Désordre de la mi-nuit, espèce de distraction qui, sous la charge du volume de la musique, a saisi la majorité des convives et qui a fait que personne ne m’a entendu et qu’il a fallu quelques minutes pour que chacun, comme plongé dans une sorte d’abandon qui les avait disséminés dans le rez-de-chaussée, cuisine, hall, toilettes, s’ébroue et prenne conscience que l’année avait basculé et qu’une autre était déjà en train d’officier. La bise partagée, échangée, multipliée avait, je ne sais pourquoi, quelque chose d’altéré, d’éventé…/Des mois qu’il se trouvait sur le piano : un petit paquet composé d’une enveloppe contenant quelques exemplaires de Rok et deux du Livre. « Pour Chito ». Je me suis enfin décidé à aller les lui porter. Mais elle n’y était pas ; c’est Saskia qui m’a reçu, qui m’a directement emmené dans les deux pièces en façade qui, fallait-il que j’en parle dans le dernier Journals dont j’avais un exemplaire dans la main, forment désormais la Librairie d’Art. Deux pièces en enfilade, haut plafond, moulures, cheminées de marbre. L’ensemble est particulièrement réussi et accentue encore cette impression de chaleur et de paix que je retrouve à chaque fois que je passe la porte de Chez Rita. J’aime de plus en plus cet endroit et ceux qui l’animent. À ce point que je me suis même imaginé, moi individualiste indécrottable, en faire partie, y habiter. Comme c’est étrange…/Espèce de confusion, de brume, de distraction, d’étirement. Pour preuve, des restes de sac dans lequel ma tête baigne plus ou moins depuis la nuit dernière, un sac beaucoup moins lourd que je ne le craignais et je loue ici, une fois de plus, ma faible consommation en tabac qui est la principale responsable de cette « forme » de lendemain d’excès tant liquide que solide. Pourtant : champagne, Vendanges Tardives, St Veran, St Joseph, Vacqueyras. Il n’empêche que je me suis levé à 13 h 30 après m’être couché, à l’imitation de Susan et d’Annie, à 5 h 30, heure à laquelle nous sommes rentrés, laissant sur le carreau (encore qu’ils aient été tous en train et peut-être, dans mon esprit, est-ce le terme minier qui a prévalu contre l’expression, le « carreau », soit l’endroit de la fosse où s’élève le chevalet, autre terme qui pourrait attirer à lui l’art qui fut, faut-il s’en étonner, des conversations), sur le carreau, en costume de galibots et de trieuses urbains : Léo, Fanny, Françoise, Didier, Fabienne et Janusz.../Il est 19 h 00, Pain et Vin, Wazemmes, à côté des indigents P’tits Lous. Ce soir, Susan reçoit des collègues. Alors j’attends Fanny pour « le » Resnais à 21 h 20 au Métropole. Je l’attends en compagnie d’un Buscail, vin de l’Aude dont j’ignorais tout, que m’a recommandé le garçon et qui me fait tout à fait regretter mon état antérieur d’ignorance. Je pensais lire, mais l’endroit est calme, trop calme : j’entends parfaitement les deux conversations qui se déroulent de chaque côté, gauche, droite, stéréo dont le canal gauche est légèrement plus important que le droit et qui est à l’exact volume de mes pensées liées à la lecture : deux couples de filles, le langage branché allant bon train, conformisme un peu bêta qui m’agace d’autant plus qu’il est manifestement étalé. D’où le journal, dont c’est la troisième sortie dans un bistro, je veux dire le véritable journal, cahier, avec le stylographe et non un de ses substituts, carnet, calepin ou bloc accompagné du crayon gris…/(Je poursuis le portugais. 48e leçon où je note « bonança », calme, qui appelle bien sûr le « bonanza » anglo-saxon : filon, trésor)./La frontière, invisible autant qu’imaginaire, a donc été franchie sans que personne, sauf moi qui avais l’œil sur ma montre, s’en soit aperçu. Les frontières se traversent de plus en plus sans que l’on s’en aperçoive. C’est une autre année et ça ne se sent pas, on ne l’a pas senti, et on ne le sent toujours pas. De la même manière qu’un Noël ne se sente plus, qu’une fête ne se sente plus et les anniversaires même ne se sentent plus. On le dit, mais on ne le sent pas. Il faut faire des efforts, s’imposer des formes, des mots, des cadres, des cadres pour les y enfermer et ainsi bien les voir et les regarder sans y entrer…/J’en ai profité pour réserver deux places pour l’Auberge Rouge des petits Ritons. Après le repas, il y aura un concert dans la salle qui auparavant abritait la librairie et où tout est clair et pimpant. Lloret et Delfino, un chanteur, un pianiste. De Grenoble. Saskia me parle du quart queue qu’ils ont exigé, qui se loue à 4 000 F la soirée et que la mairie, en définitive, a pris en charge. « Un droit, ça n’est pas assez pour eux ? » Elle hausse les épaules, puis m’informe que Bana a installé un arbre de Noël à La Piscine. J’opine. Mais qui est Bana, bon sang ? Pourquoi est-ce que je les confonds tous ? Est-ce Bernard Agnias ? J’ai posé la question à Susan au retour qui me dit n’avoir jamais entendu ce nom-là de sa vie…/19 h 30. Des musiciens viennent d’entrer qui descendent à la cave. J’en profite pour relever quelques notes des Dialogues de Casa entre le philosophe et le théologien dont : « Cette ascension au ciel d’un Dieu créateur de l’univers est singulière par rapport à sa perpendicularité. Pourquoi n’est-il pas allé plutôt horizontalement ? Est-ce parce que l’ascension perpendiculaire est la plus opposée aux lois de la gravitation ? Il aurait pu aller vers l’horizon parallèlement dans la planète qu’il aurait voulu choisir. Monter, et descendre au ciel sont des mots impropres. Dieu devait savoir que cette terre n’est pas le centre de l’univers, et il le savait, mais ce sont les inventeurs de ces fables qui furent des francs ignorants. » J’avoue que cet argument, si tant est que cela en soit un, me laisse assez perplexe. De même que le « théologien » qui, comme de fait, ne trouve rien à répondre…/(Oui, « bonança » signifie aussi fortune.)/À présent, ils s’entraînent, et un autre couple s’est installé qui m’a obligé à me déplacer sur la gauche. Un troisième larron est entré qui s’est accroupi pour discuter ; l’un de ses coudes est posé sur ma table et il ne cesse de gigoter, de battre la mesure de la musique un peu ringarde qui émerge de la cave, et ainsi agite la table qui agite ma plume. Cet endroit commence à m’insupporter./Lever à 13 h 30, petit déjeuner, Annie dans la cuisine qui fumait, Susan dans son bureau qui téléphonait. L’ambiance est à l’avenant : lente, presque lourde, mais sans réelle pesanteur ; des propos échangés un peu cotonneux, un café et puis un autre, quelques commentaires échangés au sujet de la veille, puis on parle de maman que je ne vais pas tarder à appeler. Puis, tout doucement, on se meut, on bavarde. Puis Annie nous quitte et je vais m’habiller sans parvenir à m’ôter de la tête quelques images d’un drôle de rêve que je pourrais décrire par cette curieuse formule, la seule qui me soit venue à l’esprit sans que j’aie pu me résoudre à l’énoncer à haute voix à ce moment précis où je leur disais : « J’ai fait un drôle de rêve, mais je ne sais si j’oserais vous le raconter : des bites en boîtes. » Et effectivement, je n’ai pas osé… /« Filons, trésor ! »/Et : « S’il est écrit dans le chap. 33 de l’Exode que Dieu met Moyse dans la fente d’une montagne pour qu’il ne puisse voir que son derrière, cette crevasse n’est autre chose que J.-C. par le moyen duquel, comme par un télescope, on voit le derrière de Dieu le père. » Elle est arrivée dix minutes plus tard, gaillarde, enjouée, pleine de ses fraîches attributions au Centre d’Art dont nous parlons un moment avant que nous abordions le sujet du film de Laurent. Le temps de prendre un verre, de commander deux tartines insipides et de les manger, moi avalant la moitié de la sienne dont l’autre l’a repue, il était l’heure de partir. Puis le temps de regagner la voiture, d’aller la garer au parking-bunker de la rue de Paris et de gagner le guichet du Métropole, il était 21 h 10, soit un bon quart d’heure avant le début du film. Tout cela sans hâte, sans précipitation. Nous avons même eu le temps de prendre un café à la machine du rez-de-chaussée. Puis : « Pas sur la bouche ? Premier étage », dit l’homme. Une dizaine de personnes ; nous nous installons, attendons la fin des publicités. « En tout cas, nous ne sommes pas en retard ! » dis-je. « J’aime bien arriver en avance, avoir le temps de me préparer. » J’étais ravi. Le noir se fait, ça commence. Mais, en vérité, ça ne commence pas car il s’agit d’une bande-annonce. Drôle de bande-annonce, du reste, qui développe un générique. Un générique au complet avec Daniel Auteuil dans une sorte de comédie dont je n’ai pas noté le nom. Ça commence effectivement et là, nous sommes bien obligés d’admettre que ce n’est pas la bonne salle./Annie est partie, Annie, petite sœur, qui, d’une certaine manière, était, durant cette soirée, sous ma garde mentale. Annie qui est un peu timide, réservée, qui connaît à peine la majorité des convives de ce soir hormis Léo et Fanny, qui, peut-être, s’est sentie  décalée par rapport à un milieu qui est un peu étranger au sien, étranger à sa vie, et que je craignais de voir s’ennuyer. Aussi, j’avais l’œil sur elle : parlait-elle, riait-elle, est-ce qu’on lui parlait ? Oui, on a lui parlé, elle a parlé, elle a ri, et plusieurs fois on l’a entraînée dans la danse. Alors, ça allait et au bout d’un moment j’ai pu relâcher cette sorte de surveillance de grand frère sur une petite sœur qui n’est en rien petite et qui n’a besoin d’aucune surveillance de quelque sorte que ce soit. Malgré tout, ce matin, je lui ai posé la question : « Tu ne t’es pas ennuyée ? tu as passé une bonne soirée ? »/(Je crois que B*** en pince pour moi… )/Rue de Lannoy à Fives, ou des difficultés à trouver un numéro dans une rue infinie aux maisons mornes sans plaque et plongées dans l’obscurité et la bruine. Je m’arrête au hasard entre un hypothétique 132 et un 186 inexistant. Descends. À un coin, en face, figure l’enseigne éteinte d’un restaurant disparu. 