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C’est fait : je viens d’entamer ma 1re
leçon de japonais. Paul qui l’a étudié à Reading m’a prêté ses cours et ses
livres dont Parlons japonais et Essential kanji. Après hésitation,
j’y ai ajouté Cent questions sur le Japon qui a cet avantage d’être
bilingue. Les idéogrammes ne me sont pas tout à fait inconnus puisque je les
avais abordés il y a quelques années, mais j’ignorais tout des deux alphabets
syllabaires qui les accompagnent : hiragana et katakana, le premier pour le
vocabulaire japonais, le second pour les mots et noms d’origine étrangère. Je
regarde les deux tableaux et leurs 96 signes, pense aux 2 000 idéogrammes de
base à y adjoindre, et je suis pris de vertige./Un numéro de Marie-Claire et
deux faveurs. C’est ce que contenait le sac en plastique qu’il a posé sur la
table de la cuisine. Les faveurs nous étaient destinées : un petit rouleau de
papier et un bonbon vénitien chacun. Le bonbon provenait de la Biennale, le
rouleau était un billet d’entrée pour le concert de Brigitte Fontaine au Colisée
la semaine suivante. D’une fontaine l’autre, il nous a parlé de la sienne, idée
pour sa prochaine exposition à l’ARIAP, modèle gigantesque qui comblerait la
quasi-totalité de la salle, ne laissant de place que pour le passage des invités
et quelques tables…/Comme exercice, je déchiffre le carton d’invitation de
l’exposition de Janusz à Kobe qui figure sur mon bureau, en face de moi. Le
verso est pour l’heure illisible ; sur le recto son nom est écrit en katakana,
avec un kanji intervenant à la fin, j’ignore pourquoi, tout comme j’ignore sa
signification. Je tâche en ce moment même de transcrire le mien tout en me
demandant comment l’on dit : « Je vais au Japon. »/Chaque année à la même
époque, il consulte, par fantaisie, l’horoscope de Marie-Claire. Cette année,
nous y avons eu droit. Pour Susan, tout va bien ; pour moi, ça ne va pas trop
mal ; quant à lui, je crois qu’il n’a pas lieu de s’en faire. De là, nous en
sommes arrivés au tarot, dont celui de poche de Susan à partir duquel elle nous
a fait un tirage, puis, celui-là de taille normale, du Mah-Jong auquel jusqu’à
ce moment je n’avais jamais accordé la moindre attention. Je suis allé le
chercher, l’ai déployé sur la table pour découvrir que chaque carte est assortie
d’un kanji./C’est ce que j’ai dit à Pascal et à Éric ce matin au distributeur.
C’est ce que j’ai dit hier à Francko lorsqu’il m’a annoncé qu’il y exposerait
aussi dans quelques mois. « Eh bien, je viendrai au vernissage ! »/Nous en
étions au quatrième jour et j’étais bien obligé d’admettre que j’en avais un peu
assez. J’avais dit que je ne retournerais pas à la maison avant qu’elle ne soit
complètement déserte, mais, à la vérité, ces « vacances » un peu forcées
commençaient à me peser et je voulais rentrer. Je lisais tandis qu’elle
regardait un quelconque film américain diffusé sur son laptop, auquel
elle en a ajouté un autre que j’ai fini par suivre mollement avec elle. Dans la
foulée, j’ai glissé dans le magnétoscope Rendez-vous au lion, le film de
Colette Portal sur la Piscine, auquel Francko a participé et que j’ai trouvé
parmi ses cassettes. J’ai achevé la soirée avec Marguerite qui n’a pas
réussi à me conquérir tout à fait. À 23 h 00, nous étions plongés dans les
quatre mètres carrés des draps./Nous avons passé le reste de la nuit à deux
autour d’un verre. Il m’a parlé de sa découverte d’Aristippe, puis d’Onfraie, le
second parlant du premier, et de là de l’autobiographie, Onfraie voyant la seule
réelle littérature en l’autobiographie, le journal, le roman autobiographique,
l’autofiction. Nous en sommes venus tout naturellement à moi. Il m’a rappelé
tout le bien qu’il pensait d’Albena, ce qui tout de même continue à me
surprendre, puis de Journals, encore qu’il croie que le temps d’un
changement est arrivé. « Je le pense aussi », ai-je dit sans y croire une
seconde./Midi. Campus, Laon. C’est la troisième fois que mon cahier rentre dans
un bistrot. Vian chante le Déserteur sous le ciel bas et froid./Je viens
de la déposer à Roubaix où elle doit retrouver Yann. Il la déposera ensuite ici
où je suis revenu, Lille, il est 14 h 30. J’ai appris il y a une heure que l’une
des vitres de la porte de séparation du séjour avait été brisée. Je me fiche
bien de cette vitre. Mais Susan le sait depuis hier et ne me l’a dit
qu’aujourd’hui. Je me demande s’il n’y a pas d’autres dégâts qu’elle me cache
qui, par exemple, toucheraient mon bureau./Il était à peine deux heures lorsque
j’ai refermé la porte derrière lui (nous nous améliorons). Après avoir rangé, je
suis monté m’asseoir à mon bureau. Ai tourné la tête en direction de la lyssothèque
d’où j’ai prélevé le dernier Journals. Je suis allé le relire au lit.
« Pas mal », ai-je dit tout haut en le reposant. Mais c’est là justement qu’est
tout le problème : ce n’est pas mal…/(C’est étrange, quand j’y pense, la manière
dont la chose s’est faite, cette décision immédiate et spontanée qui, à vrai
dire, ne me ressemble pas et que j’ai prise presque malgré moi avec la certitude
que je ne reculerais pas. Il y fallait pourtant comme un sceau définitif. Alors
j’ai ajouté : « Et si Susan ne peut venir, je viendrai seul. » Mais je n’irai
pas seul. « Good. Good idea. » C’est la première chose qu’elle m’ait dite
lorsque je lui ai annoncé la nouvelle en rentrant.)/La ville est d’un sinistre
inqualifiable. Il y a la butte avec sa cathédrale au sommet et puis, tout
autour, à son pied, un alignement de curieux bâtiments d’après-guerre qui me
rappellent Amiens, Dunkerque, deux à trois étages, stricts, grisâtres,
décrépits. Laon a-t-elle été reconstruite après guerre ? Et laquelle ? Des rues
et avenues peu entretenues, et pas la moindre poubelle. J’ai mangé ma banane en
cherchant un endroit potable où prendre un café ; après un regard autour de moi,
j’ai dû me résoudre à en laisser la peau sur un pan de terre du trottoir…/(Mais
jamais je n’y serais allé seul.)/Puis travail sur écran, notamment sur le
nouveau fichier que j’ai commencé à constituer, soit le répertoire de toutes
les sources que je possède, vinyles, bandes magnétiques, cassettes, CD. Ce
en clignant des yeux. Je constate que ma vue baisse. En fait, je l’avais déjà
noté et ça ne fait que se confirmer : les lettres de mon écran, à une distance
d’un mètre cinquante, commencent à devenir floues. C’est manifeste depuis hier.
Avec les lunettes, évidemment, c’est parfait, alors qu’il y a deux ans, à cette
distance, avec les mêmes lunettes, j’aurais vu flou. Je me suis efforcé de n’y
pas penser pour achever le livre de novembre et préparer Journals sur
Quark. (J’ai arrêté le journal du site.)/Black Susan, Francko et moi sur
l’autoroute en direction de l’Arc-en-Ciel, le complexe multimédias de Liévin :
théâtre, cinémas, une salle d’exposition. C’est dans cette salle qu’expose
Patrick : « territoires ». Sur la route, Francko
raconte./Puis un peu de grec (moderne) avant de me passer Blue Velvet (en
français et sur M6, merci Geneviève !). Circonspection, perplexité ;
déception par la relative linéarité et cohérence de l’ensemble. Je me suis
demandé s’il n’aurait pas mieux valu que je suive l’ordre chronologique. Du
coup, j’ai regardé une seconde fois Mulholland Drive, qui m’a fait
regretter de n’être pas resté à la première vision, soit à la première
impression où j’étais encore dérouté par l’énigme, en tout cas par une certaine
forme d’énigme, non liée à la compréhension d’une intrigue, mais à l’intention,
à la signification. Cette énigme, sans pourtant être résolue, s’en est allée et
je me suis retrouvé devant une succession d’images qui, en définitive, ne disent
rien. Voilà le fait : ça ne dit rien./La gare est juste en face, place triste
avec, pour l’orner, une friterie à l’auvent futuriste : « Chez Mémère ». La
chaîne de ce café benoît diffuse un CD de tubes ancestraux : Piaf, et à présent
Le Métèque de Moustaki, la moustache grecque. Le patron s’appelle
Bruno./Il était bien tard lorsque j’ai éteint la lumière, avec pour résultat un
rêve très étrange où je démontais mon corps pour pouvoir le regarder de plus
près (ou de plus loin). C’est ce qui explique sans doute la forte douleur que
j’ai depuis le réveil dans la partie droite de mon cou. C’est très
douloureux./C’était une résidence durant laquelle il a écumé la ville pour tirer
des portraits de ses habitants. L’idée est la mémoire, et la transmission, et,
en particulier, celle génétique : deux ou trois membres d’une même famille
séparés par une génération. C’est ainsi que sur les cimaises apparaissent des
couples ou des trios, hommes, femmes, jeunes, âgés. Des portraits où du corps
n’apparaît que la naissance des épaules. On les devine torse nu. Ce sont de
grands formats, près de deux mètres carrés. Le principe de la photographie est
le même que celui qu’il a adopté pour la série que j’ai nommée « cadavérique » :
l’inexpression, la neutralité totale, la lumière plate naturelle. À cette
différence près que le tirage est moins dur, que l’absence de complaisance est
moins marquée – il y aurait donc une certaine complaisance. Le résultat
plastique est proprement stupéfiant et ajoute à la violence de l’ensemble de ces
regards froids posés sur nous. Tous ces visages à la suite les uns des autres
sur les murs de cette salle blanche en L sont gigantesques, envoûtants./(Je
viens d’apprendre que quatre personnes vont rester jusqu’à dimanche. Je ne
retournerai donc que dimanche au retour de chez ma mère.)/Mais ce n’est pas de
la violence, pas à proprement parler. Simplement une force, une intensité. Une
grandeur. C’est cela : une grandeur. Et une noblesse, comme s’il s’agissait
d’une suite de personnages mythologiques ou antiques (ancêtres communs à tout le
monde) prélevés du temps et qui, par-delà les millénaires, nous concédaient un
fragment de leur lumière, la lumière des peaux, des traits, la lumière des
regards au centre desquels lui-même est fixé comme le bouffon du roi, maître et
accessoire, serviteur et potentat, instrument et instrumenteur./En fermant les
yeux sur cette nuit et en faisant le compte approximatif de toutes celles qui
avaient précédé, soit quelque chose comme 18 250, j’ai pensé qu’il était tout de
même étrange que l’on fasse tant de cas de la mort, alors que l’on trouve tout à
fait naturel (anodin, normal, insignifiant) de fermer les yeux chaque soir sur
l’oubli et le noir total ; sur, de toute manière, un lendemain rien de moins
qu’incertain…/16 h 00, Renaissance. Rentré après une petite sortie
infructueuse : Masséna Musique où je comptais acheter la carte son et qui est
fermé pour inventaire ; la boutique du Musée de même. Ai fait quelques
photocopies de papier à musique à Flash-Copy avant d’entrer chez Euro-Cash pour
jeter un œil sur les guitares d’occasion. J’ai failli me laisser tenter par un
coffret de Resnais. À la place, ai acheté pain et café. Je vais faire un peu de
piano avant le retour de Susan…/Mais j’étais bien vivant en me levant et, si
j’excepte cette douleur au cou, frais et dispos. Pourtant, ça ne semblait pas
être le cas de tout le monde car du parking à moitié vide jusqu’à ma place à ce
bureau, soit la traversée totale du parking, puis celle du patio, puis celle du
vestibule des compteurs, puis le hall des ascenseurs et de là l’escalier qui
mène à l’entresol jusqu’au long couloir des archives au bout duquel se trouve ma
salle, je n’ai pas rencontré la moindre personne. C’était comme si j’avais été
le seul à qui un lendemain avait été concédé./Ou instrumentiste. Il est là,
parmi nous, en tant qu’être de chair, mais il est aussi parmi eux et en eux,
réflexion de son propre corps photographiant, petite poupée aux positions
diverses dans la pupille de ces personnes anonymes, qui exécute pour la
postérité la danse subtile et jubilatoire du chromosome./Ou comme si le bâtiment
avait été construit pour moi seul. C’est du reste souvent l’impression que j’ai
lorsque, chaque matin, je remonte le long couloir jusqu’à ma salle sans croiser
qui que ce soit. J’ai sorti ma clef, ai déverrouillé la porte, l’ai verrouillée
avant de la refermer, j’ai allumé, me suis dirigé vers mon bureau dans le coin
opposé derrière la muraille que constituent les filières de dossiers. J’ai posé
mon cartable, en ai sorti mes affaires, cahier, livre, stylographe, tabac, et,
en l’occurrence, mes affaires de japonais. J’ai eu un regard sur la carte de
Janusz, puis un autre sur le calendrier 2004 CRAM accroché au-dessus : « Lille,
capitale européenne de la culture ». Juste à côté, un pinceau. Symbole de la
culture. Et, en effet, l’une des cinq vignettes en illustration dans la partie
supérieure gauche est la photo d’une palette de peintre. La culture, c’est la
peinture… (Pourquoi pas une saucisse, une canne à pêche ou un pot de
moules ?)/Finalement, j’y ai passé plus de trois heures : quelques notes
personnelles, et puis beaucoup de travail sur un ancien prélude oublié, le tout
premier, entamé rue Manuel il y a cinq ans (quel progrès ai-je donc fait
depuis ?). Je me suis mis ensuite à la « lecture » du dernier BAM, dont, comme à
l’accoutumée, je ne fais que regarder les images. Je me suis pourtant arrêté sur
un article, les gratte-ciel et leur tendance actuelle (400, 500 m !) que boude
Paris, Paris à ras de terre qui étouffe dans son « ring » et qui refuse de
s’élever, seule solution, dixit l’auteur, pour sa survie. C’est ce que m’en
disait déjà Yann dans le cimetière Montparnasse, il y a quelques années, alors
que nous considérions la tour./J’avais à peine ouvert le Strawinsky
de Bois que maman a appelé. C’est G*** qui, du service, m’avait passé la
communication (il y avait donc d’autres vivants). Elle m’a parlé de sa nouvelle
aide-ménagère dont elle vient de faire la connaissance. Elle est enchantée. Puis
de deux copines qu’elle s’est faites au Sporting, son café de prédilection. Elle
dit qu’elle n’a jamais été aussi heureuse de toute sa vie !/C’est la première
étape de ma seconde tournée BSP, cette pochade qui consiste à aller chercher
dans les antennes des cinq départements des dossiers papier destinés à alimenter
à la maison mère un Bureau dit Sans Papier. (Brassens à présent). Autant la
première tournée m’avait ravi que celle-ci me pèse un peu. Peut-être à cause de
cette satanée douleur qui ne me quitte pas et que je peux désormais
localiser précisément : vertèbres à la base du cou. C’est le 4e jour.
