marguerite pour que je puisse faire une comparaison des traductions. Il nous a aussi remis un extrait de l’un de ses projets. Il m’en avait déjà parlé, long enregistrement de solos de saxophone qu’il ne savait comment utiliser. Il a eu l’idée de les fragmenter et, à partir de chacun des morceaux, de constituer un mini CD. Il y en a plusieurs dizaines. Il offre chacun d’eux bellement habillé et personnalisé. Chacun possède un exemplaire unique, numéroté et signé, d’une portion de l’enregistrement initial. J’ai le 19, Susan le 20. Je lui envie l’idée./Il est parti à 5 h 00. Le temps de ranger un peu et de renoncer à la vaisselle, il était 6 h 00. Je suis allé me glisser dans le lit avec une petite foule de kanji dans la tête. Laurent était parti deux heures auparavant et de son départ jusqu’à celui de Francko, nous avons encore parlé du Japon et de là du projet de notre apprentissage de la langue en commun. (En enfilant sa veste, il a eu quelques mots à propos de C*** ; c’était la première fois qu’il m’en parlait. Puis d’un coup, il s’est tu, et est resté ainsi, le regard dans le vague avec un léger sourire sur les lèvres, peut-être dans l’attente que je parle d’elle, que je lui pose des questions ; ce que je n’ai pas fait, retenu par je ne sais quelle espèce de pudeur que je ne m’explique pas…)/« D*** drinks ! » m’a dit Susan la semaine dernière, mardi soir, précisément. Le mardi, c’est le jour où D*** vient faire le ménage. Sur une petite table dans la cuisine reposent les deux bouteilles de saké auxquelles ni elle ni moi n’avons touché depuis le soir du repas chinois. Elle m’a indiqué la chinoise dont elle avait remarqué la baisse de niveau. « Tu es sûre ? Tu as demandé à Paul ? » Ce n’était ni elle, ni Paul, ni moi. Qui alors sinon D*** ? Mais était-ce imaginable qu’elle, petite Polonaise pieuse et fragile, se nourrissant de pelures de pommes et d’un demi biscuit, et pour qui l’alcool ne peut être qu’une cochonnerie sans nom, puisse s’être mise à la boisson et, de surcroît, le faire chez nous ?/Le Chenin de Laurent ; le Condrieu que j’ai sorti et qui, à ma grande déception, n’a suscité aucun commentaire ; un Cornas 1994 de la cave en voie de madérisation qui bizarrement a plu alors que j’ai eu du mal à finir mon verre et que j’ai remplacé par un St Joseph 1997 de chez Bernard celui-là parfait. Il était un peu étrange de se retrouver à la maison alors que nous nous étions tous vus la veille au concert. Au départ, il s’agissait d’inviter Laurent, Francine et Olivier pour fêter le retour de Francko. Francko est rentré, du temps a passé, les dates ne concordaient pas et il s’est passé plus d’un mois durant lequel tous trois ont eu largement l’occasion de le rencontrer. C’est dire que cette réception de bienvenue avait quelque chose d’éventé. Ça n’a gâté en rien la soirée, durant laquelle FR3 s’est accaparé tout de même le gros de la conversation. Mais bon. Ce n’est qu’au terme de mon chou farci que Francko a commencé à raconter son voyage. Olivier m’a eu l’air mal à l’aise, un peu perdu, je ne sais pourquoi. Comme intimidé./J’avais fait un repère sur la bouteille. Aussitôt rentré, j’ai vérifié : il a baissé d’un bon centimètre. J’ai questionné Paul, puis Susan. Non, ils n’y avaient pas touché. Alors, qui sinon elle ? Je n’arrive pas y croire, c’est de l’ordre de l’inconcevable. L’enquête suit son cours./J’ai apporté à maman quelques unes des reproductions qu’elle m’avait demandées : des Impressionnistes et la Madone à l’hermine de Vinci que j’avais déjà encadrée. Elle a choisi un Renoir que j’ai mis sous verre. Nous avons alors passé un petit moment à revoir l’agencement de ses cadres dans le séjour. Puis elle m’a de nouveau parlé de la croisière à Venise, six jours en bateau dans la lagune : Venise, Padoue, Chioggia, Murano, Burano, et excursions facultatives. Il lui serait évidemment impossible de marcher dans Venise, mais elle pourrait toujours se rendre à San Marco et au Palais des Doges si, comme je le pense, le bateau accoste près de la Via Garibaldi ; et elle pourrait toujours prendre le vaporetto, la ligne 1 qui l’emmènerait le long du Grand Canal jusqu’à la gare et retour, et la déposer place St Marc. Je la sais assez débrouillarde pour dégoter une quelconque personne qui l’aiderait./Je suis passé chez Frédérick, cette fois-ci chez lui et non à son bureau, afin qu’il m’explique les rudiments de Soundforge pour la conversion de l’analogique en numérique dans le cadre de la confection de mon CD. Anne, en congé parental, préparait le repas. Il y avait aussi la mère de Frédérick ; et Adèle, la petite Adèle, dont j’avais complètement oublié l’existence. Anne a un peu perdu de sa grâce dont Adèle en petite voleuse doit à présent profiter. Adèle qui crie comme il sied à un enfant d’un an, tandis que Simon n’a rien perdu de sa vitalité, ce qui fait que la leçon a été particulièrement mouvementée. Je n’étais pas mécontent de partir : aurais-je pu supporter une telle agitation autour de moi dans une autre vie en compagnie d’enfants ?/(Au retour, alors que j’attendais au feu à St Sauveur, deux camions qui passent portant des éléments de l’affreux Mézières. Où vont-ils emporter ces cochonneries ?)/La fois précédente, elle m’avait parlé d’aller à Souchez visiter un moulin restauré et agrémenté d’une cascade, tous deux vantés par le quotidien local. Nous y sommes allés aujourd’hui pour découvrir un filet dans une auge et quatre bouts de pierre recimentés. Il était 16 h 00 lorsque nous sommes rentrés. Je venais de m’installer à la table de la salle à manger afin d’y entamer mes découpages, les découpages dans le cadre de mes « anciennes » archives de cinéma, celles-là même que j’ai abandonnées le 12 septembre de l’année dernière. Il m’en restait un gros tas à terminer avant leur classement définitif dans les dossiers. Cela traînait depuis des mois et je m’étais dit que cela pouvait se faire chez maman. Je venais de m’installer lorsque j’ai entendu frapper. Frapper et non sonner, ce qui m’a intrigué. C’était faible, j’ai cru m’être trompé. Puis ça a recommencé, un peu plus fort. Je me suis levé, suis allé jeter un coup d’œil à la fenêtre de devant. Il y avait une voiture dans l’allée, une voiture qui m’était inconnue. Je suis alors allé à la porte, que j’ai ouverte et qui n’a révélé que le vide. J’ai dit : « Oui ? » Une ombre s’est inscrite sur la gauche et il est apparu. C’était Henri…/J’ai posé sur mon pupitre le courrier de J.F.B. arrivé ce matin et accompagné d’une carte postale représentant une vue de la Grand-place de Roubaix à la fin du XIXe siècle. Dans le coin inférieur droit : ROUBAIX LA NOBLE. Au verso un petit historique : Pierre de Roubaix qui fait construire un château en 1465 et Isabeau, sa dame, un hôpital quelques années plus tard. Peut-on imaginer que cette agglomération moite ait été un jour aristocrate ?