159. C’est là. Une porte vitrée que j’hésite à pousser. Mais c’est bien là : une pièce, quelques personnes, un petit bar, deux ou trois visages connus, dont l’un derrière un ancien comptoir de bistro. Pas de Baudouin. Mais ce sont bien ses dessins préparatoires qui figurent sur les murs, dont certains qui m’étaient déjà connus. Arrive Bruno Dumont d’un petit couloir d’où part un escalier. Il m’apprend que nous sommes chez Renaud Demazières, que le rez-de-chaussée est ouvert à des expositions depuis deux ans, que je peux voir ses travaux personnels à l’étage./Nous sortons, retrouvons le palier et, oui, il y a une autre salle, la une, portant l’affiche de Pas sur la bouche qui était commencé lorsque nous nous sommes entrés./C’est une grande pièce d’habitation, séjour-cuisine, plongée dans le feutre de l’éclairage, en forme de musée domestique, de bric-à-brac savant. Ça prolifère, objets, toiles, travaux divers, sur les murs, sur les meubles, partout, dont un bel ensemble devant lequel je m’arrête, multitude de supports à des impressions d’encre ou de peinture, comme des paquets de Gitanes aplatis, posés les uns à côté des autres et recouvrant entièrement un mur./Tourné un peu rond dans la maison durant cette demi-journée. Ai fait un peu le ménage de mon bureau. Ai regardé un bout de Malcolm X avec Susan qui n’est pas très en forme. Puis suis remonté pour m’attaquer au Livre de novembre après avoir bloqué l’entrée du Journal sur le site. Ai pensé vaguement me mettre à Rok, mais je ne suis pas sûr que cela ait donné quoi que ce soit de bon. Alors, suis redescendu, ai empoigné la guitare sur laquelle j’ai joué durant une demi-heure en pensant à Roman qui hier, précisément, m’a appris qu’il s’y était mis, celle électrique de son père, et m’a demandé un livre d’accords. « Quand as-tu commencé ? Hier ? » Il sourit : « Non, aujourd’hui… » Ah. « Elle est accordée au moins ? » Il fait les yeux ronds avec une moue d’interrogation. « Bon. Il va donc falloir que je m’attaque à deux instruments, alors… » Suis remonté pour la suite du Livre./Je redescends, papote avec Bruno autour d’un rouge. Je le croise de temps à autre sans bien savoir quoi lui dire, de quoi parler avec lui. Lui, de son côté, n’est pas non plus bavard, et, apparemment, pas très désireux d’en savoir davantage sur moi. Arrive enfin Baudouin avec qui j’échange quelques bêtises, puis je refais un tour de l’exposition dans cette salle un peu froide et à présent pratiquement comble. J’étais sur le point de partir lorsque Hervé et Patricia sont arrivés. Longue conversation avec Patricia, particulièrement séduisante, au sujet de la séance d’étouffement urbaine du 6 à laquelle ils participaient. Hervé me demande ce que j’ai pensé de son expo à Tourcoing, me parle succinctement du spécimen du Journal sonore que je lui avais envoyé il y a quelques semaines. « Mais je vais t’envoyer une lettre, tu verras. » Puis Claire est arrivée, puis Bérénice que je n’ai fait qu’entrevoir traversant la foule et qui a disparu au moment où je m’apprêtais à partir./Une opérette qu’il avait dégottée je ne sais où. C’est gai, c’est enlevé, c’est très bien joué, magnifiquement mis en scène, plans admirables. Mais encore ? Où tout cela mène-t-il ? À quoi cela sert-il ? Quel sens cela a-t-il ?/J’avais la main sur la poignée lorsqu’une autre main qui ne m’appartenait pas m’a agrippé le bras pour me tirer en arrière. « Alors, tu allais partir sans me dire bonjour ? » C’est Bérénice. Elle me donne de ses nouvelles, pas particulièrement réjouissantes, sauf pour Charlotte qui vit désormais à Toulouse, la jolie Charlotte à qui j’avais donné deux cours à une époque. Mais visiblement elle est ravie de me voir, me propose même avec fougue et quasiment de la fièvre de passer chez elle quand je le veux. Puis me demande ce qu’il en est de ma « comédie musicale », de Chocolat ! Quelle comédie musicale ? Je pense à l’embryon de l’opéra Journals qui d’un coup d’archet escamote une demi-douzaine d’années. Où sommes-nous ? de quoi parle-t-elle ? Elle paraît tout ignorer de moi depuis lors, alors que nous nous sommes rencontrés il y a peu à Roubaix et que je lui avais tout raconté. Tactique ?/Midi. Il neige, neige bien épaisse qui couvre les toits tout autour de cette niche de la Renaissance dans Lille. Suis à l’étage, à la table de verre sur laquelle j’écris. Susan, dans l’un des sofas, lit, Susan qui, durant la nuit, s’est démenée comme jamais à l’admiration de toutes et tous. (Quelle était la réflexion d’Anne, à un moment donné, à propos d’une « adolescente » à laquelle s’attachait un qualificatif que j’ai oublié ?)/Et, tandis qu’elle était partie se pomponner : « J’ai une nièce qui ne manque pas d’esprit, et qui me fit rire un jour qu’elle me dit qu’avant de se marier elle n’a jamais dit au confesseur ses péchés de mollesse dépendants des désirs, parce qu’elle ne se crut obligée à faire cela par aucun précepte. Elle trouvait que le précepte Ne désire pas la femme d’autrui ne pouvait pas la regarder puisqu’elle n’avait désiré que quelqu’homme qui lui plaisait, et jamais des femmes, et avouez, monsieur le théologien, que ma nièce avait raison. » Et tout ce qu’il trouve à faire dire à son théologien, c’est : « Monsieur, je crois que vous badinez. » De la sortie, il n’y avait qu’un pas à faire pour découvrir les monstruosités de Mézières rue Faidherbe, puis, installées dans les piliers de cette hideur sans nom, les saynètes de Pierrick Sorrin entre vidéo et holographie. Les Inventions remarquables. Amusant. De là, le beau Moulin d’Or, pour un verre ou deux. Sur le chemin du retour, nous faisons un crochet par l’Hospice Comtesse où se déroule la Ronde de Nuit de Buren. Rigolo. Nous feignons de trouver cela lumineux tout en jetant des coups d’œil en direction de la terrasse du bar australien de l’autre côté de la place que quelques types s’amusent à démanteler pour s’en jeter les morceaux à la figure. Culture. Il est 1 h 30 lorsque je la dépose chez elle. /(Une certaine Martine, alors que nous partions, qui tout étonnée me dit : « Ah, c’est toi qui es avec Susan ? J’avais parié sur quelqu’un d’autre ! » « Désolé », dis-je. Je n’ai pas demandé de qui il s’agissait. « Tu n’as pas à être désolé. Au contraire, tu devrais être fier. » C’est un inconnu à côté d’elle, le même qui quelques instants auparavant m’avait dit que j’avais de la chance. Fierté ? Chance ? Pourquoi serais-je fier puisque le couple que nous formons va de soi ? Et n’est-ce pas le simple résultat d’une logique. Pourquoi serais-je avec une femme vilaine, stupide et triste ?/(9 h 15. Rocade en direction de Villeneuve. Je roule, et à un moment donné, ferme les yeux, puis les ouvre, les ferme de nouveau, les ouvre à nouveau. Qu’est-ce qui nécessite, a nécessité la vue, la vision ? En l’occurrence, ce n’est pas de trop. Mais pourquoi voir ? Et pourquoi deux yeux plutôt qu’un ou trois ou quatre ? Les deux mains, ça s’explique, c’est ce qu’il faut pour saisir une taille. Mais les yeux ? Pourquoi deux ?)/Première cigarette après une dizaine hier. Et champagne, pas mal, une fois n’est pas coutume. Danses, pas mal non plus, à l’étonnement de toutes, dont une avec Janusz, retour du Japon, un peu chamboulé après quatre mois passés dans ce « pays merveilleux » dont il m’a beaucoup parlé. Janusz qui, à un moment donné, m’a invité à danser. « Je ne vois pas pourquoi les hommes ne dansent pas ensemble. Les hommes sont pudiques, stupides ; ils ont peur de passer pour des homosexuels s’ils se font la bise ou dansent devant tout le monde. » J’ai refusé en souriant, et comme ce refus était en effet stupide, j’ai accepté. Janusz qui ensuite a eu une longue conversation vaine avec T***, cet étrange type que j’avais vu une fois à la maison, qui, sans raison autre que celle inspirée par les viscères, m’avait immédiatement déplu. J’ai perçu quelques bribes qui n’ont fait que corroborer cette aversion : la réalité, la fiction, moi j’ai écrit des bouquins, et puis : la réalité est plus forte que l’art, et puis : l’acte individuel de l’artiste ne vaut rien par rapport au monde réel : c’est le grain de sable d’une plage ! À ce moment-là, j’ai jugé bon de faire une incursion : « Le grain de sable, c’est toute la plage. » Ils ne m’ont pas entendu. Je n’ai pas insisté. Et puis, n’était-ce pas la plage qui était tout le grain de sable ?/C’est à Saint André, rue de la Gare, rue sinistre qui mène à une gare sinistre, qui contourne il me semble, les établissements Caby, saucisses et compagnie. Ça se passe chez des particuliers, M. et Mme Mons (?), entrepôt à l’arrière de la maison, le tout ayant dû être une fabrique de quelque sorte à une époque, dont la première partie est un « atelier de yoga » [sic Claire] et la seconde un lieu d’exposition. Lui est prof de yoga (ça tombe bien) et elle, prof d’archi à Villeneuve. Une large surface à l’entrée, un escalier en fer qui mène dans une grande salle en contrebas. À gauche, le yoga avec un cours en cours, ce qu’indiquent les quelques paires de chaussures sur les premières marches qu’il faut enjamber et qui, au départ, m’ont fait craindre qu’il faille se déchausser, réponse à quelque fantaisie de Baudouin. À droite, un autre escalier qui mène à deux autres salles en hauteur, l’une petite avec un petit salon, l’autre un autre lieu d’exposition. Dans le fond de la grande salle du bas, un décrochement et une sorte de pièce triangulaire très haute de plafond./« Va voir dans le service ! » me dit Éric. Il était 9 h 40, je venais d’arriver dans ma salle que j’avais essayé d’atteindre les yeux fermés. J’y vais. En effet : après les reproductions d’aquarelles, les posters de chevaux, les photos d’animaux qui recouvrent entièrement deux des murs et ont été imposés le lendemain de son arrivée par l’agent de maîtrise, est arrivé un calendrier Max pourvu de poules molles débraillées. Ça se trouve dans la cage entre les posters de sulkies et la dizaine de modèles de Père Noël qui encadrent deux des ordinateurs depuis une semaine. En face, au-dessus du bureau de Sophie, s’en trouve un autre, calendrier scolaire de sa fille qui exhibe les futures stars de l’avariété./(Ou le grain de plage qui est dans tout le sable ?)