(Brigitte, maintenant) Pourquoi donc ne suis-je pas allé chez le médecin au lieu
de prendre cette route qui pouvait parfaitement se passer de moi ? (« Le soleil,
mon grand copain. »)/Je considère tous ces visages en m’étonnant que tant de
personnes aient accepté la dure épreuve de ces vues d’eux-mêmes, gens du commun,
de la rue, inconnus. Mais pas tous. L’accès de la salle proprement dite est
barré par une paroi qu’il faut contourner. Au recto s’étalent le titre de
l’exposition et son nom. Pour prendre connaissance du verso, si du moins l’on
suit la marche normale de l’exposition, soit aller de l’avant et suivre les murs
sans s’accorder d’autre regard alentours, il faut justement effectuer une bonne
partie du parcours. C’est ce que j’ai fait. Et une fois au fond de la salle, je
me suis retourné. Et c’est là que j’ai vu, sur le verso précisément, le portrait
de D*** associé à celui d’une dame./J’avais à peine raccroché que ç’a sonné de
nouveau. C’était le dépanneur de Beauvais, il rapatrie la voiture jeudi. Puis
j’ai classé quelques dossiers tout en écoutant Edgar, enregistré au
Châtelet la veille, seul opéra de Puccini avec I Vili dont je n’ai jamais
entendu la moindre note. Un peu maladroit, mais, quoi qu’on dise, infiniment
supérieur à la Bohème ou Butterfly. (L’influence de Verdi qui
traîne, notamment dans les chœurs.)/J’ai abandonné le BAM à sa moitié pour
entamer The Fifth Gospel, histoire d’un monastère aux singuliers rites
d’initiation. En parcourant ces pages à l’écriture classique, à la forme
typiquement anglo-saxonne, je me suis dit que, à quelques exceptions près, toute
la littérature anglo-saxonne pourrait parfaitement être réduite à un seul livre
écrit par un seul auteur (ou tous en même temps, ce qui est la même chose).
C’est la rançon des recettes d’écriture telles qu’elles s’appliquent en ces
pays, USA en particulier. Seule l’idée change d’un livre à un autre. Il s’agit
simplement de développer une idée selon des techniques éprouvées et appliquées
par tous et toutes. Et, bien sûr, on s’y laisse prendre…/Puis ai achevé le
Strawinsky entamé la veille face à la photo de Patrick./J’ai quitté la
Caisse à 10 h 00. Autoroute de Reims avec France-Culture et un philosophe qui se
penche sur Eastwood : de la métaphysique en « Amérique », le cinéma du destin
(Nino Ferrer, à présent). Je n’en ai pas su davantage : à l’entrée dans l’Aisne,
changement de fréquence, brouillard, puis disparition. Je suis entré à Laon par
le nord à la différence de la fois précédente où je venais de Soissons. J’ai
peiné un peu à trouver l’antenne. Suis arrivé juste à temps, 11 h 15, pour la
réception des dossiers. Quatre. L’ouverture à Soissons est à 13 h 15, j’ai tout
le temps de finir mon café…/Puis Susan est arrivée, non pas avec Yann comme
prévu, mais avec Jake et Joséphine. Ils sont entrés, ont découvert les lieux,
nous avons pris un verre. Susan m’a ensuite proposé de manger dehors. Nous les
avons déposés rue de l’Hôpital Militaire, elle a roulé à travers Lille à la
recherche de je ne sais quel endroit « cosy and romantic », refusant d’aller au
Bistrot des Halles tout proche, je ne vois pas ce qu’elle lui reproche. Nous
nous sommes garés rue du Pont Neuf, avons gagné dans le froid glacial la rue de
Gand d’où, sous un porche polaire, elle a passé un coup de fil à Yann qui devait
récupérer la voiture. Nous avons abouti à la Nouba où il nous a rejoints avec
trois de ses amis : Denis (que j’avais croisé quatre jours auparavant dans le
hall d’entrée, que j’avais pris pour Marc, l’ami de Joséphine), Séverine et
Mathilde./(Il n’y a aucune date sur la tombe de Strawinsky. Un
aristocrate.)/J’ignorais encore qu’il s’agissait de familles, et je me suis
étonné de sa présence là, et ma toute première idée était qu’il venait de
décéder et qu’ainsi, en utilisant la photo de l’autre série, Patrick lui rendait
hommage. « Non. Il est de Liévin et la dame à côté, c’est sa mère. Mais c’est
vrai que c’est aussi une manière de souligner ce qui m’attache à lui, ce qu’il
endure depuis plusieurs mois. » Je ne l’avais pas revu depuis le début de son
cancer./Depuis un certain 31 décembre, le recueil des douze photographies que
Patrick a créé pour le lancement de la Rue reposait à plat sur le manteau
de cheminée. Il y a quelques semaines, en le feuilletant, je me suis aperçu
qu’il y avait un très léger gondolage des pages. Je l’avais attribué au
chauffage. Je lui ai cherché un autre endroit ; il ne pouvait y en avoir de
meilleur que le pupitre de l’harmonium juste à côté. Je l’y ai posé, ouvert à la
première page. Puis ai eu l’idée de basculer une page par mois afin qu’à chaque
mois une nouvelle image soit accordée. J’étais assis dans le sofa à lire le
Strawinsky et mon œil a tout à coup été accroché par la photo du mois. Je
l’ai longuement regardée sans me déplacer et me suis rendu compte que je n’ai
jamais vu les photos de Patrick./(La veille du départ pour Venise, une sorte
d’énigmatique entorse s’est déclenchée qui m’a fait boiter jusqu’au lendemain
soir. Ce matin, le même phénomène s’est produit : demain, nous partons pour
l’Irlande.)/Christophe, à présent ; voilà qui va bien avec cette ville qui s’est
arrêtée de respirer il y a quarante ans. En face de moi, se trouve un piano
droit au couvercle fermé. Dessus, une partition : Mistral gagnant qui
manifestement n’est pas celui de Renaud… Je ne vais pas tarder à reprendre la
route. La douleur s’est un peu apaisée./Je devais passer chez Antoine. Mais
auparavant, je me suis arrêté à l’Intermarché de l’Épeule pour renouveler la
bouteille de gaz de mon chauffage d’appoint. Un quart d’heure de queue m’a
permis de dévisager à loisir le monde qui m’entourait, caissières et clients
aussi bien. Rien de vraiment surprenant, j’avais déjà eu l’occasion de pénétrer
dans ce lieu de misère totale. Mais il y manquait une petite note, une touche
inédite, « Rambo ! » que m’offre une cliente « Rambo !!! » qui rappelle à
l’ordre son chérubin de quatre à cinq ans : « Viens ici, Rambo ! »/Denis est
normand et organisateur de congrès à la Villette ; Séverine, de même normande,
est urbaniste. Ils vivent dans un clic-clac à Paris. Mathilde était assise à
côté de moi, Mathilde vers qui, pour je ne sais quelle raison, je me suis senti
proche. Je lui ai beaucoup parlé. Elle est revenue de Dakar pour Paris où elle
cherche du travail. A renoncé à Londres qui lui semble culturellement moins
attractive. Mais ne songe pas à rester à Paris d’où elle est native et où elle a
toujours vécu. J’ai pris un tagine agneau aux pruneaux, trop sucré à mon goût.
Cette soirée a été tout à fait charmante, qui du reste ne s’arrête pas là. Il
n’y avait que la voiture de Susan que Yann devait récupérer. Les hommes ont
gagné la Renaissance à pied, tandis que les filles ont pris la voiture. Nous
leur avons parlé du maître des lieux, de la sirène, du bassin des vœux que pour
la circonstance nous avons empli d’eau afin qu’il remplisse ses fonctions dans
les règles. Mathilde a longuement hésité avant de faire son vœu…/Mais à quoi va
ressembler ce séjour si j’en juge d’après le dernier émail de la « landlady » du
bed and breakfast que nous avons réservé ?
« I have a major problem beyond my
control witch I am very sorry over I had a painter booked since before to
start of the month to decorate my whole house before the start of the season he
started on Monday last and promised me he would be finished by Thursday 9th but
unfortunately he has got a drink problem and has gone of drinking and he tells
me that he has domestic problems I am very embarrass over this and as I sad
their is nothing I can do about this it is beyond my control I will not be able
to keep you in my bed and breakfast accommodation but I can off you at the same
price a four bed room bungalow if you are happy with this please confirm once
again I sincerely apologise my house is in awful state and I would not be happy
having guests the house is two minutes from town »./Beaucoup de monde, Patrick
très sollicité. Une jolie jeune fille
(non : belle ! elle était très belle !) s’avance, un peu timide, à qui, du fait
de l’absence du maire et de la responsable de la manifestation qui avaient dû se
trouver ailleurs des affinités, a été dévolue la charge de faire un discours.