/Je sèche sur le latin. Je suis désespéré, découragé. Tant d’années pour n’en arriver qu’à une simple approche, une amorce de compréhension. Mais il en va de même pour le français. Mon vocabulaire est de plus en plus pauvre, pauvreté que je lie parfois à une déficience, à une perte irrémédiable d’ordre neuronal qui n’irait qu’en croissant, et ce que je viens de regarder n’est pas fait pour me rassurer : Se souvenir des belles choses de Zabou, aujourd’hui Breitman, histoire d’amour entre deux patients d’une clinique pour malades de la mémoire, elle atteinte de la maladie d’Alzheimer (à son âge ?) et qui doucement sombre dans la démence. Terrifiant. J’ai relié ce cas au mien pour en faire une unique tablette à sucer lentement jusqu’à ma disparition complète./Je l’avais vu à l’enterrement de son père, il y a un an ou deux ; dix ans s’étaient écoulés depuis la fois précédente où nous nous étions croisés près d’un stand aux puces de Méricourt à l’époque de Billy. La fois précédant cette fois-là remontait à la nuit des temps. Je devais l’avoir vu deux fois en vingt ou vingt-cinq ans. De la même manière, cela faisait plus de vingt ans qu’il n’était pas passé voir ma mère, sa tante. D’où la surprise, la mienne autant que celle de maman, même si, après le décès de Danielle, il lui avait promis de passer. Elle avait prise cette promesse pour une formule. Mais il était là…/J’avais prévu d’en faire part à R*** : quels sont les premiers symptômes indubitables de la dégénérescence intellectuelle ? Mais à peine étais-je assis qu’il m’a demandé : « Est-ce que votre disque a plus de succès que vos livres ? » Nous en avons parlé durant un moment. Il m’a avoué ne pas l’avoir encore écouté, m’a demandé si ça pouvait s’écouter en voiture. Qui m’avait dit l’avoir écouté en voiture, ajoutant que ça se prêtait étonnamment bien au confinement de l’habitacle ? Nous en sommes arrivés à la retraite, ce mot qui n’a jamais eu pour moi que des accents de steppes et de mouvements militaires et qui là, tout à coup, me mettait face au concret du papier, des dossiers, des trimestres, des points, des droits propres et de réversion, des formulaires, des rachats, des validations, des rejets, des annulations, toutes ces choses qui, quoi que j’en dise et bien que je ne leur accorde qu’une infime part de mon esprit, m’imprègnent depuis plus de vingt ans et font partie de mon bocal quotidien. C’est de la sienne qu’il parlait, qu’il compte bientôt prendre. Ce qui m’a étonné. Je l’imaginais très proche de moi en âge, l’imaginais même sans âge, à mon image, alors qu’en réalité, plus de dix années nous séparent, et il pense effectivement prendre sa retraite l’année prochaine. (Depuis combien d’années nous fréquentons-nous ? Trente ?) Je crois que ça m’a fichu un coup…/Il entre, s’assoit ; je lui propose une tasse de café tandis que maman est je ne sais où, disparue tout à coup. Il est souriant. Je cherche sur son visage et dans les intonations de sa voix des traces d’affectation, de chagrin, et me demande si je dois faire allusion à la mort de Danielle et, avec une trace de culpabilité au fond de moi, à ses funérailles auxquelles je ne me suis pas rendu. Mais maman arrive qui s’en charge. Se passe alors un échange de lieux communs. « Déjà un mois », dit-il, d’une étrange façon, sans peine visible, comme s’il cédait avant tout à la norme du langage, aux codes que les circonstances imposent entre les êtres, échange auquel je ne participe pas car, de la même manière qu’il ne m’a pas été possible de lui passer un coup de fil, car que peut-on dire à une personne touchée par un décès qui ne verse pas immédiatement dans l’emporte-pièce, même si l’on sait que cela la réconfortera, je ne puis entrer dans ce qui, à mes yeux, mes oreilles, sonne comme un jeu. Alors, je ne dis rien, me tais jusqu’à ce que j’entende maman dire : « Quand je pense qu’il a fallu un malheur pour qu’on se rapproche un peu. » Le ton est le même : celui de la conversation et à ce moment-là, elle aurait pu tout aussi bien parler du jardin ou de sa mise en plis. Alors, je dis : « Il aurait mieux valu qu’il n’y ait pas eu de malheur du tout et que vous soyez restés éloignés. » Henri opine. Je ne suis pas sûr que maman ait entendu. Je ne suis pas sûr non plus que cette phrase ait eu un quelconque poids./9 h 45. CRAM. Tentative d’écrire les doigts gourds./Puis on passe à autre chose, encore que ça reste lié puisqu’il s’agit de cancer. Danielle est morte d’un cancer. Alors, il était tout à fait naturel que la conversation passe par le cancer. Mais déjà ce n’est plus d’elle que l’on parle, mais d’une chose extérieure à elle, une chose qui l’a fait mourir, mais qui en a fait mourir d’autres aussi, alors pourquoi pas elle. Et on passe au recensement : papa, Annie, Bernard et son père, mon oncle, et d’autres encore qui, du fait de la banalité du sujet, tombent aussi dans la benne du lieu commun. Et puis alors, de l’un à l’autre, on en arrive à la famille, et puisqu’il y avait si longtemps qu’Henri n’était pas venu, si longtemps qu’il n’y avait pas eu de contact entre la tante et le neveu, la tante le met au courant et passe en revue la moitié de sa vie, et toute la vie de la famille par la même occasion, les petites histoires, les heurts, les différends, G***, É***, M***, G*** et ses sœurs, et puis, bien sûr, la maladie, la sienne en particulier, et on en arrive aux livres, et dès lors, elle ne s’est plus arrêtée./(Je suis parvenu à écrire « les doigts gourds » !)/« Intarissable », comme elle me le dira après son départ. « J’ai parlé beaucoup, je sais, mais quand on parle littérature, je suis intarissable ! » Littérature. Elle raconte ce que j’ai déjà tant entendu, son goût pour les livres, la forte impression qu’elle a produite sur les médecins lorsqu’elle leur disait avoir lu Troyat, Albertine Sarrazin et Pagnol, et le fait que mon père la considérait comme une ignare, et puis son goût pour l’Histoire, et puis, bien sûr, et il avait fallu qu’Henri ait lu un de ses textes sur la tombe de sa femme : Martin Gray. Ah Martin Gray ! Et de nous raconter toute sa vie, ou plutôt de la lui raconter à lui car, bien sûr, je suis au fait de tout, lui Henri qui, dès lors, n’aura plus d’autre ressource que d’opiner en ponctuant chacun de ses mouvements de tête d’un « hum » régulier. « Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a connu ! Tu devrais le lire ! » Et se propose de lui prêter Au nom de tous les miens qu’elle possède en condensé, tandis que je dis : « Je crois que maintenant ce n’est plus la peine, il l’a lu. » Henri sourit. « Oui, mais je ne le lirai pas tout de suite, j’en ai un autre en cours. » « Mais, surtout, il faudra me le rendre. J’y tiens plus que tout au monde ! » « Non, de toute façon, je le prendrai une autre fois, faut d’abord que je finisse celui que je suis en train de lire. » Lui qui, quelques minutes auparavant, avait dit : « On a au moins un point en commun, ma tante : la lecture. Moi aussi, j’aime lire. »/Et : « Il avait l’air d’un conquistador déchu de ses droits après l’invasion précoce d’une terre sans âmes dont il avait fait couper toutes les têtes. » Mais j’ai bien peur que cette phrase n’ait plus le même poids dévastateur qu’hier./Et quoi d’autre ? Henri qui, à peine assis, avait considéré la pièce et avec un sourire d’enfant avait dit : « C’est drôle, j’ai l’impression que rien ne s’est passé, que le temps s’est contracté. » Enfant. C’est ce qui m’a frappé : son visage, ses intonations de voix, ses expressions, ses propos, comme s’il était encore un enfant, comme si effectivement rien ne s’était passé et que, d’un moment à l’autre, il allait retirer de son crâne le film de sa calvitie et le masque de ses plis. Et puis, sa manière de se rappeler les choses, de me prendre à témoin, les souvenirs d’enfance, et son sourire à ces moments-là : « Tu te souviens ? » et moi qui ne me rappelais pas (non : tu t’en souviens !), et qui même, à un moment donné, me sentant un peu gêné de ne me souvenir de rien, feindrais de me rappeler. « Oui, je m’en rappelle. » (non : je me rappelle !) Mon enfance est un trou…/Soleil. Ciel immaculé. Froidure. Quel temps fait-il à Rome ? Quels vêtements choisir ? Quelle mise adopter ?