/C’est là que Baudouin a installé quelques uns de ses suspens dont certains qu’il n’avait jamais pu exposer faute de hauteur suffisante. Il y en a six ou sept plaqués contre les parois blanches. L’ensemble est frappant, et je crois que c’est la première fois que je relève leur beauté, peut-être du fait de la hauteur et du confinement conjugués qui révèlent leur singularité et la pureté de leur structure ; peut-être aussi parce que mon œil s’aiguise et est capable désormais de les apprécier. Je lui en parlais justement la veille : « Je ne sais pas regarder, je ne sais pas voir. » Dans le reste de la salle, accrochage de ses montages à partir de photos ou de cartes postales de lieux. Dont je ne sais véritablement que dire, bien que je me sois appliqué à scruter, à détailler, comme pour ne rien manquer, comme un exercice dans le cadre de l’apprentissage du « comment savoir voir ». En haut, d’autres montages et, à terre, une belle structure faite, à sa manière, à partir de pièces de récupération, et qui doit figurer dans la série des « ponts »./« C’est la mère Noël », dis-je tandis que B*** et G*** de passage le feuillettent avec les commentaires assortis. P*** est face à son ordinateur, le nez dans son clavier, ne participe pas à l’effeuillage. Mais : « C’est pas la mère Noël ! » dit-il. Le ton est grinçant, agacé, et manifestement sur la défensive. J’ajoute : « Je constate que ça s’améliore, ici ! » Il est vrai que de plus en plus le service prend des allures de chambre de jeune homme où, pour accompagner la radio, ne manque plus que quelques spots et un percolateur à bière. « C’est vrai ! » fait Sophie, heureuse d’avoir un allié face au trio de faux loups qui ne lui adressent plus la parole depuis des mois sous prétexte que c’est une « salope », et qui désormais l’appelle purement et simplement : « elle ». J’ajoute encore : « Et qui est-ce qui a mis ça ? » tout en pensant à M*** dont la vitre qui sert de paroi à son ordinateur et de séparation entre la cage et le reste du service s’orne de pépées fadasses et de reproductions de fesses d’Aubade. « C’est moi », fait le même ton grinçant et agité, à peine audible parmi le cliquetis des touches qui n’a pas cessé un instant, tout comme sa tête qu’il n’a pas relevé une seconde : « Et je le revendique ! » Cette fois, sa tête a baissé d’un cran, prête à accompagner ses doigts du nez.../Du monde, un rouge pas désagréable, Francine à qui je remets un CD Rom d’apprentissage à l’anglais de la part de Susan. Dans la salle aux suspens, je tombe sur Morcrette et sa compagne polonaise dont je ne parviens jamais à me souvenir du prénom alors que dans mes images figure sa toile d’Arras qui m’avait tant frappée. Nous échangeons quelques mots qui, une nouvelle fois, ne deviennent pas une conversation. À revoir. Au revoir. Je pars pour Chez Rita./(10 h 30. Éric est revenu aujourd’hui après cinq semaines de congés. Une semaine à Paris qu’il découvre et qui l’émerveille, deux en Bretagne. Il m’en parle durant une heure en concluant par cette phrase qui sonne étrangement à mes oreilles : « Ça fera des souvenirs… »)/J’ai effectué un enregistrement lors des dernières heures du 31 et des premières du 1er. Le 31 : j’étais dans le couloir de la maison livrée à une troupe juvénile de cosaques en fleur, sac posé sur le sol, alors que, revenu de chez Francko où j’avais fui la veille, j’attendais Susan que j’étais passé prendre pour nous rendre chez Jean-Pierre. Le 1er : j’avais posé le micro sur la table où je me trouvais avec Hervé, Patricia, Anne, Janusz, Christine la sœur de Janusz, séparation des clans, l’autre table étant occupée par les amis de Jean-Pierre, ç’eût peut-être été une bonne idée de rapprocher les deux. J’avais profité qu’Hervé soit disponible pour lui montrer mon petit matériel « Tu veux voir mon petit matériel ? » Il rit. « Ton petit matériel ? » Je l’ai déballé : le mini-disque, puis un micro que j’ai posé et branché pour démonstration. Janusz et T*** étaient en pleine discussion autour d’une certaine Amérique…/(Faire une chose pour en avoir des souvenirs. Les souvenirs précèdent donc la chose… Autrement dit : le souci des souvenirs précèdent celui de la chose qui deviendra des souvenirs.)/Il est 4 h 00, la maison est pratiquement déserte. Je ne sais comment, je me retrouve avec Jean-Pierre au premier autour du clavier sur lequel il développe deux ou trois pièces de Bach en rageant d’être trop saoul pour les jouer correctement, alors qu’à sa place, je n’aurais pas dépassé trois notes. Je « travaille » justement l’une d’elles depuis quelques mois ; je trouve qu’il la joue trop vite, le lui dis, nous en parlons durant un moment et je songe qu’il est regrettable que nous n’ayons jamais de telles rencontres autour du piano. À présent, il est 16 h 30. Me traîne un peu. Peu disposé à la lecture, ou au piano, ou à l’écriture. Je viens de consulter le livre que Patricia m’a offert hier : Mauvais genre(s). Art. Le corps, le sexe, violence, mais le sexe principalement, mutilation, mortification, et cette image en ouverture, que je n’ai pu regarder longtemps – quelque chose a bougé dans mes viscères –, le supplice des cent morceaux appliqué à un homme autour duquel sont groupés des Chinois. C’est bien en Chine que ça se passe (mais où sinon ?), début XXe sans doute, je n’ai pas vérifié. À cet homme, debout, attaché sans doute, manquent les bras (et peut-être les jambes aussi) et apparaissent les côtes à nu. Son visage est figé dans une drôle d’expression (drôle !). On ne sait dire s’il est mort ou vivant. Vivant sans doute car ça ne pourrait être un supplice s’il mourait avant l’ablation du 100e morceau. Raffinement./(11 h 30. Je dis à Patrick F*** au distributeur : « J’en ai rien à faire de la culture ! » Je me demande s’il ne me croit pas. Mais à la réflexion, c’est vrai que je n’en ai rien à faire…)/Le plus inquiétant, c’est qu’un jour, quelqu’un a imaginé ce supplice, y a passé beaucoup de temps pour le mettre au point, pour déterminer le nombre de morceaux et l’ordre dans lequel ils devaient être prélevés (selon quelle règle ?). Qu’avait cet homme en tête à ce moment-là ? Ou ces hommes, réunis en une sorte de Comité des supplices, et je pense à l’instant à Mirbeau. J’imagine des discussions, des controverses quant à la nature des morceaux et à l’ordre de leur ablation. À quoi cela répond-il ? (Mais il y a bien eu et il y a encore son équivalent en Occident, non ?) Je crois que ça va au-delà du châtiment, de la punition. Et puis, outre les concepteurs, il y a les bourreaux et le public. Qu’y a-t-il dans la tête de ces gens qui justifie de tels actes ?/(11 h 50. Étienne hier qui me parle de « temps perdu ». « C’est du temps perdu », dit-il à propos de je ne sais plus quoi. « Le temps perdu, ça n’existe pas. Ça n’a pas de sens », lui dis-je. Aujourd’hui, au distributeur, il parle de chance, de malchance dans la vie et son déroulement, la sienne en particulier. « La chance, ça n’existe pas », lui dis-je. Je me demande ce que tout cela a produit dans son esprit…)/Janusz a perdu du poids. Avec son ventre plat, sa barbe de quelques jours et sa veste fine à poches plaquées, il avait l’air d’un aventurier…/(Patricia et ses étonnantes chaussures poulaine madrilènes !)/Dehors, comme depuis hier, neige et froid. Une neige telle qu’il est presque impossible de circuler (du moins selon mes critères). N’ai donc pas bougé de la journée si ce n’est que pour sortir le chien. Et puis, dans le courant de l’après-midi, pour fabriquer un bonhomme de neige avec Susan dans le jardin. Je dois reconnaître qu’il est assez réussi. Des photos l’ont immortalisé. Pour le reste, travail sur écran. Lecture avec la suite de Ballard, deux nouvelles : « Chronopolis » et « Voices of time ». J’ai eu du mal à retrouver quelques bribes de souvenir de la seconde ; ai même eu du mal, je peux bien l’avouer, à m’y attacher. Je m’aperçois en outre, et sans doute est-ce lié au fait que je les lis chronologiquement et non dans le désordre de l’époque, que j’avais oublié à quel point Ballard était attaché au temps. Compte tenu du fait qu’il m’ait assez fortement influencé durant les premières années de mes textes de fiction, ce n’est sans doute pas un hasard si, aujourd’hui (mais à l’époque aussi, Le saphir érodé en est la preuve), j’y suis moi-même tant attaché. Je continue, en parallèle, à consulter le livre sur Venise. Je grappille, m’arrête, reviens. Le troisième voyage a déjà commencé./(14 h 00. J’ai pris l’habitude d’avoir toujours avec moi une disquette que je peux parfois utiliser en fin d’après-midi sur l’un des ordinateurs du service. Dessus, se trouve la Spirale. Je me suis aperçu en arrivant que je l’avais oubliée sur le bureau de ma nouvelle chambre. Je suis retourné la chercher ce midi. Je n’ai qu’une hâte : y replonger ! Le reste peut attendre – mais en filigrane, le son !)./Il y a quelques semaines, suite à une annonce publicitaire dans je ne sais plus quelle revue, j’ai reçu un échantillon des Annales de l’Art de FMR. Luxueux, riche, cher. J’ai laissé tomber, ou oublié. Hier, un coup de fil me l’a rappelé : c’était un représentant de la boîte qui se proposait de passer pour me montrer quelques uns des exemplaires. Je ne sais pourquoi, je l’ai écouté et, d’une certaine manière, et si tant est que cela soit possible avec un démarcheur qui ponctue régulièrement chacune de ses phrases d’un Monsieur Grudzien sirupeux, nous avons sympathisé. Je crois, du reste, que l’élément de sympathie est intervenu au moment où il m’a annoncé qu’il était grec, et je crois bien m’être exclamé : « Comment ? Vous êtes grec ? » avec quelque chose dans la voix qui tenait de la jubilation. Nous avons fixé rendez-vous, « avec Madame », le 14, soit la St Valentin./(15 h 00. Éric qui vient de passer pour me remettre la copie sur cassette des 4 saisons qu’il venait d’effectuer à ma demande sur son poste à partir du CD que je lui ai offert hier. Il y a 2 jours, il me demande si je possède les 4 saisons, je dis non, mais Susan l’a, je l’oublie à la maison et passe à V2 lui en acheter une version à laquelle j’en joins une autre pour moi, occasion d’écouter enfin attentivement le tube ; je l’ai enregistré cette nuit, l’ai écouté ce matin au casque ; lui écoutait le sien dans sa salle ; je me suis dit que c’était une bonne occasion de comparer ces deux versions.)/« Are you crazy ? Le jour de la St Valentin ? Alors que nous sommes invités chez Léo ! » Ah bon ?/(Il vient donc, me le remet, me demande s’il y a d’autres choses intéressantes dans cette collection ; je pense aux Indes galantes quoique la version proposée ne soit pas des mieux. Il est dans un sale état, me dit qu’il en a marre, qu’il n’a pas envie de rentrer chez lui, part en criant : « J’en ai marre de la cambrousse, j’en ai marre des arbres ! » Je ne suis pas sûr que Vivaldi arrange les choses…)/Je « souffre » de toutes mes contraintes et ne pense qu’à m’en débarrasser, et aussitôt que j’en abandonne une, je n’ai rien de plus pressé que d’en inventer une autre. La rétrospective Ballard en est une… Qu’en déduire sinon que je suis incapable de vivre sans contraintes créées ? C’est sans doute la raison pour laquelle j’exècre tant la notion de travail social : parce que c’est une contrainte imposée./(16 h 30. Sidonie. Jalouse à un point que c’en est révoltant. Et comme de fait, il est révolté. À un point qu’il dit même s’en sentir coupable, ne même plus oser adresser la parole à quelque femme que ce soit sans en éprouver de la culpabilité. Quelques minutes plus tard, il me parle du dernier Journals et de l’épisode de la voiture sur le périphérique, ajoutant : « Mais il y avait une fée à côté de toi ! » « C’est exact. » « Au fait, elle le lit ? » « Oui, bien sûr. C’est même elle la première lectrice, mon “ retour ”, en quelque sorte, elle qui arrondit certains angles sur les propos qui concernent d’autres personnes. » Il me fait des yeux ronds. « Et la petite blonde, alors ? » « Quoi la petite blonde ? » « Elle le lit, elle le sait ? » « Oui, bien sûr. » « Et elle ne dit rien ? » « Que veux-tu qu’elle dise ? Ça la fait plutôt rire. » Il me regarde durant un instant, puis se lève et sans mot dire quitte ma salle.)