Qu’elle hésitait à faire, qu’elle a finalement expédié en une minute, ce qui me
semblait parfait en la circonstance. Direction le buffet dans le hall, le buffet
et ses petits pains dont j’ai largement consommés, et cette autre jeune fille,
gauche, timide aussi, qui avait commencé à interroger Francko sur son travail
avant de passer à moi qu’elle ne connaissait pas davantage. « Et vous, qu’estce
que vous faites ? » (Dans le fond, pour une fille presque timorée, elle ne se
débrouillait pas trop mal.) Elle est étudiante en une matière dont j’ai tout
oublié, mais qui s’intéresse de près aux nouvelles technologies. Je lui ai
promis l’envoi de quelques exemplaires./« J’ai un gros problème indépendant de
ma volonté que je suis très désolée avec j’avais un peintre retenu depuis avant
le début du mois pour refaire toute ma maison avant le début de la saison il a
commencé lundi dernier et m’a promis que ça serait fini le jeudi 9 mais
malheureusement il a des problèmes avec l’alcool et s’est remis à boire et il me
dit qu’il a aussi des problèmes chez lui je suis vraiment très embarrassée et
comme je l’ai dit il y a rien que je peux faire c’est indépendant de ma volonté
je ne pourrai pas vous avoir dans mon bed and breakfast mais je peux vous filer
pour le même prix un bungalow de quatre chambres si ça vous convient confirmez
encore je m’excuse vraiment ma maison est dans un état épouvantable et ça ne me
ferait pas plaisir d’avoir des hôtes la maison est à deux minutes de la ville ».
Va pour le bungalow./Arrivée à Soissons et ses maisons cossues à 13 h 15
tapantes, pour l’ouverture. Deux paquets de dossiers. Dix minutes plus tard,
j’étais garé un peu plus loin, dans une artère commerçante perpendiculaire et
pratiquement déserte. J’ai acheté deux petits pains que j’ai mangés en me
dirigeant vers la cathédrale. Massive, quelconque. Sale. Suis revenu sur mes pas
pour m’attabler au St Christophe, un étrange bar vert qui a davantage l’allure
d’une confiserie que d’un café. La patronne derrière le comptoir fait des mots
fléchés et un chien à terre remue de la queue en se frottant à moi. Je suis
l’unique client. J’ai payé mon café 10 centimes de plus qu’au Campus. L’approche
de la capitale sans doute, la capitale dont on commence à sentir les effets, de
la même manière qu’à Senlis avec laquelle Soissons a des affinités,
province popote, un peu huppée, quoi qu’il y ait les usines tout autour qui font
une drôle de couronne aux ruines de la basilique et à la cathédrale dont on voit
de loin pointer le nez au fond de la cuvette. Inutile de m’attarder./La voiture
était garée le long du trottoir, le capot avant enneigé. Antoine m’a confirmé
que la boîte était bien morte et qu’il n’était même plus possible de la faire
rouler. Il m’a proposé de la tracter jusqu’au parking. Dans son garage, se
trouve le coupé 450 de 1977 dont il m’avait déjà parlé et que je n’avais jamais
vu. Gris. Magnifique. « Revendez la vôtre, achetez celle-ci. » Pour m’appâter,
et m’épater, il la fait tourner. Vais-je m’acheter une troisième voiture ?
(Penser à vérifier son numéro d’immatriculation…)/C’est Janusz qui m’ouvre.
« Salut. » « Salut. » Il n’a plus son atelier. C’est dire qu’il investit la
moitié de la maison, que le séjour est empli de ses toiles et de son matériel.
« Tu ne me fais plus la tête ? » Il a l’air tout étonné, je lui rappelle la
soirée chez Jean-Pierre. Il ne s’en souvient pas. Je lui rappelle ensuite la
discussion entre Marcel et lui que j’avais enregistrée et dont je lui promets
alors une copie. Roman arrive. Aujourd’hui, guitare électrique. J’ai descendu
l’ampli du premier, il a apporté la caisse qui effectivement contient une Fender,
un modèle de 20 à 25 ans qui a appartenu à Robert. Je lui apprends à l’accorder,
lui enseigne quelques rudiments d’accords./Je rentrais à la maison au moment où
Chito en sortait, cigarette au bec. Elle a remis à Susan les textes du « Salon
de jeu Bazato » à traduire. La branche droite de ses lunettes n’est toujours pas
remplacée, elle était habillée tout en bleu./Et puis Christine est arrivée, et
puis Cécile, et Thierry, Denis, Marie-Claude et Bernard. Enfin D***, que j’avais
vu quelques minutes auparavant sur une cimaise et que je découvrais comme s’il
s’agissait d’un inconnu. J’ai pris de ses nouvelles. Sa bonne humeur jointe à
son état physique m’a presque effrayé. À un moment donné, il m’a proposé de
reprendre nos parties de tarot. « Je ferai le mort ! » a-t-il dit en éclatant de
rire. Et le temps passant, il a été question d’aller manger. Patrick et quelques
autres s’en retournaient sur Lille. Nous sommes retrouvés avec Marie-Claude,
Bernard, Danielle et Christine à nous demander où, pour le moins, nous pourrions
prendre un verre. Il y a trois cafés sur cette place du centre ville ; tous
trois étaient fermés. Nous avons fait quelques pas en direction de l’artère
principale pour nous rendre compte que la désertitude de la place avait
contaminé la totalité de la ville, de cette ville au passé minier révolu qui
aurait pu tout aussi bien se trouver sur les contreforts de l’Atlas ou en
bordure de la Sibérie. J’ai alors proposé que nous allions à Lens, à la gare où
je savais que les cafés seraient ouverts. C’est ainsi que nous nous sommes
retrouvés au Leffe…/Retour par Laon, puis autoroute où je me suis amusé avec mon
petit matériel, bruit de moteur et France-Culture mêlés. Au départ, j’avais été
tenté de faire un rapport oral, mais le cœur n’y était pas. J’ai écouté une
émission sur la Chine. Je retiens le temps cyclique à la différence du
« nôtre », linéaire et accumulateur, puis les périodes de 60 ans et les vertus
du « non agir »./Et puis Annie qui m’annonce la mort de Danielle, la femme
d’Henri, mon cousin. Je me suis demandé, première pensée que j’ai eue, comment
Henri, en tant que témoin de Jéhovah forcené, allait supporter le choc… (On
l’enterre jeudi. Vais-je y aller ?)/Au pied du piano se trouve une magnifique
paire de chaussures d’intérieur japonaises, laquées, qui, réunies,
forment un cercle. Sur la table du salon, un Assimil de japonais. Un peu
partout, des papiers, des documents qu’il en a rapportés. Nous prenons un thé
vert avant qu’il ne me propose un rouge. Il me parle en détails de son
exposition à Kobe et de là, me montre des extraits du DVD d’un artiste du cru,
diverses interventions dans un musée à partir de papier, d’encre, de balles,
d’objets divers. Le public participe, notamment les enfants. Il a 68 ans,
vitalité incroyable, facétieux, drôle, enjoué, bondissant, inventif. Tout le
monde rit. C’est comme un jeu. C’est un jeu. L’art est un jeu. C’est
exaltant…/(Il n’y a plus que trois personnes à la maison, ça se vide, on y
arrive. Nous songeons à rentrer aujourd’hui. Je poursuis Gospel, sans
surprise, mais prenant.)/Du temps de mon adolescence, il s’agissait du Café
Benoît. En façade, il y avait une large terrasse. Aujourd’hui, le Leffe le
remplace et cette terrasse est à présent une véranda. Lumière tamisée bleutée,
sous-techno provinciale aux belles basses dont la fonction, sans nul doute, est
de préparer les jeunes gens à leur sortie en boîte dans la campagne environnante
à quelques heures de là. Nous avons hésité avant de nous décider tout à fait. Il
y avait bien une ardoise avec le plat du jour, mais : « Ah non, le chef de
cuisine n’est plus là à cette heure-ci ! » Mais, en face, à la droite de cette
curieuse gare en forme de locomotive qui m’étonnera toujours, un édifice au néon
flamboyant dont l’enseigne proclame en rayures sang et or : « Au Lens Frites ».
« Frites ? » « Frites ! » « Et saucisses ! »/Réunion ce matin : cette fois,
c’est sûr, dans un bref délai, l’une des cinq salles d’archives va sauter. Mais
laquelle ?/Julia joue aux Sims sur son Mac, Roman a disparu, je parle avec
Janusz. Et puis, tout à coup, j’entends une voix derrière moi. Je tourne la
tête, vois Roman sortir de la deuxième pièce avec un ouvrage tenu ouvert devant
lui dont il lit à voix haute un passage. Je mets quelques secondes à me rendre
compte qu’il s’agit d’un exemplaire de Journals et que le passage
concerne l’une de mes visites chez eux. Il est reparti aussitôt après, sans le
moindre commentaire et le visage totalement inexpressif. Cette scène, qui n’a
pas dû excéder trente secondes, m’a extrêmement troublé. Anne est arrivée au
moment où j’enfilais mon blouson. Il était 20 h 00 ; comme d’habitude, je
n’arrivais pas à partir. Mais il fallait que je passe chez Françoise lui
rapporter les deux cassettes de Lynch. Nous buvons un Côtes-du-Rhône en
discutant ostéopathie, cassettes vidéo, cinéma, archivage, et, bien sur, de
Lynch./J’y suis allé avec Christine. C’est dans ce lieu blafard et clinique
qu’elle m’a parlé de son nouvel amour, cet homme dont elle m’avait appris
l’existence à la terrasse du Leffe (celui-là à Roubaix), à l’époque où rien
encore n’était fait. Autour de nous, la graisse et les fricandelles crépitaient.
C’était presque comique. « Quatre frites, quatre saucisses et quatre merguez,
s’il vous plaît. »/L’élégance strawinskienne : costume, cravate, imperméable et
sandalettes à la belge. Sans oublier les chaussettes ! Un aristocrate ?/Chaque
portion en valait bien quatre ailleurs et les saucisses tout comme les merguez
auraient pu tenir le rôle de gourdin dans une pochade napolitaine. Cette masse
impressionnante de pommes de terre transformées et de viande boudinisée a
semé un peu la confusion sur la table avant d’être engloutie avec de nouvelles
bières et des évocations mongoles et nippones à n’en plus finir pour la
plus grande joie de tous et de toutes./Je tourne un peu en rond. J’ai entrepris
La poussière du monde où je lis : « En tournant ainsi lentement puis de
plus en plus rapidement sur lui-même le derviche, par le jeu et le pouvoir de
ces deux paumes inversées, attire et concentre sur lui les énergies du monde qui
traversent son corps comme un éclair au ralenti, muant ce corps en réceptacles
des orages, des embellies de l’invisible. » Le derviche est un paratonnerre
rotatif, en somme. Mais j’ai la tête ailleurs, à Journals, au piano, aux
disquettes que j’ai emportées et que je ne peux utiliser. Je pense aussi au
piano en me demandant s’il ne serait pas possible de le monter au grenier. Je
suis souvent frustré par le fait qu’il soit dans le séjour, donc proche du
bureau de Susan. Idem ici où elle travaille à une traduction et ne peut être
dérangée. Il serait peut-être bon que nous rentrions aujourd’hui./« Cet abus
d’alcool chez Strawinsky s’inscrit dans le sillage de tous ces grands buveurs
que furent les littérateurs anglo-saxons de ce siècle […]. Sans oublier Ionesco,
[…] qui un soir de brume, déclara : “ Le whisky que je préfère, c’est le whisky
Korsakov, mais juste une Sheherazade… ” »/Des maisonnettes très basses, comme
écrasées, au toit quasiment plat et fait de tôles ondulées en fibrociment, et
des fleurs qui les couvrent toutes entières, fenêtres et portes garnies de pots,
sans compter les jardinets en façade aux petites pelouses délicates où elles
sont comme ripolinées. Nathalie nous dit qu’elles ont été construites par Emmaüs
juste après la guerre, logements provisoires, en parpaings, qui sont toujours
là, bien attachés au sol. Il y a deux pièces et, à l’arrière, une petite cour
avec un portillon qui donne sur un pré. C’est charmant. C’est dans ce pré que
nous trouvons Anne, Janusz, Françoise, Thierry, Christelle, Julia et Lucien,
tandis qu’à l’intérieur, Marc, Cyril et Claude, Claude l’inénarrable jongleur de
frère de Christelle dont je ne sais toujours pas si le comportement d’innocent
est feint ou non, boivent des bières. Les enfants jouent au badminton, les
adultes pique-niquent dans ce pré dont il semble que seule Nathalie ait vraiment
l’accès si j’en juge d’après son portillon qui semble unique dans la haie de
séparation entre les cours et le pré. À qui appartient-il ? Au groupe scolaire
qui lui est contigu et dont la jouissance est tacitement accordée. Le concierge
n’y trouve rien à redire. Alors, elle l’utilise, Lucien y fait du vélo et, en
l’occurrence, nous y pique-niquons./Rien de nouveau en ce qui concerne les
archives. Nous attendons. Ce matin, des types sont passés faire un inventaire du
contenu de ma salle. Ils ne m’ont pas compris dedans…/J’avais passé l’après-midi
sur le Mah-Jong, avais pris des notes, des repères pour un premier tirage
que je lui ai proposé au soir. De ce tirage, il ressort qu’elle doit être
prudente durant les mois à venir. Quant au mien, il était beaucoup plus précis,
et très troublant : l’Eau par deux fois, la Terre par deux fois (qui
encadrait le Feu) au Sud, soit mon futur proche : attention aux dépenses ; la
Maison au centre, soit stabilité et propriété terrienne, attachement au sol ; en
conclusion : des voyages par eau ou au-dessus de l’eau (en
faisant attention aux dépenses) et un personnage qui viendra de l’étranger pour
me seconder ou me venir en aide (débrouiller des difficultés, des incertitudes,
des questions liées à l’écriture !)… Un Japonais ?/Susan achevait sa traduction,
j’avais passé quelques heures à lire. Et puis, d’un coup, j’en ai eu assez.