/Et la manière dont il parlera de son père, de ce que lui, Henri, a souffert (ça, je m’en souviens !) à cause de son père, à l’époque où, contre l’avis de son père qui était de ceux, vieille école polonaise (pas seulement, mais ce sont les références que j’ai), qui estimaient que 14 ans était le bon âge pour prendre la pioche et la pelle, il avait entrepris de faire les Beaux-Arts à Douai. « Les bozarts ? » Et alors, l’humiliation, les remontrances, les railleries, les plaisanteries que chaque jour, au retour de ses cours, il subissait et qui, je m’en souviens, le faisait pleurer. Et c’est ce qu’il dit : « Chaque jour, j’en pleurais. Et je lui en ai voulu, et puis, le temps passant, en prenant de l’âge, je me suis aperçu que je n’avais pas à lui en vouloir, il ne pouvait réagir autrement, il avait été éduqué comme ça, il reproduisait ce qu’il avait vécu, et dans son esprit, c’était comme ça, il ne pouvait penser autrement, il ne pouvait concevoir les choses autrement. »/Ce drôle de rêve que j’ai fait cette nuit avec une certaine Chantal Nin (prononcer Naïne) qui s’est ensuite transformée en Liliane, Liliane que je rencontrais, qui se rapprochait, qui voulait refaire sa vie avec moi !/Ma mère qui, à ma grande confusion, lui loue mes « multiples talents » (et pourvu qu’elle ne lui parle pas du livret, et surtout ne le lui montre pas, celui où je raconte l’enterrement de son père, où je parle d’Édouard !)./Mais c’est l’heure du café. Étrange chose que cette fidélité au café, qu’il soit du matin ou du midi, qui fait que je vais interrompre l’écrit là et qui donc est privilégié à l’écrit…/(Et Carole qui va me dire que j’ai l’air d’avoir 42 ans !)/Et lui qui parle ensuite de l’absence totale d’affection de ses parents, de son père en particulier, et qui aimait voir mon père avec qui il pouvait parler, ou un voisin chez qui il allait dessiner…/Et le grec moderne qui bat de l’aile. À propos, j’ai appelé celui d’FMR, Becatoros. J’ai de nouveau été contraint d’annuler notre rendez-vous. Je ne le connais pas, il n’est qu’un représentant de livres, et pourtant je m’en sens coupable. Du coup, de peur de ne pouvoir honorer le quatrième, je l’ai rappelé pour lui annoncer que je l’achetais. Il a eu l’air très surpris : « Vous ne voulez pas la voir auparavant ? » « Non ce n’est pas la peine. » Voilà. J’ai acheté une encyclopédie dont je n’ai rien vu et n’ai pas la moindre envie./Et maman qui parle de la même façon de son père, de son insensibilité, de son indifférence totale et dont elle n’a pas du tout regretté la mort…/Et par la suite, j’ai pensé à la note 9 de la page 68 du Spectre et à ce que je pourrais appeler le syndrome du « nez dedans ». C’est-à-dire : être contre ou dans les choses, au plus près, et donc de ne pas, ne plus les voir. C’est évidemment le recul, la distance qui fait que l’on voit. Ainsi, vivre avec son temps, être informé, se tenir au courant de tout, soit : être au plus près des choses, et ne pas les voir. Ainsi, les lieux communs, les clichés, à l’expression desquels je ne puis assister sans effroi, sans frisson, doutant de leur réalité, du sérieux qu’on leur accorde, refusant de croire qu’on puisse les formuler le plus sérieusement du monde. On peut. Parce qu’il s’agit de phrases, de formules automatiques, réflexes qui investissent toute la pensée à ce moment-là. On est entièrement cette formule et la pseudo pensée qui y est liée. On a le nez dedans…/Et ce point que j’avais oublié, ou du moins que j’avais mis de côté tant il exigerait de temps, de réflexion et d’énergie, ce point qu’elle avait relevé dans l’un des journals, il y a deux ou trois ans, et qui l’avait beaucoup affectée, passage où, mentionnant une conversation avec Anne au sujet de l’impossibilité devant laquelle je me trouvais de définir précisément mes parents, elle m’avait dit, choquée, presque outrée,  après avoir admis qu’effectivement mon père était totalement indéfinissable : « Comment ça, tu ne peux pas me définir ? Tu ne sais pas ce que je suis ? tu ne peux pas me définir alors que tu as vécu à la maison, que tu as assisté à tout, que tu sais tout ce que j’ai enduré ? et tu ne peux pas me définir ? » Non, je ne peux pas. J’ai bien tenté de lui expliquer la difficulté de définir les êtres en général, à commencer par soi-même. Mais pour elle, ça n’avait pas de sens (« Moi, je sais qui je suis et comment je suis ! ») ; pour elle, tout est simple et clair, et il est évident qu’il en va de même pour ceux qui la connaissent, à commencer par son propre fils. « Des inconnus, des médecins ont été capables de me définir, ont très vite su qui j’étais, et toi, mon propre fils, tu ne sais pas ? » C’est peut-être justement pour cela que je ne peux pas : parce que je suis trop près des choses, de tout ce qui la concerne, et qu’être trop près, c’est avoir la vue brouillée./(On est le nez dedans !)/Auparavant, j’étais passé à la Renaissance pour lui remettre les photocopies des vingt premières pages du Parlons japonais. Je ne suis resté que le temps d’un café. En me raccompagnant à la porte, il m’a montré sa seconde maquette de fontaine, réplique de la précédente, mais réalisée au tiers de l’original. J’étais époustouflé qu’en moins de 24 heures, il ait pu réaliser ce nouveau modèle qui comble pratiquement tout son jardin !/Au retour je suis passé chez Laurent pour lui remettre le MD de leur concert. Lambersart. Quelle ville étonnante, comme une caricature de ville de repos, comme une vaste salle de répétition où tout le monde s’entraînerait à mourir. Mais est-ce une ville, cette succession de maisons coites aux accents d’aisance au long de rues assoupies ? Je n’en connaissais que les principaux axes et c’est en cherchant sa rue et en me trompant à maintes reprises que j’ai été amené à la parcourir de long en large…/Jean-Stéphane sort à l’instant de la maison pour se rendre à Lille où il va acheter du pavin. Il est resté deux heures. Il me dit que cela faisait quatre ans que nous ne nous étions pas vus. Je dis moins. Il dit si. Je dis : « Tu crois ? » Quoi qu’il en soit, c’était aujourd’hui./Pour rentrer à Roubaix, je suis passé par l’avenue de l’Hippodrome, de là j’ai longé le port fluvial, puis Vauban, l’Esplanade, et le périphérique jusqu’au Boulevard, La Madeleine jusqu’au Croisé et Boulevard de la Marne par Wasquehal jusqu’au parc Barbieux. C’est en arrivant à Eurotéléport, Roubaix centre, que tout commence à changer. C’est dommage. Jusque là, je m’étais dit que c’était une belle route pour montrer un aspect de la Métropole à un étranger. Tout avait l’air calme, tranquille, joli. Comme enchanté./Page à page, le mérule, le jardin, la Normandie, les recherches généalogiques concernant sa famille ; de là Morialmé, et le vin, et le cidre que nous buvons (d’où la Normandie), le site, un recueil nouveau qu’il me remet, Préférer la peau, et cette belle chose, exemplaire unique (dans les deux sens des termes : exemplaire et unique) Le Guy lit Guy lit ou les chatouillis qui n’est autre que le recueil de tous mes commentaires au sujet de ses écrits et qui figurent sur le site. Il est amusant que la nuit dernière, avant d’aller me coucher, je me sois justement retrouvé à les relire en totalité…/Puis je suis passé devant la poste et la médiathèque pour