/Ajouté à cela, je me suis de nouveau imposé une règle de consommation de tabac : une toutes les trois heures. Quand vais-je me débarrasser de cette obsession ? (J’entends, provenant de la salle d’à côté, M*** Collègue, en pleine digestion, qui bâille comme une grosse bête repue. Qu’est-ce que je fais ici ?)/(Susan me dit que c’est parce qu’elle l’aime. Je secoue la tête. Je ne vois pas bien le rapport entre la jalousie et l’amour. La jalousie n’est pas une preuve ou une marque d’amour. « Ça peut l’être si elle a peur de le perdre, et c’est le seul moyen qu’elle aurait pour le lui faire comprendre. »)/Fresnoy, Fabio Mauri, 83 ans, rétrospective. Bise à Pascale P*** qui ignore Susan, mais qui, à l’inverse et pour je ne sais quelle raison, semble ravie de me voir, comme si nous nous connaissions depuis le début du monde. Quelques mots échangés au sujet d’une projection sur ma chemise, puis nous déambulons. J’avoue n’avoir guère eu l’esprit à l’exposition, mes pensées étant toutes au bar pour y rencontrer quelques connaissances. Je reviendrai. /J’ai tenté d’achever Rok. Sans y parvenir. Dégoûté. Je vais tenter de m’y remettre. Curieusement, en pensant au suivant et à ce qui allait s’y dérouler, j’étais très excité. Dégoûté par celui qui ne s’achève pas, excité par le suivant qui n’est pas encore entamé et qui m’écœurera lorsque je l’aurai entamé./Bar où il y a la foule habituelle et, comme attendu, quelques amis : Françoise, avec qui j’ai parlé de la chatte noire et du nounours viral ; Baudouin à qui j’ai raconté l’histoire de la chatte noire ; le couple ami de Jaqui et Luc dont j’ai oublié les prénoms, eux aussi du reste, je veux dire, le mien ; Anne et Janusz, Roman et Julia, Roman qui a l’air d’avoir poussé de dix centimètres en une semaine ; Fanny, radieuse, qui a cessé de fumer, ce qui fait rebondir l’ébauche de pacte plus ou moins conclu avec elle lors de ma visite à la clinique, soit le fait que j’arrête de même à mon prochain anniversaire ; Francko, bien sûr, et puis Jacques que je n’avais pas vu depuis son retour./(17 h 00. J’écoute le MD 4. À combien suis-je ? Quinze, vingt ? Mylène me demandait si j’obéissais à une contrainte. Je lui ai dit que non. Que je laissais venir les choses. Oui, laissons venir les choses.)/Lourd. Un orage menace, éclairs au-dessus des toits de Turgot en direction de Wattrelos, la Belgique doit être inondée. À midi, j’ai accompagné Susan dans des puces misérables à Roncq. Chaleur de plomb et je tirais déjà mon nez. Ai acheté un Simenon simplement pour dire de ne pas rentrer les mains vides : Maigret et le coroner, Presses de la Cité, 1949 ; la couverture est jolie./Il y a à boire, bien sûr, mais aussi à manger, stand où l’on propose des pâtes et du risotto. Je suis en forme, vais de l’un à l’autre. Au moment du départ, proposition de manger un morceau à la maison, Jacques, Francko et Fanny, ce sous la pluie qui, après quelques semaines de temps radieux, a refait son apparition dans notre paysage. Jacques est en pleine forme, semble s’être débarrassé de son obsession africaine. Il en parle, bien sûr, mais sans que cela devienne le centre de la conversation. Mots et expressions de là-bas, « chusiner », « je suis moisi », puis Michael Jackson, puis les Blancs qui détruisent des millénaires d’entente dans les pays colonisés, et puis  les chiens aimés abattus pour être mangés. Ils sont partis tôt : Fanny devait travailler sur son banc de montage avant de le restituer…/Affluence, chaleur, je passe par la librairie, tombe sur Marie-Claude et Bernard, traverse la boutique d’objets d’art, prends un rouge avec Bernard au comptoir. Bana est là avec ses charentaises et son air toujours aussi impressionnant et redoutable de patriarche tzigane. Nous passons dans la salle comble, une bonne cinquantaine de personnes, nous retrouvons près du ¼ queue avec Nordine et une certaine Danielle. Je raconte l’anecdote du piano à Bernard qui est aussi soufflé que je l’aie été./À peine sont-ils partis que le téléphone sonne : Hélène de Radio-Campus qui me propose un rendez-vous pour un enregistrement. Ce sera samedi, à la maison. Sa voix est charmante. Elle me dit que son émission est axée sur les voix. J’ai dit que je ne voyais pas bien le rapport avec moi ; elle non plus. Au fait, sait-elle ce que je fais, en quoi consistent les éditions et mon travail ? Oui, elle était présente lors de l’enregistrement à la Piscine pour France-Culture. « S’il n’y a pas de rapport, on en trouvera un », lui dis-je. « Oui, à samedi. »/Plat unique : une grande assiette avec un gros bol : soupe épicée à base de haricots avec, disposée autour, une salade composée à base de riz, le tout consistant et excellent. Il y avait du rab, j’en ai repris deux fois. Et comme dessert : des mandarines./(Je pense à l’instant que « ball-room » est une salle de bal. « Ball » est aussi une balle. Alors : salle de balle. Du rapport entre « bal » et « balle » ?)/Puis je file à la déchetterie où je m’ébats avec quelques cartons des Télérama que je n’ouvre plus et des sacs de bouteilles vides. Au retour, embarquons la chatte grise pour le retrait de ses fils d’opération. Trouvons volets clos. Il ferme à 17 h 00. Il était 17 h 00. La déposons à la maison pour repartir pour Géant où je laisse la voiture. Désormais, je ne peux plus entrer dans une supérette ou dans un supermarché sans faire un détour par le rayon des livres, histoire d’y dégoter un Amélie en poche que je ne possèderais pas. J’ai trouvé Cosmétique de l’ennemi que j’ai entamé aussitôt./J’avais mon petit matériel avec moi que, faute de place, j’ai dû laisser sur le sol. Ai fait une prise d’ambiance de quelques minutes. Puis, alors que j’achevais d’éplucher ma mandarine, que Delfino allait me souffler quelques minutes plus tard en passant devant la table, ça a commencé. En vérité, je tournais le dos au piano et ne les ai pas vus s’installer ; j’ai entendu une note, je me suis retourné, ils commençaient. J’ai réglé au jugé le volume d’enregistrement, ai tourné la bonnette en leur direction, ai mis en route en espérant que ça fonctionne. C’est alors que j’ai compris la raison d’être du ¼ queue : le pianiste utilise les cordes, en percussion, frottements, à la manière de Cage ou de Crumb. C’est l’introduction. Le chanteur a un physique entre Gainsbourg et Arthur H avec la voix et les intonations du second (de l’influence du physique sur les destinées) ; c’est le genre aussi, en général, avec souvent des paroles indigestes, mais beaucoup d’humour et de présence. Le pianiste fait un peu le pitre, mais un pitre qui se sert très bien de son instrument, arrangements classiques, mais justes et fins ; le tout est parfaitement au point et, étrangement, ça m’a emballé. Soirée exquise au gré de topettes d’un vin de pays./(Venez à moi, les choses !…)/Concert achevé, ils partaient pour la Condition Publique où ils allaient en donner un autre. Parallèlement, se déroulait la rituelle braderie de l’art au parking Winston Churchill. « Et on dit qu’il ne se passe jamais rien à Roubaix ! » dit Bernard./Puis passons aux Lisières où je dépose le carton pour B***. Je remets à Claire quelques exemplaires des dernières parutions. Elle me parle d’un coup de fil d’une inconnue qui désirait obtenir de mes publications. Est-ce la même ? « Elle ne s’est pas présentée », me dit-elle. Qui est donc cette inconnue qui s’intéresse à moi ? Je me dis qu’elle m’en aurait parlé au téléphone, et décrète qu’il s’agit d’une autre. Une créature commence à se dessiner lorsque j’avise un très bel ouvrage sur le journal intime, signé Philippe Lejeune, fac-similés de manuscrits de personnalités, écrivains ou non. Je n’ai pu résister à l’envie d’aller à l’index pour y parcourir la colonne de la lettre G…/Martine Aubry et son Fusilier sont passés durant le concert. Que venaient-ils faire là ? Aucune de ces manifestations n’avaient trait à 2004 et Rita n’y entre qu’en février ! Susan devait se lever tôt pour aller chercher Joséphine à Zaventem. Je ne savais que faire, rentrer ou non ? « Qu’est-ce que vous faites ? » « Sais pas. Et vous ? » Ils hésitent, la Condition, la Braderie ? En définitive, je rentre avec Susan. J’écoute l’enregistrement en fumant une dernière cigarette ; le son est bon, et je regrette de n’avoir pas la totalité. Le téléphone sonne. Je ne décroche pas, mais descends plus tard écouter le message : c’est Joséphine. Le vol est annulé, elle rentre lundi à 8 h 00. C’est mon lundi./Susan achète un Kadaré en poche, tandis que je cherche avec Frédérique à l’étage un Martin Gray que j’aurais pu apporter à maman demain. Jouons un peu avec les boîtes à musique avant de repartir, Susan pour faire des courses, moi pour aller acheter du vin chez Nicolas. Je suis désormais un habitué, peut-être le seul si j’en juge d’après le taux de fréquentation de sa boutique où je n’ai jamais rencontré qui que ce soit. Papote avec le gérant, très volubile aujourd’hui qui m’apprend que l’exportation avec l’Angleterre baisse depuis qu’un consortium américain se charge de promouvoir les vins californiens et australiens. Je reviens à la maison pour mettre de l’ordre dans les photos. Nous passons la soirée ensemble face à Mon oncle que je n’avais jamais vu. Pas mal. Mieux que Jour de fête, mais moins bien que Playtime. Ce n’est qu’à 23 h 00 passé que je m’assois enfin face à cet écran…/(Je me sens du vague à l’âme, un peu de guingois mentalement. J’envie Francko d’être à mille lieues de tout sur son cargo. À propos, nous avons reçu une carte. D’Égypte. « P.S. : c’est merveilleux ».)