J’avais profité de ce qu’elle faisait une sieste pour entamer le rapport des
corrections de Journals sur son laptop. Elle s’est levée, a repris
sa place. J’ai tourné en rond en fumant une énième cigarette et les paumes
inversées, puis ai décidé que nous rentrions. « As you like. » Elle a achevé sa
traduction, j’ai terminé mes corrections. « Je n’en ai plus besoin, tu peux
l’utiliser si tu veux. » Du coup, j’ai hésité. Rentrer, ne pas rentrer ? De
toute manière, je devais la déposer le lendemain et prendre quelques outils pour
aller chez ma mère. Elle a commencé à travailler à ses corrections de copies,
j’ai fait un peu de piano sans grande conviction. Puis nous avons rangé et
sommes partis./Nous pique-niquons gentiment, calmement, dans l’air doux du soir.
C’est champêtre et proprement délicieux. Pourtant, ça ne semble pas être du goût
de tous. Ce type, par exemple, qui, accompagné d’un gros chien noir, va venir
lentement vers nous. Il était apparu à l’autre bout du pré, à suivre lentement
son molosse, puis petit à petit, d’une lenteur calculée, il s’était approché
pour venir s’arrêter à quelques pas de nous. Nous nous sommes tu, l’avons
regardé. Il a dit quelques mots que nous n’avons pas perçus ; nous avons
continué à le regarder. Nathalie s’est approchée de lui, lui a répondu, et dès
lors j’ai compris, contrairement à ce que j’avais pensé au départ, qu’elle ne le
connaissait pas et que ses propos n’avaient rien d’amical. « C’est un pré privé,
vous ne pouvez pas rester là. »/(Le nouveau cinéma de Roubaix ouvre le 16. Il y
aurait une salle d’art et essai. Oh oh !)/Il a une trentaine d’années, a une
face ronde à la peau luisante et rougeâtre qui de toute évidence ne connaît
l’eau que pour son lavage. Une discussion s’entame entre lui et Nathalie,
Nathalie qui lui demande qui il est, ce qu’il veut. « Je suis le fils du
concierge de l’école, je suis le gardien de l’école. Vous n’avez pas le droit
d’être là. » Il n’y a pas de réelle agressivité dans sa voix ; c’est son être
entier qui la porte, la contient, la retient, et son regard qui est comme une
double flaque d’eau flétrie. Nathalie dit que par convention elle a ce droit,
qu’elle a la permission, et que de toute manière, elle ne voyait pas en quoi
notre présence était gênante. Je la sens tendue, crispée, comme je le suis,
comme nous le sommes tous, encore que ça ne soit pas tant par sa présence que
par ce qu’il inflige à Nathalie dont la main droite tremblait. Lui dit : « On va
voir ce que pense la police de tout ça. » Il sort son portable tout en remuant
la laisse de son chien qui manifestement est intellectuellement mieux équipé que
lui. Il appelle la police. Tout le monde se tait, tout le monde fixe cet ahuri,
abruti intégral qui regrette sans doute de ne pas être accompagné de quelques
copains et d’autres chiens, qui, dans les vapeurs qui l’enrobent, sent cliqueter
en lui les breloques du pouvoir. Il explique la situation, tend ensuite son
portable à Nathalie qui elle-même explique la situation, la sienne, la nôtre.
C’était la police municipale. Elle le lui rend au bout de quelques
minutes : « Il n’y a pas de problème. Nous pouvons rester. »/« La guerre était
finie et la paix n’avait pas encore commencé ». Entre fiction et documentaire,
parce qu’il y a « trop de fiction dans la fiction et pas assez de documentaire
dans le documentaire ». Entre guerre et paix, donc. Terre faite de goût de
guerre et de parfum de paix. J’y ajoute ce qualificatif : sec. Godard est sec.
Il est sec comme un paysage entre guerre et paix. En l’occurrence, pas le sec de
la sécheresse, de l’aridité, mais celui de la branche, du rameau. Du cep. Et à
sec, je peux ajouter froid. Un froid cassant, qui casse aussitôt qu’un peu de
chaleur, voire de tiédeur, s’élève, « se fait jour ». Éloge de l’amour.
(« Penser (à) une chose, c’est penser (à) autre chose. » Mais qu’en est-il de la
première chose ? La naissance de la pensée ?)/L’idiot semble incrédule, entame
une longue conversation avec le policier au bout du fil tout en s’éloignant
nonchalamment avec des airs de petit cow-boy bafoué. Il s’éloigne, revient.
Parle toujours, à se demander, tant la discussion est longue, s’il n’est pas
seul au bout du fil, s’il ne poursuit pas pour la frime, pour sa frime, ou pour
cacher la honte, ce qui pourrait s’apparenter à de la honte, mais sans doute
est-ce plutôt de la haine, celle qu’il conçoit à ce moment-là à notre égard,
nous qui avons poursuivi notre pique-nique sans pourtant l’avoir oublié, sans
parvenir tout à fait à étouffer la tension (mais la crainte aussi) que
cet être des abysses de la stupidité a désormais installées sur ce pré l’instant
d’avant idyllique./Les codes, les clefs. À l’excès. C’est comme un jeu. Trouver
les références, les auteurs. J’ai reconnu la citation de Walser : « Pourquoi
chercher à te revoir, à t’avoir, puisque je t’ai déjà ? » Que j’avais utilisée à
l’époque de V***…/Je suis un peu barbouillé. C’est la faute au Régnié,
appellation récente de Beaujolais dont jusqu’alors j’ignorais l’existence et qui
n’a rien à envier à ses petits frères. C’était au pot Beaujolais où nous nous
sommes retrouvés après la réunion à artconnexion. Longue table de 25 à l’étage.
Nous en occupions le bout, contre la fenêtre qui donne sur le Carlton. À ma
droite, Susan ; en face de moi Didier avec à sa gauche Françoise et à sa droite,
Francine, puis Amanda. À ma gauche, Roman qui à sa gauche avait Christine, la
sœur de Janusz, puis Anne, puis Julia, puis Janusz avec les mains pleines
d’encre, une encre indélébile, j’ignore pourquoi, et lui de même qui l’a
découvert après sa prestation./Il finit tout de même par « raccrocher », mais
n’en part pas pour autant, tourne, va à l’autre bout où, au faîte d’un muret se
tient un chat. Il s’en approche avec son chien, le chien qui se dresse sur ses
pattes arrière, le chat qui fait le dos rond, et lui qui les regarde dans
l’attente manifeste que le premier réduise le second en bouillie. C’est, en
l’occurrence et de toute évidence, notre substitut. Mais le chat finit par s’en
aller et le « maître » de même qui, avant de regagner l’extrémité du pré où il
était apparu, se paye encore le petit luxe de détacher son chien avec des
regards sombres et éteints sur nous…/J’avais un peu d’avance, je suis d’abord
passé au Furet acheter cent enveloppes à bulles pour le CD du JS, puis,
il me fallait un modèle pour les tester, US Highball de Partch par le
Kronos Quartet. Ai aussi jeté un coup d’œil aux reproductions de toiles en 40x50
pour ma mère. En vain. Rien dans ce format. De là, suis allé m’acheter un
sandwich avant de monter au premier du 10-12 rue du Priez. Je l’avais entamé sur
le trottoir d’en face en considérant les fenêtres éclairées derrière lesquelles
évoluaient déjà quelques invités. Il s’est mis à pleuvoir. Je suis monté, ai
échangé quelques mots avec Bruno dans son bureau tout en achevant mon sandwich.
Il m’a exposé les grandes lignes de ce nouveau projet « Live Painting » qui va
voir l’intervention de plusieurs peintres, dont Janusz, qui l’inaugurait./Au
retour, j’ai constaté le bris de la vitre de la porte-fenêtre. Mais j’ai surtout
noté le souk qui encombrait le piano, puis, en montant mes affaires, que rien
n’avait été nettoyé dans l’escalier, sur le palier, dans le grenier. Je n’avais
qu’une hâte, celle d’entrer dans mon bureau. Il était intact. Mais pas la
chambre qui avait été occupée, ni la chambre d’amis qui elle-même était en
désordre. Pourtant, la maison était déserte à l’exception de Paul qui, pour je
ne sais quelle raison, tirait un nez de trois pieds de long. Par contre, le sofa
de mon bureau n’était pas dérangé. En conclusion, Denis et Séverine occupaient
notre chambre, Mathilde la chambre d’amis et Yann sa propre chambre. « Nous
n’avons plus qu’à repartir », ai-je dit à Susan alors que nous mangions un
morceau dans la cuisine encore habillés, la cuisine dont une petite partie des
vitraux était aussi brisée. Mais je n’en avais pas la moindre envie, et nous
avons finalement décidé de rester. Nous verrions bien au retour de Yann et de
Joséphine qui étaient en Belgique pour la journée avec leurs amis. Je suis monté
déballer mes affaires, puis me suis installé à mon clavier où j’ai commencé la
transcription de la Première danse romanne que j’étais tout de même
parvenu à achever chez Francko./Nous avons malgré tout réussi à retrouver un
semblant de légèreté et de gaieté. Thierry est parti tôt en compagnie de Cyril,
Thierry qui m’avait avoué qu’elle s’appelait Françoise et que c’était presque
l’amour de sa vie. Nous sommes restés dehors jusqu’à ne plus rien y voir. Nous
étions à peine rentrés que Marc, Christelle et Claude s’en sont allés aussi. Ce
qui fait que nous n’étions plus que six autour de la table pour mon tiramisu et
la tarte au fromage de Nathalie./Plus que jamais, la loi des clans s’est
vérifiée avec cette fois une marque physique de démarcation dans la grande salle
du rez-de-chaussée : le salon, d’une part, où nous nous sommes tous installés ;
la seconde partie, d’autre part, où était reléguée la famille de F***,
s’occupant dès lors de la cuisine et principalement du service, à ce point que
je les ai très vite oubliés, ne leur concédant de temps à autre un peu de mon
attention que pour regretter leur retrait./Osteva
ou la vendetta albanaise. « Kadaré en
parle souvent », me dit Susan, vendetta séculaire et aveugle qui fait que plus
personne aujourd’hui ne sait à quand elle remonte et quelle en est l’origine.
Nous regardons ensuite une émission sur l’Égypte. Elle y a vu la caverne où elle
a séjourné avec Dominique durant leur périple de jeunes mariés…/Ils ont deux
filles. L’une d’elles est une drôle de brunette d’une dizaine d’années, grande,
efflanquée, au visage assez intrigant et attirant, au comportement d’enfant
gâté, légèrement irascible, qui réclamait sans cesse l’attention de tous, à
preuve la mallette à karaoké (je ne savais même pas que ça existait) dont nous
avons failli avoir droit, et les deux chansons de je ne sais qui auxquelles nous
n’avons pas échappé, qu’elle accompagnait de la voix pour la première, puis de
la voix et du corps à la frontière des deux pièces pour la seconde. Rêve de
star, petit monde intérieur qui se met déjà sous les spots et l’œil d’un public
qui, quoiqu’il ait applaudi, a bien été obligé de reconnaître in petto que tout
cela manquait singulièrement de justesse, de talent et de beauté./Je l’ai
retrouvé dans la grande salle en discussion avec deux personnes. Au pied du mur,
se trouvait une bâche de plastique dont l’un des bords était collé à la plinthe.