rejoindre la Grand-place. On y remballait la forêt suspendue. Ne restait plus que les structures. Sur le sol reposaient troncs et branchages éparpillés sur toute la surface. Des hommes les parcouraient en grandes enjambées, œuvraient à leur remballage. Cette vue était très belle, méritait une image./Ai ensuite traversé Géant pour y retirer de l’argent avant de me rendre à la Pharmacie de la Grand-rue qui était fermée. Je me suis rabattu sur la boutique paramédicale de la galerie où la dame m’apprend qu’à Roubaix les pharmacies ferment tôt le samedi. « Ah ? » « Eh oui, c’est comme ça ! » Je traverse la galerie en sens inverse pour rejoindre la sortie. Il y a du monde sans que cela soit l’affluence. Deux vigiles repoussent à l’extérieur deux gamins à casquette rigolards. Je leur jette un coup d’œil avec un léger malaise…/Je viens d’imprimer les réservations pour l’hôtel et l’avion. Normalement, je ne devais rien savoir, mais Susan s’inquiétait quant à la réservation de l’hôtel, et son imprimante a quelques problèmes. J’ai envoyé le tout par émail dans mon bureau pour l’imprimer. Il m’a été difficile de ne pas voir les prix, ni d’aller consulter Internet pour avoir une petite idée et de l’emplacement et de la situation. Via Savonarola, Roma. Belle adresse…/Puis une troisième cigarette, et saisie directe au son du Bar d’Ashley que je copie sur mini-disque après Atalanta dans le cadre de l’épuration de mes bandes magnétiques. En même temps, j’ai entamé l’achèvement effectif de l’intégrale, soit y insérer l’année dernière, absente jusqu’alors. Il s’agira de la première partie, soit tous les journals (sauf celui de V***, et sauf celui que j’ai appelé « intime » qui me semble être de l’ordre du secret) sur une période de quinze années. Ne restera plus dès lors qu’à les offrir en pâture à la spirale…/Puis ai jeté un œil à Praha-Lucca, sans parvenir à me faire une idée bien précise du rendu et de l’intérêt de cette formule. J’ai filé ensuite à la Renaissance pour lui montrer mes ouvrages de japonais. Nous cherchons une formule nous permettant d’y travailler en collaboration. Sur la table du jardin d’hiver trône une magnifique maquette au 10e de ce que devrait être la nouvelle machine qu’il compte réaliser en bambou, le bambou qui prolifère dans la région de Kobe. On dirait du Panamarenko./Je suis sorti de chez lui à 17 h 30, suis passé chez Paris-Fleurs pour un bouquet de lys, suis allé me garer à l’Abreuvoir où j’ai jeté un œil triste sur Mercedes qui doucement prend la poussière, puis suis passé aux Lisières où je suis tombé sur Childéric qui m’a entretenu de son projet en faveur des jeunes de Roubaix, projet dont il m’a manqué le principal : l’objet. Ai-je mal écouté ou s’est-il mal exprimé ? S’en est suivie une drôle de conversation durant laquelle je lui posais des questions au sujet d’une chose dont j’ignorais tout et dont je feignais de tout connaître (je m’en suis bien sorti). Claire était occupée avec un représentant qui tâchait de lui fourguer une batterie d’orgues miniatures à lamelles et à manivelle (ça doit bien avoir un nom) ; j’ai discuté avec Didier de problèmes de facture, il m’a conseillé de reprendre mon dépôt et d’en faire un régulier à chaque publication. Je rentre : Susan qui m’agrippe, me tire jusqu’à son écran où elle me montre une proposition de Virgin pour quelques jours à Rome pour 12 €. Quand ? Mercredi. Le mercredi qui vient ? Oui. Oh non ! Non ? De mercredi à samedi à Rome. Nous revenons à peine de Venise, je m’étais promis de ne plus me consacrer qu’à mon travail durant quelques semaines sans la moindre idée de sortie de quelque ordre que ce soit. Je le lui dis. M’en veux en même temps, suis tenté. Suis pris entre les deux. « Je comprends, pour moi, c’est pareil. But it’s an opportunity. » Une occasion, oui, mais je ne sais vraiment que faire, que décider. Dans le doute, nous décidons d’aller manger quelque part. Où ? « Just drive around, we’ll see. »/Prendre alors l’A1 à partir de Lille, puis direction Douai, et de là chercher en vain un panneau pour Denain, puis le trouver au bout du boulevard extérieur accompagné d’un autre concernant le musée, chic. Suivre alors une route désolée et sinistre, chercher un autre panneau confirmant le premier, ne pas le trouver, en voir un autre en direction de Denain, le suivre, tomber sur une rocade, puis sur une autre, traverser des rafales de vent et de pluie, faire demi-tour, retrouver la rue sinistre, aviser une jeune fille à un abribus, se garer, se renseigner, « C’est tout droit ! » Lui faire confiance et poursuivre sa route, apercevoir alors la « grosse montée » promise, aviser un panneau Lewarde, puis un autre désignant la droite pour le musée, se rendre compte qu’il s’agit d’un sens interdit, prendre la suivante à droite qui est une impasse, faire demi-tour, avoir des velléités de renoncement, aviser un autre panneau, lui faire confiance et apercevoir tout à coup, au terme d’une rue sombre et imbibée de pluie noire, une immense verrière illuminée : c’est un vaisseau spatial au terme de son atterrissage./Son père serait opéré aux environs du 15. Elle me propose alors de m’offrir « mon » voyage d’anniversaire vers la fin du mois ; je lui ai dit de ne pas s’en préoccuper, que ça n’avait pas d’importance ; et puis il y avait le Japon proche. « Tout dépendra de l’état de santé de mon père », me dit-elle. « Bien sûr, mais nous devons malgré tout le garder en projet. Qui sait si l’expo de Francko ne sera pas notre unique occasion d’y aller... »/Puis tourner à gauche, aviser un parking, s’y arrêter et effectivement constater qu’il s’agit bien du centre historique minier. Il y a un chevalet, des restes du carreau de fosse et, comme posée dessus, cette verrière au rez-de-chaussée de laquelle j’aperçois une trentaine de personnes. En m’approchant, j’y distingue la silhouette de Patrick. C’est bien là. Mais il n’y a que lui pour confirmer qu’il s’agit bien d’une exposition et de la sienne en particulier. Déambulent des personnes de tout type, dont beaucoup de gens âgées et d’autres à l’allure officielle. Je cherche en vain des photographies qui ne soient pas celles, sordides et de mauvaise qualité, d’éminentes personnalités qui ont daigné faire la visite de ce centre, dont Claude Berry (du temps de Germinal sans doute). Il y a une cage d’ascenseur futuriste, un long comptoir. Derrière on devine une salle pourvue de vitrines. Qu’attendons-nous ? Il y a une estrade et un pied de micro. Patrick me dit qu’il y aura un discours et que la chose est très sérieuse. On attend encore un moment et un homme à la chevelure blanche et abondante se manifeste qui fait un discours. C’est le responsable du centre. Patrick est invité à l’imiter qui dit quelques mots de remerciements. Puis on nous convie à nous rendre sur le lieu même de l’exposition./We drove around pour passer devant le Richard Lenoir, fermé durant un temps et qui là est ouvert. C’est une ancienne maison de maître à l’image de la nôtre avec pourtant quelque chose de raté, quelque chose comme une inadéquation entre la taille des pièces et la hauteur du plafond qui créerait une légère sensation d’oppression. Menu spécial St Valentin. Que nous boudons pour adopter la carte ; des choses intéressantes, mais celle des vins est un peu maigre. Elle prend un velouté de crevettes et je ne sais plus quel plat de poisson, moi une terrine marbrée au maroilles, excellente, et une épaule d’agneau