/Levé à 5 h 30, parti à 6 h 30, arrivé à 9 h 00 suite à un bouchon sur le ring de Bruxelles. Une heure de retard, ce pour découvrir qu’il n’y avait aucun vol en provenance de Cuba entre 7 h 00 et 9 h 00. Alors ? Est-ce le bon jour, la bonne heure ? Et si, malgré tout, elle est arrivée, comment la retrouver ? Je cherche un distributeur que je ne trouve pas, passe aux toilettes, me dirige vers l’un des bars avec mes 4 euros en poche et l’intention de prendre un café avant d’aller me renseigner, et, éventuellement, de passer un coup de fil à Susan au cas où elle aurait eu des nouvelles. C’est alors que je tombe nez à nez avec elle qui sort d’un tabac-presse./Elle est arrivée de la droite, toute blonde, en compagnie d’un homme, s’est arrêtée à la porte du hall des ascenseurs. Ils se parlaient. Elle parlait, elle riait. Jean-Marie me parlait, je la regardais. J’ai espéré qu’elle tourne la tête, ou simplement me voie du coin de l’œil. Elle ne l’a pas fait. Je l’ai trouvée très jolie. Puis ils se sont séparés et elle s’est dirigée vers les ascenseurs. Elle avait un pantalon de toile grise, ample, qui lui entrait un peu entre les fesses. Chez une autre, ç’aurait été parfaitement repoussant…/Elle est arrivée à 7 h 00 par un vol spécial qui n’était pas mentionné sur les tableaux. A dit 8 h 00 pour que nous n’ayons pas à nous lever trop tôt. Je salue l’attention tout en sirotant mon bol de café étatsunien et tandis qu’elle me raconte comment le vol de la veille avait été annulé et comment tous les passagers avaient été logés dans un hôtel 4 étoiles en guise de compensation et en attendant un vol le lendemain. Elle a l’air fatiguée, dit qu’elle n’a pas dormi. Nous prenons la route. Nous quittions la périphérie de Bruxelles lorsqu’elle s’est endormie. Nous parvenions à la sortie pour Nazareth entre Gand et Courtrai lorsque je me suis endormi. C’est d’ailleurs la dernière chose qu’ont captée mes yeux avant de se fermer, le panneau Nazareth, et je ne sais encore par quel prodige, tous deux endormis à l’intérieur de l’habitacle, nous nous sommes garés devant la maison./(Il pleut allègrement. La chatte noire n’a pas reparu ; je crois que cette fois-ci c’est fichu, on ne la reverra plus…)/Elle est partie se coucher, je suis monté travailler. Lorsque je suis descendu, Susan était rentrée et déjà à son clavier. J’ai fait un peu de piano. Puis Joséphine est sortie de la cuisine pour nous dire que le repas était prêt. Il n’y avait que deux assiettes sur la table. J’ai appelé Susan qui m’a dit avoir déjà mangé. Ce qui fait que je me suis retrouvé en tête-à-tête avec Joséphine. Parlons de choses et d’autres avant d’avoir une longue conversation au sujet de Paul. Elle me dit qu’il en a assez d’être à la maison, de rester à ne rien faire, à ne savoir que faire, qu’il voudrait travailler sans pour cela trouver l’énergie nécessaire à se mettre à une véritable recherche. Me parle de ses problèmes de dyslexie et de concentration qui sont évidemment un handicap. Me dit en riant qu’en vérité, le mieux serait de le mettre dehors afin qu’il se débrouille par lui-même. Je lui dis à quel point il était inconcevable pour moi qu’à 23 ans on puisse revenir chez sa mère, et qu’il y avait là quelque chose de trop facile. « Oui, dit-elle, mais je crois qu’il y a une différence de génération, et puis, pour nous, ce n’est pas vraiment la maison des parents ; la maison est très grande, il n’y a aucune obligation, aucune restriction, et puis dans le cas de ma mère, je ne crois pas que l’on puisse parler de relation purement parentale ; c’est presque comme une amie… »/(À l’instant, je reçois quatre gros colis de la part d’FRM : mon encyclopédie ! – Rien ne justifie ce point d’exclamation ! Vraiment !)/Je suis bien obligé de convenir qu’il y a là une situation exceptionnelle animée par une femme d’exception, et je pourrais même ajouter deux femmes si je compte Joséphine qui, une fois de plus, s’est révélée, tout au long du repas, particulièrement sagace et pertinente. Il est d’ailleurs assez comique de comparer ce que j’ai pensé et senti à ce moment-là à cette autre pensée, une demi-heure auparavant, où je lui avais adressé la parole dans le couloir, où elle ne m’avait pas regardé, pas répondu, manifestant là ce côté d’excès d’assurance qu’elle a parfois et qui, alors qu’elle atteignait la cuisine, m’avait fait murmurer : « Elle commence à m’agacer, celle-là ! »…/(Il est près de dix-huit heures, j’achève le treizième tour de la spirale. Les uns après les autres, les jours s’alignent et s’éliminent dans le même temps. Je me demande quel sera le dernier jour, le jour du centre de la spirale. Je miserai bien sur le mois de mai. Mais…)/Elle a convenu aussi qu’il était vrai que c’était un peu trop facile de revenir à la maison et de s’y installer, que malgré tout c’était agréable et qu’elle-même, même si elle est d’un caractère et d’une nature radicalement opposés à ceux de Paul, s’y complaisait, avait une tendance à se laisser aller. C’est douillet, confortable. Aisé./Le téléphone a sonné : Thierry Durosier. On avait dit : fin du mois. C’est le 30 pile qu’il appelle. J’étais certain qu’il n’allait pas laisser passer un seul jour. Que lui dire sinon que je n’ai rien fait, qu’il faut encore que je m’équipe en numérique, et que etc. ? Il me dit qu’il lui tarde de commencer et qu’il a pensé à utiliser une des musiques que je lui avais fait écouter, soit Brigitte. D’accord. Me reste à appeler Marc pour la conversion en numérique./Le journal d’un homme en mais ?…/Lorsqu’elle parle d’emploi, elle parle de carrière. « Un premier travail, c’est important pour la carrière. Il faut que Paul choisisse bien cet emploi. » Quel mot étrange dans la bouche d’un fille de 25 ans ! Carrière./(« Mais », c’est « plus » en portugais…)/Mais elle-même n’accumule-t-elle pas les emplois, allant de l’un à l’autre comme s’il s’agissait d’un jeu ?/Je m’étais promis de ne rien faire. Mais qu’est-ce qu’on peut faire quand on ne fait rien ? J’ai lu Sollers, suite d’Éloge, ai fait diverses bricoles dont la tentative de réparation de la porte vitrée métallique qui sépare le bureau de Susan du séjour. Elle frotte de plus en plus sur le carrelage et il est strictement impossible de l’ôter de ses gonds du fait de ses trois mètres de hauteur et de son poids que je n’ose imaginer. J’avais constaté récemment que le bas était en fait constitué d’une plaque vissée. Cette après-midi, je m’y suis mis. Il y a en tout neuf vis qui doivent dater du début du XXe. C’est dire que j’y ai passé plus de deux heures pour n’en retirer que six, les trois dernières étant irrémédiablement figées. J’ai tout laissé tomber pour me réfugier avec Sollers au jardin. Je me demande si ce n’est pas à ce moment-là que se sont manifestées mes cervicales… Sollers a 67 ans !/(Le journal d’un homme en plus…)/Je rattrape tout le retard de la semaine avec quatre heures de sommeil cette nuit pour l’aller et retour Roubaix-Zaventem. Je regarde ma montre, ne parviens pas à croire qu’il n’est que 21 h 00 ! Est-ce parce que je me suis levé à 5 h 30 que cette journée me semble infinie ? Je viens d’allumer le cigare que Joséphine m’a offert tout à l’heure, prélevé d’une boîte qu’elle a rapportée de Cuba. Cohiba : c’est ce que porte la bague. Elle me l’a aussitôt retiré des mains pour me montrer comment on reconnaît un bon cigare d’un mauvais : elle le tient à la verticale et, entre le pouce et l’index de la main droite, le fait rouler tandis qu’elle place dessous la paume de la gauche. « Si des miettes tombent, c’est qu’il n’est pas bon. » « Pourquoi ? » « Parce que ça prouve qu’il a été fait avec des déchets et non avec des feuilles entières roulées. » « Qu’est-ce que tu veux dire par “ bon ” ? Qu’il s’agit d’un faux ? » Elle parlait à table du trafic de cigares, des cigares bon marché que tout le monde vendait dans les rues et qui étaient des copies de véritables marques. « Non, qu’il est de bonne qualité. »/18 h 00. Sur la route du retour, je m’arrête au Fresnoy. Godard directement. Personne. Je m’assois dos contre une colonne. The old place, réflexion sur l’art, le temps et l’homme, réalisé avec Anne-Marie, voix off d’elle et de lui (dont la voix commence à chevroter ; quel âge a-t-il, au fait ?). J’en avais vu une partie la fois précédente. Simple, juste, très bien et qui a fait voltiger une multitude de pensées dans mon esprit./(En effet, il est pas mal…)/Puis un documentaire sur Aimé Pache, peintre vaudois. La liberté et la patrie. Deux voix off alternées, femme et homme qui ne sont pas eux, timbre et diction agaçants… Mais n’est-ce pas Ramuz qui en a parlé quelque part ? Il me suffit de faire pivoter mon fauteuil sur la gauche en direction de la ramuzothèque : oui, il y a bien Aimé Pache, sous-titré « roman », avec l’ex-libris du 10 avril 1998 et un marque-pages vierge à la page 165…/(Laurent doit passer cette après-midi.)/Nathalie m’avait dit que c’était comme la campagne en pleine ville, petite rue perdue en impasse. Nous y sommes : Lille-Sud. Tout d’abord, la zone hospitalière : Calmette, le CHR, l’école d’infirmières, la faculté de médecine ; puis une autre qui l’est un peu moins : barres et groupes de jeunes plastronneurs à casquette à l’envers, BM qui crissent, et gueules et baffles brailleurs ; c’est comme une copie de Roubaix en réduction avec quelque chose, peut-être du fait de cet environnement sale d’immeubles, de plus tendu, ou du moins qui m’a tendu alors qu’à Roubaix je ne le suis plus ou alors moins et d’une autre façon./Roman qui n’a pas fait grand-chose et n’exprime pas le désir d’en faire davantage. Je ne suis pas plus vaillant que lui. Il parle de guitare, va la chercher, me demande des conseils. The house of the rising sun. Je lui promets d’essayer de lui donner quelques cours et de prendre ma guitare la semaine prochaine. Avant que je ne parte, Janusz me montre ses peintures « décoratives » [sic] à partir d’empreintes de plaques d’égout./(Cette nuit, mes deux pages de Paradis…)/Il y a donc ces deux zones qui cohabitent, accolées, avec par-dessus la ligne aérienne du métro. J’avais un plan en tête et ça m’avait semblé suffisant même si je n’y avais jamais mis les pieds ou alors, si j’y étais allé, c’était il y a longtemps, trop longtemps pour que les choses soient encore semblables. Et en effet, elles ne l’étaient plus, et s’est ajouté à cela de multiples travaux. Nous avons tourné, nous nous sommes égarés, puis carrément perdus, passant des champs aux immeubles pour en revenir aux champs et ainsi de suite./Puis tout l’étage, série de toiles étranges de Convert devant lesquelles je suis resté longtemps sans parvenir à me faire une opinion, mais ma station est sans doute déjà un élément de réponse. Puis Rouan, série de graphismes, dessins, peintures qui ne m’inspirent rien de particulier. J’ai ensuite longuement erré dans l’espace de la grande salle avec l’air et l’impression d’y être chez moi. J’y serais bien resté des heures rien qu’à déambuler…/Au retour, je cherche des tablatures sur Internet. Tombe sur celle de Hey Joe. Avec trente ans de retard, je découvre les paroles originales qui me semblent n’avoir pas le moindre rapport avec le souvenir que j’ai de sa version johnnyesque. Hey Joe, c’est l’histoire d’un type qui va chez son « old woman » armé d’un revolver. Où vas-tu comme ça ? Tuer ma bonne femme. Et il la tue. Où cela apparaît-il en français ? Je découvre par la même occasion que Dylan a écrit The house of the rising sun !