Sous la fenêtre, du matériel dont quelques uns de ses rouleaux et la machine à
encrer pour les utiliser. Amanda est apparue avec un inconnu qu’elle m’a
présenté, Olivier Renaud, critique d’art et compagnon de Katia. C’est alors que
j’ai pris conscience qu’il allait s’agir d’une intervention le mettant en scène
avec Janusz. Qu’ils allaient donc parler et que la parole produisait du son et
que le son, ça se fixe. Je me suis précipité dans le bureau de Bruno où j’avais
laissé mon cartable. Il contenait mon petit matériel, mais pas de micro !…/Il y
avait aussi Alfred qui m’agace de nouveau. Retour de ses airs suffisants. Le
regardant, je cherchais une relation entre la pseudo élégance qu’il affiche et
ce qu’il est, soit : le rapport entre la mise et ce que l’on est. Ce rapport
n’existant pas, c’est-à-dire que sa mise lui servirait d’identité, je suis
arrivé à cette conclusion qu’il n’était qu’un homme-sandwich actualisé, sorte
d’affiche publicitaire des produits qu’il porte ou utilise. Et puis, m’est venu
à l’esprit le mot « postiche ». Ce pourrait être une mise postiche
(pastiche ?)…/En 1941, Partch quitte San Francisco pour Chicago, voyage en
grande partie en train à la manière des hobos. Il prend des notes. Deux ans plus
tard, il écrit US Highball à partir de ces notes. Il y aura trois
versions avec différents instruments. Celle-ci est un arrangement de Ben
Johnston de la deuxième, profondément misérable. Le texte figure avec quelques
notes de bas de page dont celle-ci que je relève, de la différence entre « hobo »,
« tramp » et « bum » : le « hobo » est un travailleur nomade ; le « tramp » est
nomade, mais ne travaille pas ; le « bum » est sédentaire et ne travaille pas.
Équivalents français ? Chemineau, vagabond et mendiant ? (J’ai trop tendance à
oublier cet homme magnifique…)/Françoise m’a remis lors de cette soirée un
article du Monde intitulé « Détruisons la langue française » par un certain
Christophe Bataille, dit « écrivain ». Je chope au passage : « je n’ai qu’un
credo, orgueilleux : malheureusement, il faut croire à la littérature ». C’est
alors que je le posais sur la table basse et que la musique aux accents slovènes
montait d’un cran, qu’elle m’a attrapé par la main et entraîné au milieu du
séjour pour deux danses apaches auxquelles je me suis prêté avec le plus absolu
des délices. Pour une fois…/Ils viennent de rentrer. Yann est monté, je lui ai
demandé ce qu’il en était. Nous récupérons notre chambre, il dormira sur un
matelas pneumatique, Mathilde dans sa chambre, Denis et Séverine dans la chambre
d’amis, Paul dans la sienne. Je lui ai proposé le sofa de mon bureau. Il n’a pas
voulu. Susan était agitée, et très fatiguée. Je crois qu’elle en a un peu assez,
d’autant que je ne suis pas sûr du tout que tout soit en ordre et propre demain
avant leur départ. C’est dire que c’est elle qui se coltinera tout le nettoyage
(avec mon aide, je le crains)./Ce n’est pas ma salle qui sera touchée par la
compression. Je l’ai appris ce matin en arrivant. Je peux continuer à « couler
des jours heureux »…/J’ai toujours avec moi au moins le petit micro. Cette
fois-là, il n’y était pas. Je m’en suis voulu toute la soirée, au point que je
ne lui en ai pas parlé et mieux, que je n’ai pas osé lui remettre la copie
promise, que j’avais pourtant dans mon sac et qui, à ce moment-là, m’a paru
d’une futilité totale…/De la difficulté d’adresser des mots de condoléances qui
ne soient pas de condoléances, justement. J’y songe depuis lundi, je l’ai enfin
rédigé ce matin, quelques lignes à Henri qui ne me satisfont pas. Je les regarde
de la même manière que je les ai écrites, c’est-à-dire comme s’il s’agissait
d’un texte littéraire./Il était 2 h 00 du matin lorsque nous avons quitté
Nathalie, il faisait toujours aussi doux. C’est à ce moment-là que j’ai noté que
toutes les maisons étaient munies de volets en bois. Que personne ne prenait la
peine de fermer./De la difficulté à répondre à JYLB qui me pose des questions
concernant Albena et la notion de voyage en particulier. Ce ne sont pas
les réponses en soi qui sont difficiles à fournir, mais leur rédaction…/J’ai
déposé Denis, Séverine et Mathilde à la gare avant de me rendre chez ma
mère./Puis j’ai pris un rouge à la cuisine. Sur la table, sushi et saké. J’ai
salué Grégoire qui m’a appris que le saké était prévu pour tout à l’heure.
Chaud. Comme de fait, une casserole d’eau frémissait sur la cuisinière.
Amanda m’a parlé du travail d’une Japonaise, texte anglais traduit du japonais
que je traduirais en français. Je suis sorti de la cuisine pour constater qu’à
présent c’était la foule. Des chaises ont été installées, Janusz et Olivier
Renaud ont pris place face au mur. Je me suis placé à côté de Roman et de
Patrice. Près de la porte-fenêtre, une jolie brune me jetait par moments des
coups d’œil. Je l’avais repérée en arrivant, sa beauté tout d’abord, mais aussi
la familiarité de son visage. De fait, elle m’a fixé deux ou trois fois comme si
nous nous connaissions et qu’elle n’osait me dire bonjour. J’ai pensé à l’élève
d’Anne que j’avais vue une fois chez elle, adolescente étonnamment belle et à la
fragilité extrême qui m’avait tant frappé. À la fin de la prestation, je l’ai
cherchée du regard. Elle avait disparu…/De la difficulté à rédiger des lettres.
De plus en plus. (Supplantées, quoi que je fasse, par les émails : je cède à la
facilité.)/Il y a une fête en face, je veux dire derrière, dans la cour, ou plus
précisément au premier étage des locaux qui, récemment encore, étaient en
travaux. Il y a quelques mois, le propriétaire et l’un de ses ouvriers
installaient du grillage sur le toit plat de ces mêmes locaux, puis une sorte de
cabane au revêtement de bois dont la fonction nous était inconnue, mais qui
ressemblait fort à une cabane de jardin. J’ai immédiatement pensé que quelqu’un,
des locataires, de nouveaux propriétaires, avaient décidé de se constituer un
jardin suspendu. En parallèle, ils travaillaient au premier étage, puis se sont
mis au second, changement des fenêtres, placoplâtre, et ainsi de suite. Puis ça
s’est arrêté et chaque jour, je jetais un œil par le chien assis du grenier qui
donne directement sur la totalité des locaux. Il se trouve exactement au même
niveau que le pseudo jardin. Plus rien ne bougeait. Et puis, dans l’après-midi,
Susan me dit que depuis plusieurs heures, ça n’arrêtait pas dans la cour, des
jeunes gens qui passaient chargés de boîtes, de cartons. « I think there’ll be a
party tonight. » En fin d’après-midi, j’ai jeté un œil par le chien assis. En
effet./Ils étaient debout face au public, une bonne quarantaine de personnes.
Olivier Renaud a présenté Janusz et son travail. Puis l’a interrogé au sujet de
son séjour. Janusz a répondu, a raconté, puis en est venu aux plaques d’égout.
Il dit que le Japon est le pays des plaques d’égout, qu’il y en a des milliers
dans chaque ville, certaines peintes comme des tableaux, toutes portant le signe
distinctif de leur ville. Il en a parcouru plusieurs, Kyoto, Tokyo, Kobe,
Hiroshima, Nagasaki. Il en a fait des empreintes, puis des moules, latex,
plaques de 14x14 qu’il a ensuite adaptées à ses rouleaux. Le rouleau polonais
était désormais japonais : japolonais./Par les fenêtres du premier dépourvues de
rideaux et décorées de guirlandes lumineuses, on voyait parfaitement
l’intérieur, soit une cheminée où se faisait une belle flambée, des sièges, des
sofas et autres canapés. Par la fenêtre de gauche, on distingue une cuisine. Il
y avait un jeune gars qui s’affairait à je ne sais quoi, mais qui avait bien
l’allure de quelqu’un qui attend une multitude d’invités. Ils sont arrivés vers
20 h 00 et à présent, ils sont tous en train de danser au son d’une mystérieuse
musique parfaitement inaudible de chez nous. Le concepteur a, je pense,
découvert le secret de la parfaite insonorisation et il est hallucinant de tous
les voir s’agiter sans que le moindre son n’accompagne leurs gestes./Puis il en
est venu à son exposition à Kobe dans la galerie d’un artiste ayant appartenu au
groupe Gutai et avec qui il s’est lié d’amitié. C’est elle qui apparaît sur le
carton de mon bureau, numéro 53. Les Japonais préconisent l’acte spontané. Il
s’y est conformé et le jour du vernissage a passé ses nouveaux rouleaux sur
toutes les surfaces de la galerie en présence du public. C’est ce qu’il
s’apprêtait à faire à présent et, tout en racontant, répondant, il s’est employé
à recouvrir le grand mur de la grande salle : un premier rouleau aux motifs
variés et munis d’idéogrammes, quatre bandes ; puis un deuxième, quatre bandes
de même, au motif de tête de daim ; le troisième, trois bandes, autre motif,
l’étoile américaine (celle des engins militaires !), celui-là de Nagasaki, et
ainsi de suite, parlant de sa manière simple, allant et venant entre son
matériel et l’échelle qu’il gravissait et descendait au rythme précis du rouleau
jusqu’à ce que tout le mur soit enduit. Le tout s’est fait à l’encre de Chine,
dont il avait les mains ointes et qu’il n’a su par la suite comment ôter…/J’ai
sorti le chien vers 20 h 30. Le doublant battant de la porte cochère avenue des
Nations Unies était décorée d’une vingtaine de ballons multicolores. « J’espère
que ce n’est pas un appartement », dit Susan. Je lui ai assuré que non, mais je
crois bien que ça en sera un. Nous allons avoir de nouveaux voisins. Ou
voisines. Il n’empêche que cet ensemble, deux étages entièrement refaits et très
spacieux, plus un jardin en terrasse, a tout l’air d’être magnifique. Plein cœur
de Roubaix. Et plein cœur de notre habitation. Susan pense déjà calfeutrer
toutes les fenêtres donnant sur la cour.
« I’m going to sell the house ! »
Elle veut vendre la maison./Françoise qui
me parle longuement de Pascal François, de Béatrice, de son frère qui aimerait
faire l’inventaire photographique du travail de Pascal qui soupire et s’abîme
dans l’oubli depuis des années. Béatrice s’y oppose, pour je ne sais quelle
raison. Histoires de compatibilités, d’humeurs, de jalousies, de je ne sais quoi
qui empêche le projet de se faire…/Qu’allait-il faire de tous ces rouleaux, de
tous ces motifs ? Comment allait-il les employer ? Il l’ignore encore. Il est
revenu de quatre mois passés au Japon avec ces traces entre les mains et regarde
encore troublé cette nouvelle histoire ajoutée à la sienne propre dont
l’écriture lui est encore cachée…/Avant de regagner la maison, je me suis arrêté
au parking pour jeter un coup d’œil à la Mercedes. Antoine m’avait dit l’avoir
mise au 3e étage, faute de place au sous-sol où je la mets
habituellement. Cela m’inquiétait. J’y suis donc passé. J’ai retiré du coffre
deux sachets de vieux vêtements que Susan y avait laissés, puis l’ai mise en
route et l’ai laissée tourner un moment. Ça m’a attristé. À un moment donné,
j’ai eu envie d’essayer de la descendre au sous-sol. Ne l’ai pas fait. Je vais
d’abord en parler à Antoine, quoique je me demande s’il ne va pas me trouver
stupide. Comment justifier mon désir de la voir en bas plutôt qu’en haut ?/Cours
latin et grec (ancien) où j’avais oublié mon cahier (au coin !) : le bâtisseur
de cathédrale. Onfraie, Aristippe, Platon complexe et excitant, le pauvre
théâtre latin. De là Fanny et la cigarette qu’elle a reprise. De là, cancer,
tuberculose, La montagne magique, la pénicilline. Jean qui agrippe alors
son Robert, « 1928 », et son regard qui accroche « pénil ». « Pénis ? » « Non,
pénil. » Et qu’est-ce ? « L’autre nom du mont de Vénus. » Un air d’incrédulité
qui passe, et notre consternation face à un mot dont nous n’avons jamais entendu
parler, que nous n’avons jamais vu écrit, et dont il me semble incroyable
qu’aucun écrivain n’ait su l’existence, du moins ne l’ai-je jamais lu et il faut
forcément l’ignorer pour ne pas l’employer, et je l’aurais forcément remarqué si
je l’avais lu, on ne peut faire autrement que de remarquer un mot pareil. De là,
bien sûr, on est là pour ça, la course à l’étymologie : pénis, de peniculum,
« petite queue munie à son extrémité d’une touffe de poils », et de là,
« brosse, pinceau, tout objet apparenté », et pénil, de pectiniculum,
« petit peigne ». En approfondissant, nous nous apercevons qu’au bout du compte,
et en remontant bien loin, l’origine est la même, soit l’idée de l’oblong et du
poil, qu’il soit peigné ou non. Il n’empêche que je ne conçois pas que personne,
à ma connaissance, n’ait fait qu’un pénis rencontre un pénil…/(Susan qui me dit
dans la voiture : « Je ne comprends pas comment elle a pu vivre si longtemps
avec un homme comme lui, et comment elle peut rester seule, comment elle ne
trouve pas quelqu’un à sa mesure. » Je suis tout à fait de son avis.)/On
ne pouvait trouver meilleure entrée en matière pour le 25e et
avant-dernier paragraphe du Livre I des Métamorphoses d’Apulée où Lucius,
ayant rencontré son édile d’ami Pythias, se voit dépossédé de son argent et de
ses poissons, le premier ayant servi à l’achat des seconds. Il n’a dès lors
d’autres ressources que de retourner chez Milon et sa jolie servante, ancilla.