braisée sur lit de courgettes, très bien aussi. Pour le dessert, une sorte de préparation de pain d’épices (elle), et un moelleux au chocolat (moi), pâte chaude en boule contenant du chocolat fondu également chaud. Pas mal. Le vin, faute de mieux, est un St Estèphe 1999 assez ordinaire. L’endroit se remplit assez vite, beaucoup de couples bien entendu, c’est le jour de l’amour faim (?). Rentrons vers 23 h 30. Je constate d’une part que j’ai un peu trop bu, et d’autre part que j’y ai oublié tout mon matériel de fumeur. Je me couche tôt, un peu barbouillé. J’attrape néanmoins Les plus beaux manuscrits de la littérature française d’FMR, que je reprends au dernier texte de Desnos, celui de « sa mort », retrouvé dans sa poche de pyjama au camp où il avait été déporté. Ça m’a empoigné…/À ce moment-là, il est presque 19 h 30 et je suis le seul représentant de la métropole. Nous passons dans une salle annexe. Patrick est escorté par un groupe d’officiels qui, face aux premières photographies, le chargent, et pourrais-je dire le somment tant ils l’écrasent par leur présence, de parler de son travail. Il y a alors un attroupement autour de lui. Je n’entends rien de ma place et pars seul à la découverte de la salle. Murs rouges, une trentaine de photographies, que je pourrais doubler à soixante puisqu’il s’agit de diptyques : une première photographie de 40 x 40 en couleurs à laquelle est accolée une autre de 40 x 60 en noir et blanc. La première série montre des mineurs à la retraite, en compagnie de leur épouse ou seuls, posant face à l’objectif dans leur intérieur ; dont les parents de Thierry ; uniformité du décor, unité de l’éclairage, d’où ressort cette curieuse impression que tout aurait été pris dans la même maison. Patrick me dira par la suite que c’était délibéré. La seconde, ce sont des vues diverses prises dans les villes minières autour d’Hénin-Beaumont dont Patrick est originaire. Ça s’intitule M… on H… istoire, refonte du titre d’origine, m… h…, que les responsables avaient jugé trop hermétique pour le public concerné./Mais, auparavant, je passe un coup de fil à Francko. Son absence de réponse à mes différents émails est expliquée : l’alimentation de son laptop se trouve sur il ne sait quelle mer, dans il ne sait quel cargo en direction de la France. Il travaille toujours sur son expo pour Kobe, la fontaine, mais dans une version agrandie : douze mètres de long ! Ça se passerait dans un bassin qu’il y a repéré dans le port./Au retour, nous reparlons de Rome. Je lui dis de décider. Elle décide et réserve des places de mercredi à samedi. « Ce sera pour ton anniversaire. » « D’accord. Mais tu te charges de tout. » Nous voilà repartis. « Après, c’est fini »,  m’assure-t-elle…/À la douane de Treviso, j’avais demandé à la jeune brunette si je devais retirer mes lunettes et la monnaie que j’avais en poche. Puis ma montre. Mais comment dit-on « montre » en italien ? Et l’avais-je su un jour ? J’avais pensé à « orologio », mais dans le doute, puisqu’il m’avait semblé que le terme s’adaptait mieux à « horloge » ou « pendule », j’avais simplement demandé avec un geste : « Anche questo ? »… Je tombe à l’instant sur le mot « orologio » dans « I pomeriggi del sabato ». Je vérifie : on dit bien « orologio » pour une montre, et, pour « montre-bracelet » : « orologio da polso », soit littéralement : « horloge de pouls ». C’est donc le temps attaché au pouls que mesure la montre. Soit, si j’en reste au sens premier de « da », le temps mesuré à partir du pouls./Regard sur sa mémoire, sur celle de ce pays, sur celle du labeur qui l’a fait vivre pendant plus d’un siècle. J’y reconnais quelques lieux familiers, dont celui des parents de Liliane à Méricourt, photo troublante dans la mesure où il m’a été impossible de déterminer, tant les maisons sont uniformes, tant leur agencement de part et d’autre de cette place est identique, si cette vue était celle depuis leur maison ou depuis l’autre côté du parc qui la sépare de l’autre rue. J’ai dit à Patrick : « C’est cette maison-là. » Mais en même temps, je voyais ce que l’on pouvait voir depuis le pas de leur porte. J’étais des deux côtés à la fois…/À l’arrêt du pouls s’arrête le temps…/Je l’avais prévenue de se tenir prête pour le restaurant. J’avais pensé à l’Irrésistible. Nous nous y sommes rendus. Tout était complet. « Il fallait réserver. Désolé. » Susan a alors suggéré le Richard Lenoir, que j’avais vu fermé, qu’elle m’affirme avoir vu ouvert. Fermé. Nous avons alors pensé à la Turquoise ; j’ai fait deux fois le tour du pâté avant de trouver une place. « Vous avez réservé ? » Susan suggère alors l’indien près de la Grand-place. Nous y allons. Fermé. Juste à côté, il y a La Petite Normande où nous ne sommes jamais allés, qui ne m’a jamais rien inspiré de bon, et qui, de toute manière, avait toutes ses tables prêtes pour des arrivées. Alors, en désespoir de cause, la brasserie Eugénie où il ne faisait aucun doute qu’il y aurait de la place. Et après quelques tours dans la ville du fait des sens interdits, alors que tout est à cinq minutes à pied de chez nous : « Vous avez réservé ? » Nous nous rabattons alors sur le petit chinois près de chez nous dont les propriétaires ont changé, là même où, jour pour jour, nous avions rencontré Pedro, il y a x années et où il n’y avait eu que deux tables occupées. Cette fois, c’était comble. Alors ? J’étais au bord du hurlement. Comment était-il possible que tous les restaurants de Roubaix, cette ville grabataire et fantomatique, affichassent complet quand bien même il se fût agi d’un samedi soir. « C’est un bon signe pour la ville », me dit Susan que rien ne démonte./(« Loin d’être mineur », ai-je écrit dans le Livre d’Or. )/Faute de mieux, je me suis rabattu sur La vie en lunettes roses. Deux nouvelles, le quotidien, histoires personnelles, vraisemblablement autobiographiques. Ni bien ni mal. Ça se lit. Je pense à mes propres histoires, celle de Journals, me disant que je pourrais parfaitement en prélever divers épisodes, les transformer en nouvelles et unir le tout en un recueil. Emballé, et c’est bien le diable si un éditeur n’en voudrait pas. Mais ça n’aurait pas le moindre intérêt. Ce serait ordinaire, aussi ordinaire qu’est ce livre-là reproductible à des milliers d’exemplaires./Visite du midi à la Renaissance sous un soleil vénitien. Rite des pâtisseries avec le café, les siennes et les miennes tout aussi bien, tous deux en ayant achetées sans nous concerter. Je lui remets Le macchine di Vinci acheté à Venise et le pot de marmelade au whisky d’Irlande que je n’avais pas encore eu l’occasion de lui donner. Papotons. Venise, puis sa mère qui désormais habite une résidence pour personnes âgées où elle est bien entourée. Puis son projet d’expo pour l’ARIAP dont l’idée est arrêtée : une fontaine avec 36 sculptures, chacune munie d’un système de bandes magnétiques sur lesquelles serait fixé le OUI d’une nymphe passant alternativement à l’endroit et à l’envers : OUI-IOU ! Pompes à eau, piscine. Bref, monumental. Il lui reste à peine trois mois pour réaliser ce travail phénoménal, en sachant en outre qu’il ne pourra avoir accès à la salle que trois semaines auparavant. Mais il est confiant, calme, souriant, comme à l’accoutumée./« Pot de l’amitié. » Champagne et canapés. Et placek (délicieux au demeurant) pour rappeler si c’était utile que la majorité de ces travailleurs, autant ceux qui nous regardent depuis les clichés que