/(Faire voltiger une multitude de pensées, voilà à quoi sert une œuvre d’art.)/Laurent a réalisé un petit film personnel de quinze minutes sur la « sirène » de Francko. Il y a inséré une chanson de Wyatt et veut lui demander la permission de l’utiliser. D’où une lettre qu’il m’a demandé de traduire en anglais. Il est passé comme un météore, à peine le temps de prendre un coup de Viognier et de me remettre une copie du film et la lettre. À peine assis, le voilà parti ! Je l’ai regardé avec Susan au soir. En grande partie, il s’agit d’un entretien avec Francko que, pour je ne sais quelle raison, j’ai trouvé un peu bizarre, pas naturel, pas lui, suivi d’une belle séquence en mer sur l’approche de la vierge... Je le trouve imparfait, mélange de tons, de genres. Comment le lui dire ?/Et comment une après-midi dominicale censée se passer en barque s’achève sur une piste de danse, ou comment ne partant pas de St Omer, on aboutit à Herzeele. En bref, nous ne sommes pas allés à St Omer, et plus précisément dans l’Audomarois, au programme de ce jour, cette espèce de légende du Pas-de-Calais qu’ils voulaient nous faire découvrir, l’Audomarois et ses eaux, et ses barques qui filent dessus. « Nous irons un jour. » « Nous irons pour fêter la renaissance de la Mercedes. » C’était cet été. Elle a été prête plus tard que prévu et il a fallu sauter cinq semaines avant de parvenir à tomber sur une date convenable. C’était hier. Mais hier, c’est déjà l’hiver, et hier (hier, c’est toujours l’hiver), ça a été la journée la plus froide depuis la fin de l’été. Nous sommes passés les prendre chez eux, rue du Beaurepaire, où la cuve de fioul n’est pas à sec. « J’ai l’impression qu’une promenade en barque n’est pas très indiquée aujourd’hui. » « Pas vraiment ? » « Alors ? » « Alors, allons à la mer ! » « Non, allons boire une bière en Belgique ! » « Oui, allons en Belgique ! » « Où ? » « Gand ? » « Courtrai ? » « Non, je n’aime pas Courtrai. » « Ypres ? » « Poperinge », dis-je. « Oui, Poperinge ! » fait Bernard. « Ou Ostende ? » dit Marie-Claude. « La Panne, alors ! » « Non, Tournai ! » « Oui, Tournai ! » « Non, Bruges ! » « Oui, Bruges ! » « Partons », dit-on./Puis je me suis arrêté à un plan auquel je me suis conformé. Mais de nouveau, et peut-être datait-il de cette époque lointaine où j’y étais peut-être venu, et il était lacéré, couvert de gribouillis, à la limite du lisible, avec, à ce même carrefour, une baraque à frites et des groupes décontractés de faux Étatsuniens en goguette qui m’ont remis en mémoire cette drôle d’équation qui veut qu’un peuple en honnissant un autre s’y conforme aussi facilement, la réciproque n’étant pas vraie car, que je sache, les Texans ne portent pas de djellabas, nous nous sommes retrouvés perdus dans un lot de maisons anciennes formant une rue à peine praticable, vestige d’une époque où il n’avait dû y avoir qu’elles entre ce bout de Lille et la campagne à deux pas. Un homme nous a renseignés. « Vous n’y êtes pas du tout. Prenez à gauche, puis par là, et ensuite là, c’est facile. » Il nous a fallu un autre quart d’heure pour tomber par le plus grand des hasards sur cette rue énigmatique coincée entre Calmette, la ligne aérienne du métro et l’arrière d’une école./La voiture flamboie en face de chez eux. C’est la première fois qu’ils la voient. Ils n’en reviennent pas, et je ne me prive pas de plastronner. « Tu comprends maintenant pourquoi je n’arrive pas à m’en séparer ? » Elle file bientôt à travers Roubaix ébaubi, étincelante sous le soleil, moi tâchant au mieux d’évacuer l’appréhension, la crainte, la peur de la voir de nouveau me lâcher. Mais elle file comme ce n’est pas permis et nous nous retrouvons sur la voie rapide, puis sur la rocade, là où il faut choisir : Gand ou Dunkerque ? Les filles à l’arrière parlent et rient. Bernard hausse les épaules en souriant, ça lui est égal. Alors, je la laisse aller, la laisse prendre d’elle-même la direction de Dunkerque, rocade, autoroute, sous le soleil et notre ravissement complet au sein de ce véhicule qui, quoi que l’on puisse en dire et malgré tout ce qu’il m’a fait subir, est une sublime machine./(« Dote-toi d’un point. » Je me suis demandé s’il l’avait fait exprès. Mais en même temps, je ne le voyais pas laisser au hasard le soin de disposer de ses pensées, d’autant que je venais de lui parler en détails du projet de la Spirale, soit un parcours particulier jusqu’à un point central. « Fais le point », a-t-il ajouté.)/« Ça serait peut-être plus agréable par les petites routes. » « Oui, essayons-la sur les petites routes. » Je quitte alors l’autoroute, sortie Bailleul qu’elle traverse comme un paquebot d’azul. De là, départementale direction Poperinge. Mais au bout de quelques kilomètres, travaux, déviation. La route se resserre ; ça monte, ça descend ; puis ça ne fait plus que monter lorsque nous atteignons le Mont des Cats. « Et maintenant ? » Belles vues sur les Flandres aux détours des virages, tandis que je parle de mon voyage en solitaire à Venise, et tout en ayant à l’esprit, je ne sais pourquoi, mais ça devait y ressembler, la vue sur Cabo da Roca depuis le petit bus portugais qui, à partir de Sintra, nous emmenait au château de Pena, avec son chauffeur alerte et volubile et les multiples secousses de son véhicule, et ses coups de klaxon à chaque virage, et Susan à ma gauche et entre nous deux mon petit matériel où s’enregistraient les accents chuintants qui déjà m’enchantaient, et auparavant, de l’Estação do Rossio de Lisboa (la bonne Lis, la ville d’Ulysse) jusqu’à Sintra par le train : Benfica, Amadora, Barcarena, Rio do Mouro, toute une suite de zones d’immeubles qui ne laissaient rien présager de bon quant à Sintra et parmi lesquels, à une fenêtre ouverte d’un dixième étage, j’avais aperçu en un coup de vent une brune éclatante s’étirer langoureusement dans son maillot blanc./Une impasse en T, deux alignements de maisons qui la bordent. Les maisons sont des maisonnettes de poupées, plain-pied d’une fabrication d’après-guerre qui m’ont fait songer aux cités des pensionnés des Houillères qui avaient été construites à la même époque autour de Lens, et dans l’une desquelles avaient demeuré mes grands-parents maternels. C’était exactement cela et cette sensation de déplacement, de décalage, de trouée dans le temps n’en a été que plus forte. On entre dans la rue des Mésanges comme on entre dans un pays enchanté. Il y a « ange » dans « mésanges  »./C’est cette image qui s’imprime alors que ça redescend, alors qu’il n’y a plus de panneau pour Poperinge, mais un autre, et un autre encore, pour Meteren et Godewaersvelde. « Godewaersvelde ? » Nous y sommes : Godewaersvelde et son estaminet ancestral. Carrefour. Il est à gauche, et je leur dis en plaisantant : « Nous sommes chez les fascistes. » « Ah ? » « C’est le fief de la Flandre profonde. » Et je raconte la dernière fois où nous y sommes venus, parle de l’affiche de Gouwy, des ouvrages, des jeux et des étendards, de la musique flamingante, et de cet air général qui à ce moment-là surnageait, relents d’intégrisme, de nationalisme que peut-être j’inventais. Ou exagérais. Je ne sais./(Mes anges…)/Une fois au lit, j’ai entamé l’Anthologie de l’humour noir. Quelques pages chaque soir. J’ai prélevé aussi du tas de Bruxelles Paradis. Que j’ai survolé. Qu’il ne m’a pas semblé devoir lire. C’est un livre qui doit exister sans qu’on le lise, qu’il n’est pas nécessaire de lire. Que l’on peut simplement ranger sans le lire. Puis, à la réflexion, j’en ai lu la première page avant d’aller le poser au pied de mon lit. J’en lirai deux pages par soir, avant d’éteindre la lumière. Pas un mot de plus./En face, il y a le restaurant du « roi du Pojtevleesch » et sa boutique de produits locaux. « Arrêtons-nous ! On va acheter des produits locaux ! » C’est Susan. Je dis : « Tu veux vraiment t’arrêter ? » Puis à Marie-Claude et Bernard : « Ça vous dérange si on s’arrête là ? » Ça leur est égal. J’ajoute : « Je n’ai pas très envie de faire les boutiques. » « Alors, allez prendre une bière, tandis que l’on fera les courses. » Bernard ne se fait pas prier et c’est ainsi que nous entrons au Blauwershof alors qu’elles disparaissent chez le roi du Pot’jevleesch./(Mon visage qui change. Affaissement de chaque côté de la bouche. En me regardant ce matin, je me suis demandé si en définitive la chirurgie esthétique était si bête que ça.)/« Bonjour, Nathalie !… »/Il est 15 h 00. C’est comble. Aux tables, des familles mangent en se disputant les jeux séculaires. Mais on parvient tout de même à dénicher une petite table dans le coin entre la cheminée et l’une des fenêtres. À la table voisine, une famille au complet joue, curieux jeu que je découvrais : une piste de bois circulaire, quatre tolets en argent disposés sur la circonférence dans lesquels on glisse une poire ; à la base de chaque tolet, une dépression circulaire ; une bille en bois est placée au centre ; à chaque poire s’attache une main qui la presse et, grâce au souffle produit, éloigne la bille en direction des trous adverses. Ils s’amusent à presser les poires, à faire aller la bille dans tous les sens. Un peu sommaire, non ? Bernard teste une Sixtus 12° qu’il ne connaissait pas, je choisis une Zannekin, blonde de Cassel dont j’ignore tout. Pour accompagner, fromage et saucisse. Nous parlons des festivités à venir. « Qu’est-ce que vous faites ? » « Rien. » « Et vous ? » « On ne sait pas. » De là, l’idée d’une collaboration pour achever l’année./Harry Potter sort aujourd’hui à minuit, les Lisières restent ouvertes pour fêter l’événement. « Venez déguisés ! » Susan m’incite à y aller par solidarité, d’autant que j’ai promis à Roman de lui en acheter un exemplaire. « J’irai demain. » « C’est bête, vas-y aujourd’hui. » « Non. » Paul dit qu’il va y aller. Je promets vaguement de l’accompagner. Je n’y suis pas allé. Peut-être aurais-je dû, ne serait-ce que par curiosité. Harry Potter à Roubaix. Qui est venu à minuit ? Combien de personnes ? À la place, j’ai attaqué Écrits mondains de Marcel. Préface de Colheo, le lapin. Pastiches tout d’abord, que je possède, que j’ai lu, qui m’ont indifféré à l’époque, que j’ai sautés aujourd’hui. Suivent Les plaisirs et les jours. Idem. Puis « Fictions diverses écartées ». Deux pages au Paradis et dodo…/J’enchaîne sur la Condition Publique. Je venais de lire dans Télérama un long article vide à son sujet. Il y a travaillé, il connaît. Il me dit que c’est un beau projet, que c’est plein de bonnes intentions, mais la responsable du secteur graphique a été écartée pour d’obscures raisons alors qu’elle faisait du bon travail et il craignait qu’il n’arrive la même chose au responsable qui serait remplacé par quelqu’un de la mairie ou d’ailleurs. « Si tu vois ce que je veux dire. » « Je vois. » Entre-temps, le jeu a été remplacé par un autre, assez semblable, de même en bois, à la structure compliquée et esthétiquement très belle. Le principe est le même, à cette différence près que les poires sont devenues des sortes de petits maillets. Le rudimentaire tend au primaire. Je m’y désintéresse rapidement…/« Et pour Monchieur ? » « Un pastiche, chil vous plaît. » (Guitry a utilisé « monchieur » dans Nono, il me semble, qui donne, si on veut le lire tel qu’il est écrit : « Mon chieur » – et lui, comment le disait-il sur scène ?)