La suite à la semaine prochaine. Après le second thé à l’entracte, saupoudré
d’aromates rares, nous en venons à Lucien qui fait dialoguer les morts :
« Destination les Enfers : embarquement immédiat », Hermès qui préside à leur
embarcation après leur mise à nu. Nous nous donnons la réplique. Pour la
première fois, je rencontre « nai »
qui est le « oui » du grec actuel… Francko m’apprend que le japonais lui donne
de plus en plus de mal./Un petit saké, japonais, très différent du chinois. Pas
fort, mais très amer, hostile. J’ai eu du mal à achever mon petit verre. Anne,
Susan, Françoise, Didier ; nous discutons de choses et d’autres avant de prendre
le chemin du Pot Beaujolais./(Elle prit pourtant soin de poser son peigne en
exposant son pénil à mes yeux effarés.)/Au retour, je suis monté directement
dans mon bureau. J’ai glissé les lettres dans mon sac avec le courrier. Je ne
suis redescendu qu’à 21 h 30. Susan travaillait dans son bureau à moitié
dévasté, Paul mangeait seul dans la cuisine. Il m’a appris qu’il avait conduit
Yann à la gare. Il ne m’a pas parlé de Joséphine. J’ai passé l’aspirateur dans
« ma » chambre, ai fait un peu de rangement. Puis ai passé l’aspirateur dans mon
bureau. C’est tout. Je ne toucherai à rien d’autre, de la même manière que
jusqu’à nouvel ordre, je ne ferai plus la cuisine./Je suis à l’instant sur mon
sous-main la route qui mène de la France au Japon en passant par la
Méditerranée, Suez, la mer d’Arabie, l’Indonésie, l’Australie, la mer des
Philippines. Il a raison, il serait complètement idiot de prendre l’avion (n’y
aurait-il pas eu à ce moment-là comme de l’envie en moi ?)./En regardant Janusz,
j’ai pensé à mon vieux projet de conférence pour Bruno et, je me suis imaginé
dans cette pièce, à sa place, et la manière dont je l’aurais occupée ; ai de
même entendu ma voix telle qu’elle apparaît dans le film de Det l’F, cette voix
et cette manière de lire que je n’aime pas. Je me suis dit que plus jamais je ne
ferais de conférence./Je poursuis la copie de mes vieilles bandes magnétiques
sur cassette. Je retrouve, redécouvre des choses oubliées, dont le beau
Double concerto pour 2 orchestres à cordes, piano et tymballes [sic !]
de Martinu (que Schnittke cite à plusieurs reprises dans le Concerto
grosso). C’est à ce moment-là, justement, que T*** m’appelle qui demande à
utiliser mes Revox antiques. « Ça va ? » « Ça va : ma femme est enceinte et j’ai
cessé ma toxicothérapie par hashish ! » Ai-je bien entendu ? « Alors, tout va
bien ! »/Le peigne de Vénus, ombellifère de type « scandrix ». Scandrix, « le
cerfeuil musqué » dit Pline. Qu’il musque à partir de
skandix
(scandix), « cerfeuil », tout simplement. Mais
scandale, alors ? De
skandalon (scandalon), la pierre
d’achoppement, la pierre destinée à faire chuter… Vérifiant la présence de
« pénil » dans le Larousse d’Éric, je tombe sur « pénis » avec cette curieuse
définition : « organe d’accouplement mâle ». Pour « pénil », je trouve :
« éminence large et arrondie située au-devant du pubis (syn. : mont de Vénus) ».
Mâle ou femelle ? Il me semble que celle du Robert est différente… Ce qui
me fait penser à l’origine de « diable », « diaballω
» (diaballo), faire passer à travers,
calomnier, tromper./J’ai passé la nuit dans le canapé de mon bureau. Comme
convenu, je m’étais rendu dans notre chambre. Susan était déjà couchée, je n’ai
pas allumé et me suis dirigé dans le noir, comme à l’accoutumée. Mais au bout de
deux pas, j’ai trébuché sur un objet, puis sur un coussin, puis, parvenu à ma
place, j’ai constaté de la main que le lit était encombré de diverses choses. Et
surtout, je n’entendais rien, ne sentais rien de sa présence, elle qui,
toujours, à chaque fois que j’entrais sur la pointe des pieds et m’approchais du
lit à tâtons, avait un mouvement. Là, rien. C’était comme si rien du désordre
qui y régnait une heure auparavant n’avait été déplacé, et qu’elle ne s’y
trouvait pas. Alors, j’ai eu un doute : était-ce bien là que nous devions
dormir ? Je me suis rhabillé dans le noir, suis sorti de la chambre avec cette
idée un peu terrifiante qu’il y avait peut-être là quelqu’un d’autre de couché,
Séverine ou Mathilde. J’ai gagné la chambre d’amis. Elle était vide de tout
occupant et dans le même état que je l’avais vue deux heures auparavant. Où donc
se trouvait Susan ? J’ai pensé aller poser la question à Yann et les autres qui
se trouvaient dans le séjour. J’ai renoncé. Et suis allé m’étendre sur
« mon » canapé en espérant que Yann ne change pas d’avis ou qu’il n’ait pas été
décidé qu’il prenne sa chambre et que Mathilde vienne, dans le noir, occuper le
sofa…/« Saillie médiane inférieure du pubis », dit le Robert. Qui ne précise pas
s’il s’agit de la femme ou non, et regardant à pubis, je constate que, de la
même façon, le sexe n’est pas précisé : « région triangulaire, médiane, du
bas-ventre, dont la partie saillante est le mont de Vénus, et qui est limitée
latéralement par les plis de l’aine »… Nous aurions donc aussi un mont de Vénus…
Quant à pénis, le Robert parle de copulation plutôt que d’accouplement…/Onglets,
sandre, petit salé, andouillette. Un onglet pour l’Onglaise. Un autre pour Roman
avec qui j’ai beaucoup parlé, échangé des blagues, avec toujours la même peine à
me faire à son grandissement, à adapter mon langage à son nouvel âge alors que
jusqu’à présent je ne m’en suis jamais préoccupé, me suis toujours adressé à lui
sans penser à un quelconque décalage. À un moment donné, il a eu cette drôle de
question, empreinte de beaucoup de gravité et qui m’a complètement
décontenancé : « Tu ne parles jamais de ta jeunesse. Comment étais-tu
enfant ? »/To mono
empodio est le titre de la 81e
leçon de grec moderne. Le « mp »
(mp) se prononce « b ». Il n’empêche que ces deux lettres sont là et aussitôt
appellent à mon esprit, sachant en outre que le mot signifie « empêchement »,
l’« impediment » anglais, lui-même venant de « impedimentum », « empêchement ».
Joli glissement de langue ! Tout à coup, je me suis senti beaucoup mieux…/Il est
arrivé avec deux bobines de 13 cm d’une trentaine de minutes chacune,
enregistrements d’il y a 15 ans à l’époque où il était en fac à Valenciennes.
Parmi ses professeurs, il y avait Patrick Meunier, architecte et peintre. T*** a
enregistré deux « entretiens » avec lui. Dans le premier, Meunier parle de la
peinture, et de la sienne en particulier. Dans le second, il incite les quelques
étudiants présents à parler de la leur. T*** me raconte à quel point cet homme a
été déterminant pour eux, mais davantage pour lui qui réécoute encore ces bandes
complètement extasié, qui m’avoue les avoir écoutées chaque jour pendant des
semaines à l’époque. Il compte en faire des copies CD à l’attention des autres
étudiants dont certains font encore partie de son entourage./Petit salé pour
Didier et moi, le mien, par sa taille, provoquant l’ébahissement de toute la
table et appelant les inévitables plaisanteries quant à mon appétit. Petit salé
aux lentilles ; c’est la 1re fois de ma vie que j’en mange. Délice,
régal ! Je crois n’avoir jamais aussi bien mangé ! Jouissance totale que le
beaujolais n’a su altérer. C’est au milieu de cette quasi extase qu’une
discussion s’est entamée à partir de la photo des « cent morceaux » : la
souffrance, imposée ou délibérément infligée, voir, dixit Françoise, les
artistes autrichiens et les courts métrages d’une artiste vus à la Biennale de
Venise il y a deux ans ; la souffrance et l’extase, le basculement dans la
jouissance et l’état d’insensibilité./Ça empire ! Toute la base du cou et le
départ des épaules. Rien à voir avec les cervicales ou alors il s’agit d’une
manifestation inédite. Et je suis, ici, au travail, 9 h 45, dans cette salle
pouilleuse avec son néon blafard allumé du fait du poids du ciel qui se trouve à
quelques centimètres de ma figure. C’est le matin, et il fait sombre comme en
début de soirée. Et je suis glacé. Et la douleur semble s’accentuer à chacun de
mes mouvements. Qu’est-ce que je fiche ici ? Il y a quelques années, je n’aurais
pas supporté le dixième de cette douleur avant de filer chez le médecin. Que se
passe-t-il en moi ? Est-ce l’âge ?/Et une autre autour de Didier B*** qui est
sorti de l’hôpital et a passé une soirée chez Françoise avec Véronique. Et les
desserts sont arrivés, un moelleux pour moi après avoir avalé le quart de la
glace de Roman et avant la moitié des profiteroles de Susan. J’étais en grande
forme et sur la fin un peu gris, tant d’alcool que de nourriture. Katia est
arrivée en cours de repas, s’est installée en face de Janusz. Nous nous sommes
dit quelques mots au moment du départ en regrettant de n’avoir jamais l’occasion
de nous parler davantage./« C’est l’âge », me dit Francko. L’âge aussi qui
accentuerait mes pertes en orthographe : pourquoi voyais-je absolument un accent
circonflexe à « fanner » ?/Le portugais suit son train sans que mon intérêt
faiblisse. Au contraire. À la mention du Pot Beaujolais, j’ai pensé au patron,
beau-frère de Nathalie, qui est portugais. Je m’étais promis en arrivant de lui
adresser quelques mots. Je ne l’ai pas fait./Je viens de revenir dans ma salle
après une heure passée devant l’écran, tri du pilon. Les uns d’un côté, les
autres de l’autre, soit les décédés depuis plus de cinq ans ou non, les premiers
filant à la poubelle. De bonnes semaines, voire des mois de travail devant soi.