ceux qui ont trimé dans les galeries, sont polonais. Arrivent enfin Thierry, Cécile, Cyril et quelques autres. Nous filons ensuite sur Lille. Thierry m’accompagne, me parle longuement du Journal sonore, de ses nouvelles activités musicales, de L*** qu’il revoit toujours. Nous nous retrouvons au Sébasto où nous rejoint Sylvie particulièrement gaie. Nouveaux patrons, tendance restaurant à présent. Je pose mon micro sur la table sous le prétexte de le montrer à Thierry, laisse « défiler la bande » jusqu’au bout./J’ai alors dirigé la voiture vers la maison. Elle a commencé à improviser un repas tandis que je continuais à tirer mon nez. Elle souriait, me répétant : « be positive », ces deux mots que j’abhorre. Elle a sorti du foie gras du frigo tandis que je râpais des carottes et que du magret cuisait dans la poêle. J’ai ouvert la bouteille de Côtes de Saint-Mont que m’avait recommandé Nicolas l’après-midi même. J’ai mis la table dans la grande salle, posé les lys de l’après-midi entre nos assiettes. Après le foie gras, il y a eu des crevettes avec un Touraine, puis le magret avec une purée de céleris. Pour terminer, boulette d’Avesnes et glace. En définitive, tout s’est arrangé, même s’il m’a fallu un bon moment avant de me décider à amorcer une tentative d’« être positif ». La conversation a roulé autour de mes réactions dans ces circonstances, puis s’est arrêtée à nous. À un moment donné, je lui ai dit que l’un de nos problèmes, peut-être le seul, en vérité, était la langue, nos difficultés, souvent à nous comprendre aussitôt que point la subtilité des sens, et de là, les malentendus. Désolé, mais a rose n’est pas une rose et a friend ne sera jamais mon ami. Puis, tout à trac, elle me déclare en souriant que c’était tout de même un peu grâce à elle que je parlais couramment l’anglais et que sans elle, je n’aurais peut-être jamais voyagé, n’aurais jamais pris l’avion. J’ai opiné. Puis : « Et moi, qu’est-ce que je t’ai apporté ? » Elle a réfléchi un moment avant de répondre : « To be negative. »/(D’énigmatiques figures en forme de signes se tracent sans cesse devant mes yeux.)/(Je ne sais ce qu’elle en pense au fond, mais je trouve tout de même que c’est une bonne leçon d’apprendre à être négatif.)/De là, il me parle d’un livre sur Polyphème que Chrysanthème a déniché à la bibliothèque où elle travaille et qu’elle lui a remis sous forme de photocopies. Polyphème ou les fontaines et les jardins. Ce livre aurait servi de base aux grotesques florentins (car il aimerait aussi réaliser des grotesques autour de sa fontaine !)./Entrecôte aux maroilles, assiette de fromages, Côtes du Rhône. Cécile et moi prenons des dates, Cyril boit et est vite gai. S’installe ensuite un énigmatique et très sympathique Christian. La musique vient directement des années cinquante et soixante./(Non : « avenant » – rayer définitivement « sympathique » de mon vocabulaire.)/J’étais un peu gris, il était aux alentours de minuit lorsqu’elle est partie se coucher. Après la vaisselle, j’ai fumé une cigarette en poursuivant The astrological diary of God entamé la veille tout en pensant à la suite du programme, soit la mise au lit en regardant Der grosse Liebe, le premier film d’Otto Preminger, qui figure en deuxième position sur une cassette que m’a prêtée Pascal il y a des mois, la première étant occupée par les curieux Chaussons rouges de Powell. J’ai décidé ensuite de fumer une dernière cigarette à mon bureau. À quoi l’employer ? J’ai ouvert mon manuel de japonais, ai entamé quelques exercices de lecture qui m’ont mené, sans que je m’en rende compte, à cinq heures du matin. Je me suis levé à onze…/(Les mineurs, d’une galerie à l’autre, où de la même manière ils s’exposent.)/Une photographie est négative avant d’être positive. Avant d’être révélée…/Pas allé au boulot, comme je l’avais plus ou moins prévu. Douche, petit déjeuner, une demi-heure de Wenders avec ma première cigarette. La vidéo contre le film. C’est le grand sujet des conversations de la troisième partie. Je ne vois pas bien où est le problème. Il y a d’un côté le numérique, de l’autre la pellicule. L’un choisit le premier, l’autre la seconde. C’est comme d’opposer le cinéma et la télévision. C’est la manière dont ce sera utilisé qui compte, d’un côté comme de l’autre. N’est-ce pas évident ? Et puis si le cinéma en tant que tel disparaît, qu’y pourra-t-on ? Y a-t-il encore des personnes qui vont à Lyon en calèche ? Quoi qu’il en soit, au fil de la lecture de tous ses textes, je me pose la question de sa réelle qualité en tant que cinéaste. Il se dit « film-maker ». Mais où est le faiseur/facteur de film depuis une quinzaine d’années, en gros depuis Les ailes du désir qui, en quelque sorte, pourrait être son dernier film, l’ultime film dont il est capable, soit l’alliage parfait de la lenteur (le filmage du temps) et de l’histoire sans histoire ?/« Le numérique n’a pas de négatif. Il est d’emblée positif. Le monde est perdu. » C’est ce que j’étais en train d’écrire lorsque maman a appelé pour me demander si j’avais une « méthode » pour avoir tant d’amis !/J’ai regardé ensuite Tokyo-Ga, cela s’imposait. J’ai dû le voir deux ou trois fois, je n’avais pas le souvenir de tout, comme du passage sur la fabrication des simulacres de plats pour les restaurants, ou les terrains de golf sur les toits d’immeubles où les « joueurs » ne cherchent pas à atteindre un trou, mais simplement à perfectionner leur mouvement pour la simple beauté du geste (la beauté du geste !). J’ai guetté les moindres inscriptions pour y attraper un signe ou deux que je puisse identifier. Quelques hiragana, des katakana, tout cela passant trop vite pour que je puisse immédiatement les nommer. Mais je les reconnaissais. Et puis un kanji que j’ai immédiatement nommé dai :      « grand » (je sais, il est simple). J’ai revu avec un plaisir que je n’avais pas connu les fois précédentes la scène du parc sous la pluie où des bandes d’adolescents dansent sur des rockabillies en « singeant » les Étatsuniens. Je les ai trouvés beaux, et me suis dit que cette imitation était bien meilleure que l’original, que ce simulacre était plus authentique, que ces mouvements et ces « gesticulations » leur seyaient beaucoup mieux, ou mieux : qu’ils étaient faits pour eux. Ce n’était pas de la simple et bête imitation. S’ils avaient copié, c’était pour magnifier./(Ciel bleu, soleil, la chaleur de la salle, torpeur diffuse, la cigarette et l’histoire de Giosefine dans Il gioco de Tabucchi. Comme un petit bonheur, n’est-ce pas ?)