/Susan et Marie-Claude reviennent chargées de sachets, bières, poiré, confitures, sirop. Nous prenons des tartines au petit lard et des portions de tarte à la moutarde. Susan m’apprend que Janusz rentre le 30 et qu’Anne désirait faire quelque chose de spécial pour son retour. « On peut faire ça à la maison », dis-je. « Impossible. » « Ah ? » « La maison est réservée aux enfants. » « Ah. » « Ils vont faire une gigantesque fête avec leurs amis du monde entier. » « Pardon ? » « Il y aura 100 personnes. » « Quoi ? » « Nous serons à la rue. » « ? » Une tranche d’après-midi passe encore au gré de la bière, du pâté aux pruneaux, le tout baigné de mon désarroi et de mon incrédulité, des accents mi-celtes mi-flamingants de la chaîne du patron (je ne suis pas bien sûr de pouvoir les distinguer) et d’un gâteau d’anniversaire posé sur la table voisine en l’honneur de mamie Sophie (allons-nous en avoir une tranche ?). C’est à ce moment-là que Susan émet l’idée de nous rendre à Herzeele./C’est le dernier jour : Balnéopéra plie bagages, va gagner il ne sait encore quel coin où il sera remisé. Que va-t-il faire de tout cela, de cet ensemble de sept machines amoureuses, bois, fils, colonnes, magnétophones, bâches ?/J’ai appelé ma mère. Ça ne répondait pas. Il était 19 h 00, où pouvait-elle se trouver ? Elle a appelé deux heures plus tard pour me demander si j’étais devant la télé. Elle n’avait pas entendu le téléphone, était en train de regarder le Téléthon. Elle était bouleversée, en avait des sanglots dans la voix. M’a dit qu’elle allait envoyer un don. Elle y est retournée aussitôt. Plus tard, Annie a appelé. Elle a beaucoup parlé, de choses et d’autres. Il est rare qu’elle parle tant. Elle va bien, me parle de son nouvel emploi en usine, de son cadeau de fin d’année, de la prime et de la dizaine de jours de congés pour les fêtes. Toutes choses qui ne lui font regretter en rien ses années passées dans la vente, même si son travail est pénible. On dirait qu’enfin les choses commencent à bien tourner pour elle./C’est le dernier jour, le finissage, qu’il voulait de même célébrer. Il n’a rien voulu m’en dire. Surprise. Nous sommes arrivés à 13 h 00, je devais partir trois-quarts d’heure plus tard pour aller chercher ma mère à Lesquin. Déjà, on l’entendait sur le trottoir : musique. Ils étaient à gauche de la porte de la salle qui avait retrouvé son revêtement glacé d’avant le gazon qui n’a pas tenu le choc de ces cinq semaines d’exposition : deux saxophonistes, un accordéoniste, un tambouriniste (?). Tous quatre à l’air tzigane ou slave. Valses, tangos, paso-dobles. Deux couples qui dansent. À droite, une table couverte de bouteilles et de nourriture avec, tout autour, une quarantaine de personnes, amis autant que passants et badauds du marché. La musique, joyeuse, résonne fort accompagnée de l’eau des machines sans les « ouiyou » désactivés, mais je suis frappé par le contraste entre les notes et les figures figées et glacées qui les produisent. Francko m’apprend que ce sont quatre sans-papiers roumains qui, pour survivre, font les terrasses du marché trois fois par semaine./(Le journal d’un homme en pluche…)/Je fais le tour des connaissances, pose mon petit matériel sur la table, le micro au milieu des bouteilles, le mets en route. Danse avec Susan, puis avec Caroline, puis avec Francine ; embrasse Wanda, puis Sylvie-Joséphine qui laisse un message dans le micro. Je parle avec Alex du projet de la cuisine. Le temps passe, des gens arrivent encore dont Max, Dany, Didier, Fabienne. Il passe même très vite et tout à coup il est l’heure de partir./Et puis il y a Radziwill. Celui-là est intéressant. Parce qu’inachevé, et pas travaillé ; ce qui fait que c’est de la matière brute, non dégrossie, où c’est Marcel qui s’exprime et non le futur signataire d’un papier à la brosse, Marcel qui, dans sa salle à manger, écrit qu’il gèle et que ses idées s’embrouillent, qui lâche des vérités propres, des petites confessions quant à ses rapports avec ledit Radziwill. Elles auraient certainement sauté avant remise du papier, ou auraient été édulcorées, enjolivées, au bénéfice littéraire de l’un comme de l’autre…/Direction Lesquin avec l’appréhension du retour de maman après son dernier coup de fil désespéré des Baléares. Comment sera-t-elle ? Je suis en avance, prends un café à la terrasse intérieure. Au moment de payer, le garçon me dit qu’il n’a pas de monnaie. Le café est à 1,55, j’ai 1,52 et des billets de 10. Il refuse. Je me rends alors au tabac-presse où la dame n’en a pas non plus. Je reviens vers le garçon à qui je demande de prendre mon euro 52, lui expliquant que je repasserai tout à l’heure. Il opine. Je m’attends à ce qu’il m’accorde ces trois centimes. Non. Il est l’heure, je vais m’installer en face de la sortie des passagers. Arrivée, attroupement autour des tapis que je vois à travers les baies vitrées dont le passage est interdit aux visiteurs. Alors, je m’assois et attends./(Comment se fait-il qu’il fasse si froid dans la salle à manger d’une maison très bourgeoise ?)/Max était à un conseil d’administration, nous sommes passés prendre Dany. Petit rouge en attendant son retour. J’en ai profité pour tirer quelques notes de leur piano qu’en fait je n’avais jamais vraiment testé. J’ai été frappé par sa sécheresse, son absence quasi totale de résonance. J’allais m’installer lorsque Max a appelé qui nous rejoindra chez Sylvie./Le soir commence à tomber, nous retrouvons la belle pour une vingtaine de kilomètres en direction du nord dans les derniers rayons du soleil. Il fait nuit lorsque nous atteignons Herzeele où les façades des maisons rivalisent d’astuce, d’audace et d’ingéniosité en matière de décoration : des pères Noël suspendus, des serpents lumineux, des sapins ébouriffés. Mirifique. Et puis les Orgues. Immuables : le répertoire identique, les figures d’habitués que nous retrouvons, la bonhomie et le bien-être, le véloce serveur sosie de Jacques. C’est comble, nous nous installons dans la petite pièce sur le côté, contre la baie vitrée coulissante. De l’autre côté, se trouve une table avec deux couples de gens âgés. Je reconnais l’un d’eux, couple benoît qui m’avait frappé la fois précédente par sa manière d’être et surtout de danser. J’en ai parlé à Marie-Claude et Bernard : « Attendez qu’ils aillent sur la piste, vous allez voir ! » L’autre couple dansait, puis revenait s’asseoir quelques minutes, puis retournait danser, lui souriant aux anges, elle solennelle, presque grave, alors qu’à la table elle riait. Je les regardais tourner, mécaniques huilées, techniques rôdées depuis des lustres qu’ils évoluaient ensemble. Je les regardais et attendais, à chaque fois qu’ils revenaient s’asseoir, que l’autre couple aille les remplacer. Mais il ne bougeait pas. Et ils n’ont pas bougé. Puis, à un moment donné, lui s’est levé pour aller aux toilettes : il boitait légèrement, avait du mal à se déplacer ; et elle, à son retour, y est allée aussi : elle avait grossi, s’était alourdie, marchait difficilement en se dandinant./Thierry est malade, ainsi que Francine, et puis deux autres personnes qui ne viendront pas. Mais il y a Denis, Patrick, puis les parents de Sylvie, couple souriant et pondéré, puis Marcelle, et Cyril qui a abandonné ses longs cheveux réunis en queue pour deux petites houppettes sur le front. Et bien sûr Sylvie à qui je tends le bouquet de lys. « Happy birthday. » Elle pétille. Peut-être du fait de ses nouvelles fonctions de chef de service, d’où notre cadeau commun, avec Max et Dany, un ravissant petit sac chic en cuir beige. Max arrive avec qui nous finissons l’andouillette froide accompagnée de vin d’Alsace avant de passer à table./Attends l’apparition par la porte d’un fauteuil roulant contenant maman. Mais rien. Le temps passe et je pense qu’il est arrivé quelque chose, qu’elle n’a pu prendre l’avion, qu’elle a eu un malaise, est restée sur place. En définitive, je me décide à passer la porte. Je finis par la découvrir assise en compagnie d’un homme d’une trentaine d’années qui lui parle. Elle n’a pas l’air bien du tout. C’est à peine si elle lève le regard lorsque je m’approche d’elle. Je vais chercher ses bagages, la rejoins. Elle dit au revoir à l’inconnu, me parle aussitôt de ses malaises, de ses vacances gâchées à cause de la canicule. Je la réconforte comme je peux. Au vu de la foule aux portes des ascenseurs, je suggère que nous attendions dans le hall. Elle s’assoit, allume une cigarette, l’air ailleurs. Je lui demande une pièce de monnaie, vingt centimes que je vais déposer dans la main du serveur. Dix-sept centimes de pourboire. Il me remercie, s’excuse, nous gagnons la voiture. Elle parle du barbecue merveilleux qu’elle a manqué./C’était fini, ils ne dansaient plus. Ils venaient toujours là, tous les dimanches, certainement, mais ne dansaient plus. C’était fini. Restaient assis en se contentant d’échanger quelques paroles tout en regardant en silence leurs amis évoluer, en attendant qu’eux-mêmes en arrivent à ne plus trouver la force et l’énergie de s’adapter l’un à l’autre et de tourner, jusqu’à finir par s’asseoir eux aussi, par ne plus rester qu’assis et à regarder les autres tourner. L’année prochaine, ils seront quatre soudés à cette table en se racontant avec leurs seuls sourires quelques décennies passées à évoluer sur le parquet, jusqu’à ce que le premier, la première (mais sans doute le premier) s’en aille. Et alors, ils ne seront plus que trois à cette table jusqu’à ce que le deuxième ou la deuxième (mais le deuxième, certainement) aussi s’en aille…/Une seule, mais