Ça tombait plutôt bien, la tendance actuelle étant de nouveau à la diminution,
d’où la menace, l’inquiétude, sempiternelle ritournelle. Il y a, curieusement,
toujours une tâche providentielle qui repousse un peu l’échéance. Mais la
rapproche aussi, jeu de va et vient d’un terme indéterminé qui, quoi qu’il en
soit, se fait de plus en plus précis, car chacune de ces tâches réduit davantage
la matière première qui est bien le papier, et de manipuler l’un après l’autre
ces milliers de documents qui sont l’ultime trace sociale d’êtres à l’état de
cadavres, et le plus souvent d’ossements et de poussière, équivaut à manier la
pelle qui creuse notre propre tombe d’archivistes patentés… (Le sursis pour les
décédés de moins de cinq ans ! Comme s’ils n’étaient pas tout à fait morts…)/De
l’influence d’un homme sur des adolescents. J’écoute avec attention en même
temps que lui et il est vrai que, par sa voix et ses propos, il a de quoi
toucher des consciences. T*** en est encore totalement imprégné./J’arrive, je
m’assois, prends mon paquet de tabac et à voix haute dis : « Barbe à poux ! »
Qu’avais-je à l’esprit à ce moment-là, quelle sorte de connexion y a-t-il eu
pour que mes cordes vocales en viennent à former ces mots ? Je l’ai oublié ; je
l’avais présent à l’esprit au moment d’entamer la première ligne du paragraphe
précédent qui, déviation des pensées jointe à l’écriture, était censée le
rapporter et qui a pris une tout autre direction. Quoi qu’il en soit, cette
pensée n’avait pas le moindre rapport avec cette exclamation singulière, j’ai pu
le constater avant qu’elle ne disparaisse tout à fait./Gloom
était-il prémonitoire ou est-ce qu’inconsciemment je me conforme à son histoire
et à celle de son narrateur ? Ni l’un ni l’autre, sans doute. C’est la simple
logique, celle d’un homme tel que moi plongé dans un milieu d’animation,
d’agitation et, par voie de conséquence, de perturbation. Bref, je
poursuis mon installation dans le grenier jusqu’à son achèvement total, de
manière à ce que ne subsiste plus rien de moi dans le reste de la maison. En
rentrant samedi soir, j’ai constaté que les deux portemanteaux de l’entrée
étaient vides de tout vêtement. Je les ai retrouvés en tas sur le panier en
osier du grenier, la plupart d’entre eux sur le sol. Parmi eux, mon manteau. Que
j’ai extirpé, épousseté avant d’aller l’accrocher dans mon bureau. J’ai décidé
que plus aucun de mes vêtements ne subsisterait dans le couloir, et, tant que
faire se pourra, le reste de mes affaires dans notre chambre commune./Mais
peut-être était-ce lié à la Flûte enchantée qui depuis ce midi me trotte
dans la tête, la Flûte que je suis allé acheter ce midi pour Éric, en
remplacement du Bach (Passion selon St Jean) qu’il avait choisi la
veille, ce pour s’apercevoir qu’il s’agissait d’extraits et non de l’intégrale,
et puisqu’il n’est qu’au tout début de son initiation en la matière, il m’a
demandé de lui choisir un opéra. J’y suis allé. Le choix y est évidemment
misérable (c’est André Rieu qui, en quantité, gagne le pompon) et j’ai dû me
rabattre sur la Flûte par Klemperer, 1964, mastérisé, en allemand, et en
sus, je m’en suis aperçu en l’écoutant avec lui dans sa salle, sans les
récitatifs, choix de Klemperer qui trouve que les récitatifs sur disque sont
« redondants ». Un teuton…/(Roman qui dit « immensément » comme son père !)/J’ai
relevé au passage l’avis du responsable du rayon « classique » figurant sur une
version du Mandarin et de la Suite de danses : « riche en
rebondissements, n’a rien à envier aux meilleures musiques de film ». Sans
Bartok, la moitié des décompositeurs de musique de film vendraient des pommes de
terre sur les marchés. Dois-je argumenter ?/Puis j’ai lu la dernière lettre de
JYLB, deux pages où il me parle d’Albena, où il m’apprend qu’il peut
désormais accéder aux « CHUTS » de Rok grâce à l’agrandissement par
photocopie !… En même temps, un livre de Sébastien, Nuit des bêtes, jolie
plaquette belge. Je l’ai lue sur-le-champ avec la même perplexité quant à son
fond (cet univers particulier qui m’échappe – mais peut-être ne fais-je pas
suffisamment d’efforts), mais un plaisir accru quant à sa forme./Je lui ai alors
proposé de le lui racheter ; je me sentais un peu penaud de lui avoir fourni en
guise de remplacement d’un enregistrement d’extraits un autre enregistrement
d’extraits. Mais il m’a dit que ça allait très bien comme ça. Je lui ferai une
copie de l’intégrale en italien… Je l’ai écouté avec lui, et c’est au début du
second acte qu’est apparu notre cadre pour une communication d’ordre
professionnel, nous surprenant donc à écouter à fort volume la Flûte
enchantée dans la salle d’Éric qui d’ordinaire et depuis des lustres est
plutôt agitée de rythmes de heavy metal ou assimilés. Mais ça vaut bien, je
crois, RTL ou Eddy Mitchell que M***, à longueur de journée, fait hurler dans le
couloir du sous-sol. Il n’a fait aucun commentaire, mais je me demande tout de
même s’il aurait eu le même sourire s’il était agi de Ligeti ou de Schnittke…/Fanny
n’aime pas les parkings et c’est Didier qui l’a raccompagnée. J’ai déposé
Janusz. Je lui ai demandé s’il était content de sa prestation. Je connaissais
déjà sa réponse : « Non. » Puis : « C’était pas terrible. Inutile. Ça ne sert à
rien. Nul. » Je l’ai contredit, lui ai dit tout le bien que j’en pensais ; que
ce n’était en rien nul ou inutile, tout au contraire ; que ç’avait été une
réussite et qu’il ne pouvait en être autrement puisqu’il avait été lui-même,
sans fard ni artifice. Il a tourné la tête vers moi, l’instant précédent penchée
en avant. « Tu crois ? »/Susan est rentrée avec sa voiture. Elle sortait de la
cuisine alors que je poussais la porte d’entrée.
« I was waiting for you to kiss you
goodnight. » Hm ! J’ai gagné mes sommets,
me suis fait une tasse de café. L’ai bu avec une cigarette en consultant mes
émails, puis en achevant l’étiquette du CD. Il était 2 h 00 lorsque je me suis
couché…/(J’ai pris un nouveau rendez-vous avec Hélène de Radio-Campus. Je me
demande bien ce que je peux ajouter à ce que je n’ai pas dit la première
fois…)/Il dit être guéri de sa période psychotique et se sentir enfin bien,
mieux qu’il ne l’a jamais été. Il n’empêche qu’il fume cigarette sur cigarette
et que je ne vois pas la moindre différence dans la tension qui l’agite. Je
cherchais un qualificatif en le regardant réécouter pour la énième fois cet
enregistrement avec une expression de béatitude. J’en étais arrivé à « fébrile »
quand il a commencé à me raconter comment, dix ans auparavant, il avait failli
user d’un couteau sur son exépouse. Il m’a appris que Luc faisait partie de son
entourage./Ai passé toute l’après-midi à repeindre les cinq portes du palier du
premier. J’avoue que j’ai effectué cette tâche avec un certain plaisir. Coups de
brosse en avant en arrière, de droite à gauche, le tout au son de
France-Culture : une émission sur les « grandes » villes du monde : Alexandrie,
Bénarès, Tunis, Istanbul, puis une autre sur les jeunes des cités difficiles
(comme si France-Culture pouvait comprendre quoi que ce soit aux cités
difficiles)./J’ai de même décidé de monter tous les instruments et objets
attachés, tels que les pieds de micro. La Gibson est déjà dans mon bureau depuis
quelques semaines, que j’avais montée suite à l’annonce d’une réunion de Paul et
de ses amis au rez-de-chaussée. Reste la guitare acoustique et l’ampli, l’ampli
qui se trouve sous la vitre brisée et sur lequel reposent les débris depuis cinq
jours. Ce matin, je l’ai retiré de sa place en laissant se répandre les éclats à
terre. Je ne les ramasserai pas. Il est hors de question que je touche à quoi
que ce soit qui soit liée à cette fête dont il reste encore de nombreux
vestiges, meubles déplacés, objets éparpillés. J’ai de même libéré le piano de
ce qui l’encombrait, le piano qui, je le crains fort, ne passera pas la cage
d’escalier du grenier./Il y avait aussi une carte de Shanghai Il serait du côté
de Novossibirsk. Le 19, il sera à Moscou ; le 21 à St-Pétersbourg./« C’est tout
de même bizarre qu’un type comme toi, qui préconise à toute force l’originalité,
soit si classique dans sa manière de s’habiller et de se chausser. » C’est la
réflexion que m’a faite Éric en considérant d’un air consterné mes nouvelles
chaussures. C’est la réflexion que je m’étais faite, à 20 ans, en découvrant les
complets tristes et les cravates sages des surréalistes qui, sans doute, dans
mon esprit, auraient dû être des ponchos ou des calicots de carnaval./Depuis
quelques semaines je monte mon sac dans mon bureau, alors que jusqu’alors, je le
déposais près du piano avant de le vider de ce qui m’était nécessaire là-haut.
Suis passé embrasser Susan qui se trouvait avec Paul dans son bureau, ai déposé
les sachets de commissions sur la table de la cuisine, en ai sorti les boîtes
pour les animaux qui n’avaient plus rien à se mettre sous la dent depuis trois
jours. Suis allé déposer mon sac dans mon bureau, ai ôté mon blouson que je suis
allé suspendre à côté de mon manteau dans ma chambre. Suis descendu dans notre
chambre pour me changer en cherchant la manière dont je pourrais stocker mes
affaires là-haut. Suis descendu chercher l’ampli, la guitare acoustique et l’un
des pieds de micro que je suis allé déposer dans mon bureau en 1) imaginant deux
hommes porteurs d’un piano dans la cage d’escalier du grenier ; 2) cherchant
mentalement un endroit où reléguer le sofa de mon bureau, lourd et
encombrant…/Suite à l’épisode de cet achat, je lui ai raconté celui de
l’Encyclopédie qui, de la même manière, est symptomatique d’un comportement : le
mien. Soit : faire l’achat inconsidéré d’une chose dont je n’ai pas envie ou qui
ne me plaît pas. Les chaussures, par exemple, que j’ai achetées en sachant
pertinemment qu’elles étaient hideuses et que je m’en plaindrais pendant des
mois. Et l’encyclopédie donc, que je n’avais pas encore ouverte, que je m’étais
contenté de ranger pour l’oublier (mais comment l’oublier puisque je la vois
depuis mon bureau ?). Cette conversation m’a incité, le soir même, à en prendre
quelques exemplaires pour les feuilleter. Il apparaît qu’il ne s’agit pas d’une
encyclopédie à proprement parler. Ou alors il s’agit de l’encyclopédie de Franco
Maria Ricci, c’est-à-dire de son choix personnel en matière d’art, et plus
précisément de la notion qu’il a de l’art. C’est dire que tout cela semble
ronronner bien gentiment, à preuve les deux volumes sur le XXe siècle
où le seul peintre qui apparaît est Schiele (ç’aurait pu être bien pire). Quant
au reste de ce qu’il juge intéressant dans ce siècle où n’ont jamais vécu
Picasso, Matisse, Bacon, Warhol, Duchamp, j’ai préféré, pour l’heure, l’oublier.
(Mais, bizarrement, comprenne qui peut, ça m’a semblé tout à coup donner du
prix à cette acquisition que depuis je regarde différemment…)/Et puis, deux des
trois Rosselini à 4 balles commandés avant-hier sur Internet. Dans l’un d’eux,
trois bonbons et sur la facture, à l’encre rose : « Bonne année merci Guy » ! Un
Japonais ?/« Et si nous faisions une petite sortie au restaurant ? » C’est ce
qu’il m’a dit en refermant ma boîte à chaussures. J’ai cherché un éventuel
rapport avant d’acquiescer, puis d’appeler Patrick et Pascal qui ont aussitôt
poussé des cris de joie./Ce qui me fait penser que la poste principale rue
Inkermann est en pleins travaux. C’est ce que j’ai découvert ce midi. Toute la
partie droite a sauté et avec elle, le guichet aux beaux timbres. Je me suis
retrouvé sur le trottoir, sous la pluie, complètement désemparé…/Le piano ne
passera pas, mais il n’est pas impossible qu’un piano d’études, plus petit en
taille, puisse monter. J’ai pensé à appeler Jean-Pascal afin de lui en parler.