/Par contre, j’avais parfaitement le souvenir de toutes les scènes concernant Ozu. À cette différence près que je n’avais pas noté l’emploi du mot « panoramiquer » qui là m’a frappé, et qui prend en outre une drôle de résonance avec l’image sur laquelle Wenders le prononce : la Mitchell au sol, de profil, avec ses deux grandes oreilles à la Mickey (comment dit-on « mousse » en japonais ?). Et puis sa consonance parfaitement japonaise : PA NO RA MI KE.. Stupidement, j’ai attendu qu’au coin d’une rue, des écolières soulèvent leur jupe pour enfiler leurs chaussettes tire-bouchonnées…/Je regarde le ciel tout en poussant la porte des Lisières : ensoleillé jusqu’à présent, mais qui commence à se couvrir. Je crains qu’il ne fasse très mauvais demain pour le trajet jusqu’à Charleroi. Il n’y a que Didier et  Frédérique. Didier me parle de ma correspondance avec sa fille Agathe dont c’est la fête aujourd’hui, puis de Jean-François Boudailliez, l’attaché à la culture de Roubaix, qui désirerait acquérir la totalité des journals ! Ah ! Il me remet ensuite Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc de Herrigel que j’avais commandé il y a quelques semaines. Alors que je m’achète un Moleskine pour Venise, Claire et Baudouin arrivent chargés de cartons de livres. J’invite Baudouin à prendre un verre au Leffe à côté, Baudouin qui me parle de son exposition au Grand Bleu, puis d’une autre avec Guerbadot rue du Midi à Bruxelles, et, tandis que je sens monter en moi les effets conjugués du café et de ma deuxième cigarette, de L’art de la mémoire qu’il me vante avec enthousiasme ; et de là,  l’Andalousie où ils vont se rendre ; de là, l’Espagne, le Prado et les Ménines dont nous ne parvenons pas à éclaircir le mystère encore que je croie bien que ma solution est la bonne. Au moment de payer, je m’aperçois avec honte que j’ai 2 € en poche. Je bredouille. Il sourit en sortant son porte-monnaie./C’est alors que le téléphone a sonné : Gabriel après des mois de silence. Qui me dit revenir de Venise. « Ça pue, c’est dégueulasse. Une ville sans voitures, ce n’est pas une ville, et je connais un bon moyen pour résoudre le problème de l’acqua alta : tout transformer en rio terra… tu sais ce que c’est un “ rio terra ” ? » « Canal bouché. » « Bien sûr, tu le sais. Et mettre des parapets sur tous les quais. Et tant qu’à faire, combler aussi le grand canal ! Et relier toutes les îles par des ponts suspendus ! Tu as entendu parler de ce projet de digues ? » J’opine tout en faisant le ménage de mes émails et en pensant à mes idées de livrets : Kobe, un Vrac, Le Vin, La Cure, Clara ; et je pensais dans l’après-midi à Fabien qu’il faudrait relire. Et il y a le Journal musical et le CD. Et Carnets de voyage et Venezia…/Et dans Wenders, je tombe sur le mot kamikaze. Voyons ce que cela donne en japonais, de quoi est fait ce mot – mort soi-même ?/Au bout d’une demi-heure, il a enfin raccroché. J’ai repris mon livre posé sur le côté : « Mme de Pompadour : “ Vous venez de là-bas ? ” Casa : “ Venise n’est pas là-bas, madame, mais là-haut. ” »/Non : kaze      , le vent, kami      , le dieu ; c’est le « vent divin »…/Et Basato chez Rita. Nous y avons passé deux heures, deux heures durant lesquelles mon petit sac ne m’a pas quitté une seconde, la bonnette en émergeant comme un petit canon. Je l’ai mis en marche dans la rue, en arrivant, l’ai arrêté à la maison au retour. J’attendais avec fébrilité le moment de m’y glisser, ce que j’ai fait dès que je suis arrivé ce matin. Ce n’est pas d’une perfection absolue, mais techniquement c’est désormais très au point… J’en ai écouté plus d’une heure. Il y a de très belles choses, dont un passage qui m’a ému par la manière dont différents sons et voix s’alternent, se chevauchent, se succèdent… Je me suis dit que je me passerais du rapport de cette soirée, que l’enregistrement serait suffisant, et, d’une certaine manière, pourrait me dispenser de tout commentaire par écrit. Et me soulager donc./Je ne fais rien de particulier, me laisse aller : Wenders, le japonais, le portugais. J’ai néanmoins jeté un œil à Dot cette nuit avant d’aller me coucher. Je me demande si je vais conserver la liste des « personnages », particularité de Rok. J’aime bien ce procédé. J’ai aussi entrepris la copie sur mini-disque de mes bandes audio qui ne contiennent pas de mes compositions et que je rangerai ensuite dans les boîtes Buren. Et ainsi gagner de la place./Il y a aussi Kagemusha. J’en avais immédiatement cherché la signification dans mon « kanji ». Pour kage, je trouve « ombre, image ». Mais pas de trace de musha. Il y a bien mushi et mu (su), verbe lié à la vapeur, l’évaporation (950). Mais qu’est-ce que cela veut dire ? (l’image évaporée ? l’évaporation de l’image ?)/À un moment donné, Baudouin m’avait parlé d’un groupe dont j’ignorais tout : Kata-onoma. « Kata ! » ai-je dit, ma main fendant l’air de droite à gauche comme j’avais vu Jean le faire pour en expliquer le sens premier./(C’est alors que je vois en sous-titre, sur la couverture : « l’ombre du guerrier » !)/Et j’ai repensé à la soirée chez Alfred et Gina qui n’arrêtent pas de nous inviter, notamment pour son anniversaire à elle (c’était le cas), comme un rituel, alors qu’il y a des années qu’ils ne sont pas venus chez nous. (Allons-nous finir par nous en sentir coupables ?) Il n’empêche, je n’avais guère envie de sortir, et encore moins de parler, et de voir du monde, particulièrement des figures qui me seraient inconnues ou dont je n’aurais plus eu le souvenir du nom ou du visage. C’est ce qui s’est produit, gens aperçus une fois autour d’une table et à qui je n’avais rien à dire et dont je n’attendais rien. Paula et Matthew étaient également invités, ce qui m’a stimulé ; et qui se sont désistés, ce qui m’a chagriné. J’ai alors tablé sur Amalle et Jean-Michel, lui avec qui j’avais eu une longue discussion la fois précédente. Ils y étaient. Et aussi, figure disparue de ma mémoire, mais revenue avec acuité lorsque je l’ai aperçu : Philémon, ce drôle de type un peu bègue, au visage ramassé, au regard à la fois scrutateur et voilé, à la fausse stabilité cachée sous sa timidité. Lui aussi m’avait reconnu, et de la même façon posait sur moi de drôles de regards qui, j’y pense à l’instant, ont quelque chose de l’animal. Nous nous sommes reconnus, mais en même temps avions perdu tout souvenir de l’un et de l’autre. C’est ce que nous nous sommes dit une fois dehors autour d’une cigarette./Mais quelques détails qui échappent au micro : l’habillage du rez-de-chaussée tout en tentures sombres, la multitude de jeux, la variété de leurs couleurs, leur richesse : invention, imagination, humour, ingéniosité, le tout fait de matériaux simples, bois, papier, carton et, pour le labyrinthe, de circuits imprimés. De la récupération. Mais, alliée à l’imagination, cela prend souvent des proportions magnifiques, et, dans certain cas, a des accents de génie (voir Francko)./Roman est allé voir son père à l’hôpital. En attendant le retour d’Anne, je fais un peu de piano. Puis lui parle de l’invitation de la famille autour du projet Budapest. (Julia qui en me faisant la bise m’envoie de l’électricité.)/Cigarette qui était déjà la seconde depuis mon arrivée. J’étais mal à l’aise, n’avais pas envie d’entamer quelque conversation que ce soit. Je me suis rabattu sur le vin et le buffet. J’en ai fumé une première avec Jean-Michel qui s’est révélé moins loquace que la fois précédente, puis une seconde avec Philémon autour de la table de jardin dans le froid piquant de la nuit, moi engoncé dans mon manteau et grelottant, lui en petit pull et parfaitement à son aise./(Thierry Derosier dansant avec sa compagne, y prenant un manifeste plaisir ; je n’aurais pu l’imaginer un seul instant en train de danser et y prendre du plaisir.)/Je l’ai revu deux jours plus tard dans un café. « Fais le point », m’a-t-il dit au bout d’un moment alors que je déplorais la dispersion dans laquelle je me débattais. Ce que j’ai fait, directement sur la nappe, à l’aide de mon Cross, tandis que deux filles passaient et qu’il les suivait du regard jusqu’à ce qu’elles s’assoient au fond de la salle. Il a ensuite posé le regard sur le résultat, un cercle noir d’un bon cm2. « Trop gros. » Et a avisé la plume. « Ton Cross ! Faire un point avec une croix. Quelle idée ! » « Le point de croix, en quelque sorte », ai-je dit. Il a souri. « Tu sais ce que les Anglais disent quand ils sont en colère ? » J’ai opiné : « Je suis croix. » Il a de nouveau souri. « Bien sûr, tu le sais. » Puis : « Au fait, tu es toujours avec elle ? » J’ai opiné. Puis : « Tu sais comment s’écrit mon nom en japonais ? » « Non. » « Une croix de Lorraine. » Je l’ai tracée à côté du point trop gros :      . « Avec une double apostrophe :     . Et tu sais comment on trace le sien ? » « Non. » J’ai de nouveau tracé la croix       à laquelle j’ai ajouté les deux traits        . « Sue, le pouvoir, la fin. Les deux ailes de mon nom sont devenues une jupe pour elle. » Je crois que ça l’a impressionné./Longue conversation qui s’est entamée par le rappel de la fois précédente, il y a deux ou trois ans, avant le constat de l’oubli total des détails qui l’avaient marquée. Tout ce que je me rappelais, c’était qu’il était de Bruay. Je le lui ai dit, avant d’ajouter que j’étais de Lens, tout en écoutant résonner ma voix qui n’était plus la mienne, mais celle d’un modèle ancestral dont j’étais le porte-parole. C’est là qu’il m’a demandé avec un sourire si j’avais fait partie de la bande de Lens. « Quelle bande ? » Je n’étais pas autrement surpris, nous avons le même âge et il n’était pas impossible que je l’aie rencontré lors de nos sorties en ville à l’époque de Condorcet où, effectivement, je pouvais affirmer avoir fait partie d’une bande, celle que nous formions au lycée (rebelles), première, terminale, la musique et les concerts de rock. Mais je me trompais, car ce dont il voulait parler, c’était de celles de vingt ou trente gars, véritables bandes qui se déplaçaient de ville en ville pour en rencontrer d’autres et se casser mutuellement la gueule. « Pour-quoi ? Tu as fait partie d’une bande ? » « Oui, celle de la fosse 6 à Calonne. »/Depuis quelque temps, je me sens calme, et bien. Je me deman-de si ça ne coïncide pas avec ma décision d’aller au Japon et d’en entreprendre l’étude de la langue. Qui du reste vire à l’obsession, et les difficultés que je rencontre au déchiffrage des signes ne font que l’accentuer. Je marche et j’appelle à moi des signes que je tâche de reconnaître ; je marche, je conduis, et de lui-même mon doigt se dresse et trace dans l’air ceux que je sais désormais reconnaître. J’ai acquis la presque totalité des hiragana et j’ai abordé aujourd’hui les takamana [sic !], réservés uniquement aux mots étrangers. À l’exception de deux ou trois signes, ils sont complètement différents de leurs homologues hiragana ; deux signes pour un même son, comme s’il y avait eu volonté de leur part de marquer une séparation définitive entre eux et le reste du monde. Je cherche des moyens mnémotechniques, en m’étonnant que certains signes soient immédiatement assimilés, alors que d’autres restent irrémédiablement fermés./« On n’avait pas d’argent, alors on allait aux entrées des boites en demander aux types qui entraient. » « Et s’ils ne donnaient rien ? » « On leur cassait la gueule jusqu’à ce qu’il donne quelque chose. » Sa mère est polonaise ; son père, qui était mineur, roumain. Enfance ouvrière passée le week-end à aller en bande casser la gueule à d’autres bandes ou à provoquer des bagarres dans les bals et dans les boîtes. Je n’en revenais pas. Comment ce type d’une telle douceur avait-il pu, même trente ans en arrière, passer sa jeunesse à aller casser le nez à d’autres pour le simple plaisir ou par ennui ou pour quelque autre raison qui, de toute manière, m’échappait ? « Qu’est-ce qui te poussait à faire ça ? » « Sais pas. Je faisais comme tout le monde, comme les autres copains. » Alors, je l’ai questionné (interrogé !). Service militaire, puis rencontre avec une fille qu’il laisse après deux enfants, puis l’Italie pendant deux ans avec une Italienne du Sud qui n’a pu supporter le Nord de la France et est repartie chez elle. Puis une autre fille, danseuse, qui lui donne l’idée d’en faire aussi. Il en fait, y prend goût, devient professeur jusqu’à l’âge de 35 ans. Mais il ne peut en vivre et laisse tomber. Il rencontre alors Jessie et entreprend à l’âge de 40 ans des études pour devenir chercheur dans l’industrie chimique. Il y est toujours. Il m’a dit qu’il préférerait que je ne parle pas de lui. Vais-je tenir ma promesse ?/De même pour les kanji. À la seconde où j’ai vu celui du cœur, j’ai su que jamais je ne l’oublierai :         shin, kokoro, alors que je patauge dans les chiffres./(Mascarade de la visite médicale. Cela faisait cinq ans. Nouvelle doctoresse. « Pas de problèmes particuliers ? » « Non. » « Apte au travail ! » En gros…)/« Et moi ? » J’ai tracé                  . Puis Francko :               ; puis Dany :            ; puis Yann :        . « Et puis Anne ; c’est un kanji, et il est beau :          .  An, yasui, la femme sous le toit, c’est-à-dire : la paix. »/Castagneur, puis professeur de danse contemporaine. « Dans le fond, la danse est une sorte de bagarre ; en tout cas, un rapport de forces entre des personnes. » Il a haussé les épaules. J’ai ajouté : « La bagarre a souvent été le thème de chorégraphies. » Il a souri. Je crois qu’il n’avait pas d’avis sur la question, qu’il n’y avait pas réfléchi, qu’il s’en était toujours tenu à l’instinct. Et à présent chercheur./(Il y a une demi-heure, je recevais un coup de fil de T*** qui désirait acquérir la totalité de Journals. Bien. Mais est-ce que je n’aurais pas dit du mal de lui quelque part ? )/Jessie est une charmante petite Anglaise qui semble l’adorer. Ils ont deux enfants. Le fils, qui n’a pas dix ans, fait de la harpe celtique ; la fille, plus âgée, du piano. J’ai imaginé un troisième enfant auquel il enseignerait les castagnettes./« Un enfant japonais apprend, en 9 ans, à lire et à écrire 1 000 kanji. Un adulte, en moyenne, en connaît entre 2 000 et 3 000. La liste officielle des kanji d’usage courant en comporte 1945 ! » « Pourquoi pas 1 950 ou 2 000 ? » « Je ne sais pas, mais ça me paraît impossible que ça ne soit pas délibéré. » « Ça l’est, tu peux en être sûr. Les Nippons sont assez ficelle pour cela ! »/Susan partage mon point de vue, soit qu’il aurait en lui quelque chose de rétracté, de retenu. J’ai parlé de douceur, mais ce n’est pas cela. Il est calme et silencieux, mais c’est de l’ordre de la couverture ; derrière, quelque chose se trame. Sur la fin, il était un peu saoul ; Jessie, sans cesser de sourire, drôle de sourire figé, insistait gentiment pour qu’il daigne s’apprêter à partir. Il se trouvait devant elle, debout, titubant légèrement. À deux ou trois reprises, il a esquissé un coup de pied en sa direction. Pas méchant. Mais c’était étrange, et vaguement malsain. Il avait son regard fixe, un sourire un peu crispé, et levait la jambe dans sa direction comme pour lui asséner un coup de pied. Elle n’y prêtait pas attention, continuait à sourire gentiment, avec indulgence (et certainement amour) ; elle doit y être accoutumée. Il n’empêche : j’ai l’impression qu’un tel geste entamé finit toujours par s’achever./(Les Nippons ficelle…)/Il ne sait comment réagir ; il sent qu’il doit se manifester d’une manière ou d’une autre, mais il ne sait comment. L’instinct, ou quelque chose d’instinctif, lui dicte un mouvement, mouvement qui est sans doute contraire à ce qu’il pouvait imaginer et qui doit lui-même l’étonner./(Ne pas oublier le cahier que Francko m’a offert lors de notre dernier séjour là-haut !)/Il est 18 h 00, je mange une pomme Fuji.