Mais où le mettre ? Le seul endroit, seul mur en vérité, encore qu’il ne faille
pas forcément un mur, est la paroi à gauche de la porte en entrant. Mais s’y
trouve le classeur à glissières. J’ai alors provisoirement mis de côté cette
idée et ai pris les mesures du sofa. Il pourrait se loger sous l’échelle de la
mezzanine, ou, sinon, sur la mezzanine elle-même. Mais encore faudrait-il
qu’elle soit achevée. J’ai pensé alors que je pourrais le faire assez
rapidement ; ça ne prendrait pas plus d’une après-midi. À la place du sofa qui
libérerait beaucoup de place, je pourrai mettre un simple fauteuil et autour les
deux guitares et l’ampli. Je suis ensuite descendu pour sortir le chien et suis
remonté aussitôt après./« La dernière remonte au moins à dix ans », a dit
Pascal. Il y a eu une première date, puis une seconde, toutes deux annulées au
dernier moment par Patrick qui est amené par ses neuves fonctions de
missionnaire à s’investir dans son travail, ce qui nous fait bien rire. Nous
avons finalement réussi à nous retrouver, 11 h 30, rendez-vous à la cafétéria et
de là le parking pour rejoindre la Mercedes qui, après une joute avec la
nouvelle Audi de Patrick, avait semblé le véhicule le plus approprié pour cette
sortie d’exception./Une heure plus tard, Susan nous a appelés pour le repas. Je
suis remonté aussitôt après. Dans le sofa, j’ai poursuivi La Poussière où
je relève : « Si l’œil doit se voir lui-même, c’est dans un œil qu’il doit se
regarder car c’est là seul qu’il peut surprendre sa propre image reflétée, son
image réduite comme poupée de lui-même surgie dans la pupille de l’autre. » Je
me suis étonné que Lacarrière ne précise pas que « pupilla » est une poupée en
latin. Puis ai rédigé une longue lettre à Laurent avant d’entamer la préparation
de Journals sur Quark. À 23 h 00, Susan est montée m’embrasser, est allée
se coucher. Je suis descendu une seule fois pour me laver les dents, puis suis
allé me coucher. Il était 2 h 30./Aujourd’hui, il est à Saint Pétersbourg.
Coïncidence : cette nuit, je regardais Russian ark, d’Alexandre Sokolov,
que m’avait recommandé Pascal : un plan-séquence de 90’ à travers l’Ermitage et
diverses époques. Au-delà de la performance technique, dont j’aurais aimé à
certains moments ignorer l’existence afin de m’attacher davantage à l’image et
au récit, il y a le faste d’un bâtiment, le faste d’une petite histoire,
l’attrait des images./J’ai profité que le service soit libre pour utiliser un
ordinateur en toute tranquillité. J’ai toujours avec moi une disquette au cas
où. En l’occurrence, elle contient la Spirale 8. Je m’y suis remis. Ça
m’a excité et je l’ai reprise la nuit dernière après avoir compulsé le dernier
Science & Vie où j’ai testé mes connaissances en astronomie et en physique (12
sur 20)./Il y a eu le choix de la date, mais aussi celui de l’endroit. La seule
condition était que cela soit en-dehors de la métropole. J’avais pensé au Chalet
de Prémesques qui est l’un de mes meilleurs souvenirs en matière de table ;
Patrick avait suggéré un restaurant plus sobre à Bailleul, La Pomme d’Or. C’est
elle qui l’a emporté. Le jour est arrivé avec une tempête de neige. À 11 h 20,
Patrick m’appelait pour prévenir qu’il serait en retard, obligations
professionnelles. Nous l’avons attendu dehors, dans la voiture. Il était midi
dix lorsqu’il est arrivé. Il neigeait encore, puis au fur et à mesure que nous
avancions sur l’autoroute, le ciel s’est dégagé, et c’est sous le soleil que
nous sommes entrés dans Bailleul./En rangeant
La poussière du monde
à sa place, j’ai constaté qu’il y en avait déjà un autre, absolument identique,
que j’avais lu le 17 décembre 1998, ex-libris faisant foi, ainsi que les
commentaires le concernant déjà sur le site !/Maman est catastrophée par le
travail d’André qui a tapissé sa cuisine. C’est en effet dégueulasse. « Et quand
je pense que je l’ai payé d’avance ! » J’ai passé plus d’une heure à recoller ce
qui s’était décollé, à débarrasser les plinthes et les pourtours des portes du
papier qu’il avait laissé dépasser. Sans compter les bulles, puis les taches à
terre et sur les portes suite au badigeonnage du plafond. Elle avait déjà eu
affaire à lui il y a quelques années pour un résultat identique ; je me demande
bien pourquoi elle l’a rappelé…/C’est un établissement classique de petite ville
de province. Il y a une première salle sur la rue, puis une seconde plus vaste à
l’arrière, poutres, chaufferettes et chaudrons. Elle était déserte et, fait
suffisamment rare pour être salué, parfaitement silencieuse. Nous avons choisi
une table ronde dans un coin discret, nous y sommes installés avec des soupirs
d’aise. Mais c’était trop beau, ça ne pouvait durer. « Quoi ? » Un bruit. Un
premier. Puis, après un silence, un deuxième, semblable au premier, métallique.
Puis un troisième, puis un quatrième, qui joints à d’autres, tous de même
sonorité, sont devenus des percussions… Nous nous sommes regardés, un peu
ahuris, avant de considérer les alentours. D’où cela pouvait-il provenir et
qu’est-ce que cela pouvait être, encore qu’il fût manifeste qu’il s’agissait
d’instruments de cuisine, une fourchette contre une casserole, un couteau contre
un chinois, un fouet sur un fait-tout, un aiguisoir dans un ramequin ?/Passage
éclair de Joséphine qui va aller passer quelques jours au ski. Sommes allés
fêter cela à l’Irrésistible, à côté de chez nous. Le repas a été parfait. Chacun
a pris un plat différent, et je n’ai souvenir que du mien : tarte de fourme
d’Ambert à la poire et côtes d’agneaux avec pomme de terre au four. Le patron
nous a reconnus, nous a offert un kir à la pêche. Il est assez content, dit que
ça marche bien, surtout le midi. Tant mieux…/La serveuse est alors arrivée, a
remarqué nos mines, a jeté un regard sur le côté où ça tapait de plus belle :
« Oh, ce n’est rien, c’est le chef. » « Ah ? » Cette fois, c’était un duo de
cuillère et de marmite. « Ça veut dire qu’il est en forme. » « On va bien
manger, alors ! » a fait Patrick. C’est sur un rythme de samba que la patronne
nous apportera les kirs. Elle, par contre, sourira : « C’est parce qu’il
s’ennuie, alors il s’entraîne pour le carnaval. » Le carnaval. Celui de
Bailleul, le mois suivant. C’est ce qu’attestaient les sets de table une fois
nos assiettes soulevées./Elle a retrouvé toute une série de photos, dont
certaines de sa jeunesse. Elle voulait en faire des photocopies. Je lui ai
proposé de m’en charger. Il y en a trois : l’une de Gogolewo, son village natal,
avec ma grand-mère, maman, Hélène, Czecha, Maresz (1937) ; la deuxième dans le
jardin de Morialmé, table de jardin, ma grand-mère, maman et Hélène ; la
troisième, le même jardin, découpée en médaillon avec maman et Hélène,
cette dernière pas très nette et à laquelle, je ne sais comment, la machine a su
redonner de la définition. Les trois figurent sur un seul feuillet A4, et se
détachent fortement sur le fond noir. Je les ai longuement regardées avec
quelque chose comme de l’émotion./D’un chef percussionniste qui tout à la fois
s’ennuie et se réjouit, on est en droit d’émettre des doutes quant à la qualité
de sa cuisine. Patrick nous avait assurés qu’il s’agissait d’une bonne table.
« Mais ce n’est peut-être plus le même chef », a dit Éric. Contre toute attente,
c’était excellent, dont la noix de St Jacques à la Hommelpape fabriquée par la
brasserie Debecke voisine et le grenadin de veau de la vallée d’Auge, le tout
avec un très honorable Côtes de Bourg 2000 de la maison. Nous savourons tout en
nous remémorant des faits de couloir épiques, des visages de collègues éteints
ou envolés, les culbutes pour des promotions imméritées, les roucoulades lors
des concours d’incompétence, mais aussi les multiples épisodes de notre propre
histoire au sein de ce monde poussiéreux dont nous sommes chaque jour les
spectateurs stupéfaits et amusés./Elle avait déposé un cigare sur le pupitre de
mon clavier avant son départ, et, à côté, sur un bout de papier vert, un petit
mot au crayon gris : « Merci pour le Tiramisu. À bientôt. Joséphine. » Je ne
l’ai vu qu’il y a une demi-heure, soit trois jours après./J’ai pensé alors que
cela faisait plus de vingt ans que nous nous connaissions, vingt années
traversées avec une constance de complicité et de fidélité qui, d’une certaine
manière, est exemplaire compte tenu de tout ce qui nous sépare et nous rapproche
à la fois. Je jurerais qu’il y avait de la tendresse entre nous./En outre, elle
m’a remis une grande enveloppe contenant une dizaine de petites enveloppes
elles-mêmes contenant des photocopies de courrier adressé à Annie à l’époque de
La Salvate. Pour Susan et moi./Nous sortons deux heures plus tard après une
digne signature dans le livre d’or où je me fais passer pour une star de la
chanson. Il fait toujours aussi beau, il est un peu tôt pour rentrer et je leur
propose le Bauwerhof, c’est à deux pas. La voiture glisse doucement autour du
Mont des Cats jusqu’à Godewarsvelde où nous prenons quelques bières sous l’œil
d’une Flandre particulièrement bienveillante ce jour-là./J’ai achevé la lecture
des lettres. Il y en a d’elles, mais aussi de femmes qu’elle a rencontrées
là-bas. Puis une d’Annie. Ce sont des lettres simples, touchantes. Les deux
d’une certaine Cécile le sont particulièrement, femme persécutée par son frère
et sa sœur, qui demande à ma mère de ne pas indiquer son nom et son adresse
parce qu’ils ouvrent son courrier./Il était 19 h 30 lorsque je les ai déposés
sur le parking de la Caisse, ravis et légèrement étourdis tout comme je
l’étais./Il est 1 h 35, je suis à mon bureau. Dehors, il pleut et il vente.
Quelque chose sur la mezzanine grince. Toutes mes pensées vont au CD du JS
qui me pose quelques problèmes d’impression. J’ai commencé à graver (l’Anglais
brûle là où le Français grave)./Il est 14 h 00 et je suis chez Match où je tombe
sur la douce mésange et son colibri ; de là, café au Solferino, Venise,
l’invitation, puis le lys, et de là, la clinique du Bois, chambre 123 où
Francine bat des cartes : succès de l’opération, l’admiration qu’elle force
autour d’elle pour son énergie, la cigarette qu’elle abandonne, et le pacte plus
ou moins tissé entre nous ; et je regagne le parking (attention chute de
marrons !), je lève la tête de peur d’en voir tomber un, et retour pour un peu
de travail avant le Colisée, mais la Fontaine alitée, concert annulé, et de là
la Turquoise avec Francko et Sylvie/Joséphine, bombance, « I’m in love ! »,
s’écrit-elle, Sébastien, le Hundertwasser français, puis le piano, Karine
(« Méfie-toi d’elle ! » dit-elle), et de là, le Mah-Jong et l’invitation pour
jeudi, et retour, Nous ne vieillirons pas ensemble (je crois bien que
si), coucher, lever, la fin de S.UM.M.I.T, maman et le lapin aux
pruneaux, Désirée Clary, Martin Gray, puis Napoléon et Hitler (« ils sont
fous ! »), puis des passages des Journals qu’elle glane et commente, puis
sa question au sujet du 28 avril et du 15 mars, « le 15 mars, c’est
l’Angleterre, avec Susan » « et le 28 avril ? » « c’est un secret », les envois
que je prépare tandis qu’au poste Enrico repasse sa vie (au fer chaud), puis
retour, la fin des envois, puis Riff-raff et Sous le sable
(bonheur !), et fin du livre de décembre et poursuite des copies des bandes
magnétiques, coup d’œil à la traduction et dodo, lever, pluie, Une femme
insignifiante de La Varende dans Les Œuvres Libres,
Le Hasard
(magistral). Je vais me mettre au latin, rêve à
Venise (l’avion n’aurait pas dû exploser)…