immense, constituée de quelques tables réunies, qui emplit la totalité de la pièce. Nous sommes tous autour (et où sinon ?), moi entre Dany et la mère de Sylvie. Et la voilà qui arrive ! qui se pose au centre, en comble la presque totalité : une choucroute monstrueuse, saucisson, saucisse, lard et un lot de jambettes impressionnant, des plats à n’en plus finir ! Clameur générale, c’est l’orgie ! J’en reprends trois fois à l’admiration de tous, me forçant même un peu pour soigner l’image. Même Denis, dit gros mangeur, se déclare vaincu. C’est lorsque j’avale ma dernière bouchée que mon regard accroche le visage de Max./Et puis Bernard et Marie-Claude y sont allés aussi. Tangos. « Je ne t’imaginais pas aimer danser », dis-je, sachant qu’il aime le tango, mais uniquement comme genre, comme musique, et il parle souvent de l’Argentine qui est le pays du tango. « La danse, non, mais le tango, si… » Par deux fois, j’ai aussi répondu à l’invitation de Susan et l’ai accompagnée sur la piste, radieuse comme je ne l’avais pas vue depuis la veille. Et puis, j’ai eu envie de fumer. La pièce était pour les non fumeurs. Il y avait une table libre dans la grande salle. Nous nous y sommes installés, avons repris une commande, je suis allé chercher des frites de l’autre côté de la salle, derrière le troisième orgue, le plus récent, modèle art déco raté, en me faufilant entre les couples dont celui doré./Arrivée pour nous apercevoir qu’il n’y a pas de courant. Congélateur et frigo éteints. Nourriture fichue. Je file à une épicerie arabe à deux pas tandis qu’elle reprend possession de sa maison en sanglotant, en maudissant sa maladie, le sort, et la canicule de ses quinze jours de vacances gâchées. Je lui prépare une bricole, puis le café que nous buvons ensemble. Il est 18 h 00 lorsque je l’ « abandonne ». Elle me serre dans ses bras en pleurant sur tout le bonheur qu’elle n’a pas eu et qu’elle désespère de connaître un jour…/Max, en face de moi, à l’autre bout de la grande table, immobile, statufié, comme extrait du monde, les bras croisés et bien calé sur sa chaise, yeux mi-clos, le cheveu ébouriffé, avec sur le visage, accordée à un imperceptible sourire, une expression renfrognée et ironique tout à la fois. Étrange figure qui m’a tant frappé, qui a immédiatement plaqué en moi une photographie, une image, quelque chose de déjà vu, un portrait ou une représentation ; portrait de la sagesse ; la sagesse teintée de folie, la folie alliée à la sagesse. J’ai pensé à Artaud tout en sachant qu’il ne s’agissait pas de lui, qu’il s’agissait d’autre chose. Il était presque méconnaissable, mais en même temps, c’était lui, parfaitement lui ; mais comme une autre version de lui-même, visage à venir qu’il essayait (comme un habit, comme une veste) ou présent depuis longtemps, mais qu’il ne montre pas et qu’à l’insu de tous et comme s’il avait été seul à ce moment-là, il laissait apparaître tout à coup…/Pour je ne sais quelle raison, mes pas de mon bureau jusqu’à la cuisine m’ont emporté dans le séjour où la télé était allumée. Liesse, exultation. Direct du centre de Lille comble, capitale d’un nouveau genre. J’en ai regardé une miette avec Susan, la foule, les attractions, les interventions des divers responsables, dont Martine en robe blanche d’une styliste façon sac mou et une cape marocaine qu’elle jubilait d’avoir sur le dos. Puis Fusilier, Casadesus. Tout le monde s’épanche et jouit du rassemblement des cultures, des milieux sociaux, des âges et des langues. Autour d’eux, la foule argumente sur les délices de l’asphyxie par compression./Ce couple qui du lundi au samedi devait crapahuter dans une ferme et le dimanche revêtir leurs beaux habits pour se rendre aux Orgues, lui grand brun ébouriffé et moustachu, une chemise de faux satin doré, un pantalon noir avec une bande satinée noire le long de la jambe et les souliers vernis ; elle grosse et disgracieuse, prise dans un chemisier du même faux satin doré et une robe noire. Et qui virevoltaient, rompus à toutes les danses et qui menaient à chaque fois celle de l’Aviateur. Et cet autre, plus jeune, elle blonde platinée flamande, lui moustachu hidalgo à la chemise satinée qui la serrait de très près, leurs jambes accolées allant dans un même ensemble comme si elles avaient été attachées, ou mieux soudées pour n’en être plus qu’une seule, et j’ai pensé à Rops à ce moment-là, au point qu’ils étaient comme une même machine ; et de nouveau cette curieuse manière de se tenir la main, non pas les doigts croisés, ou l’une dans l’autre, mais lui la main largement ouverte et elle lui enserrant le pouce, le pouce qu’il avait gros et long, et qui, écarlate sous la pression des doigts de sa compagne, le serrant au point qu’ils en étaient livides, semblait avoir été un prélèvement du corps de son amant qu’elle brandissait en l’honneur d’une victoire au nom de l’amour. Et c’est vrai qu’ils semblaient s’aimer…/(La culture, c’est moi…)/Et puis Denis et son visage de malice et d’espièglerie. Mais c’est son regard surtout, ou plus exactement ses yeux, la manière dont ils sont enchâssés et dont il les bouge. Qui pourraient le faire passer pour fou. Ce qu’il est, du reste, un peu fou. Et c’est tant mieux. Il est tranquille, silencieux, et puis tout à coup, une lueur  le traverse. Alors, il rit, dit une blague. S’agite,  puis, tout à coup, se lève et va changer de disque, et se met à remuer le corps, esquisse de danse qu’on pourrait imaginer comique avec son corps court et un peu enrobé, mais qui ne l’est en rien. Au contraire. Grâce. Il est musicien, et la musique le traverse, le fait remuer. Elle est comme chez elle, alors c’est beau, et il est beau. Ça dure une trentaine de secondes et il retourne s’asseoir, le visage éclairé, les yeux brillants derrière ses petites lunettes rectangulaires, à côté de Max avec qui, à ce moment-là, il forme un curieux couple, l’un abîmé dans une contemplation intérieure et l’autre agité par une série de petites piles qui l’illuminent./(Je continue à lire mes deux pages de Paradis chaque soir. J’ai calculé qu’il me faudra 150 jours pour en venir à bout. Il serait peut-être bon que je passe à quatre.)/Et cet homme âgé, un peu gras et lourd, qu’à un moment donné nous avons remarqué dans les bras d’une dame ; qui peinait à tenir debout, à se déplacer, qu’elle soutenait comme elle le pouvait, qui soufflait et visiblement souffrait, semblait à chaque seconde être sur le point de s’effondrer. Elle l’entraînait, mais le traînait plutôt, comme s’il s’agissait de sa dernière danse, de l’ultime possibilité qu’il lui restait d’exécuter sur une piste quelques figures lourdes et gauches sans rapport aucun avec quelque danse que ce soit. « Tu crois que c’est elle qui le force ? » ai-je dit. Il était courbé, traînait des pieds, et il y avait tant de malheur accumulé dans son regard et dans ses gestes qu’il ne pouvait en être autrement. Marie-Claude le regardait en souriant. « Je ne pense pas. » Et elle a ajouté : « De toute manière, c’est touchant. » J’ai acquiescé. Oui, c’était touchant, mais en même temps un peu misérable, pitoyable, même si lui-même l’avait demandé. Et puis, nous l’avons oublié. Et les frites et bière de s’avaler, et les orgues d’entonner l’un après l’autre leurs airs de tous les temps, et le couple doré de tourner, et un autre encore à la grâce indéniable, nos regards sur tout cela, et celui de Bernard sur son appareil numérique qui photographiait et filmait, petites séquences vidéo de vingt secondes qu’ensuite il nous montrait sur le petit écran. C’est à ce moment-là qu’il s’est approché./Tout est achevé. Porte close. Je sonne plusieurs fois. En vain. Sur le trottoir d’en face, j’avise Abdel, le petit Arabe handicapé que j’avais croisé l’après-midi même. Qui me dit que c’est terminé, qu’ils sont en train de ranger. Je retourne sonner. Francine finit par ouvrir qui sort avec un panier. Nous partons pour la Renaissance où nous rejoindront quelques minutes plus tard Olivier et Francko. Nous nous installerons sous la tonnelle où nous partagerons un repas froid tout en parlant des machines amoureuses. Quatre-vingt minutes de cette conversation figurent sur le MD 5…/Il avait complètement disparu de nos mémoires. Et puis, tout à coup, il a été là, face à nous, à notre table, et plus précisément face à Susan qu’il regardait. Il était toujours aussi courbé et poussif, mais cette fois il souriait. Pour tout dire, son visage irradiait. « Vous dansez ? » C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée au milieu de la piste dans les bras de cet homme qui, comme par miracle, a retrouvé vitalité, légèreté et un sourire de pure félicité qui ne l’a pas quitté une seule seconde jusqu’à la fin de la danse. Et qu’il a  conservé encore lorsqu’il a invité Marie-Claude, sourire qui s’est transformé en rire lorsqu’il s’est vu sur le petit écran de l’appareil de Bernard, sourire qu’il a encore eu la seconde fois qu’il a invité Susan, et encore lorsqu’il est revenu avec sa compagne pour lui montrer le petit écran, puis pour embrasser Marie-Claude et Susan, puis pour nous serrer la main, à Bernard et à moi, avant de s’en aller de sa démarche laborieuse en nous faisant des signes et nous adressant des sourires jusqu’à sa disparition totale de la salle en direction du silence./« Tu as pris ta guitare ? » « Non, il gèle et je ne peux pas la laisser toute la journée dans le coffre. » C’est vrai que ce n’est pas très bon, mais en même temps qu’ai-je à faire de cette misérable casserole ? Je tente vaille que vaille de lui proposer quelques Sports de Satie, mais ça tourne court, c’est la guitare qui l’intéresse à présent. Mais : « Ou alors, on pourrait faire un 4 mains ! » « Oui, mais lequel ? »/(Deux pages au Paradis et dodo…)/Programme : cuisine, agrafage et pliage, corrections du texte d’André, un DVD. Il y en a quatre sur mon bureau : La porte de l’enfer, Le petit soldat, La nuit du chasseur et Le Mépris. Je choisis Le Mépris, pourtant déjà vu trois fois. « Film traditionnel de Jean-Luc Godard », dit la bande-annonce hilarante que je découvre. Brigitte tour à tour belle et laide, mais extraordinairement juste et forte. C’est la première fois que ça me frappe à ce point-là, cette alternance de lumière pure et de disgrâce qui est presque de la laideur, qui me rappelle La femme et le pantin, ces gros plans où elle est d’une hideur totale, à croire que Duvivier s’y est délibérément employé, éclairage, cadrage nullissimes qui la capturent comme pour l’anéantir (ou qui, au contraire, ôtant le masque, la révèlent ?). Je me demande comment Godard s’y est pris pour convaincre Lang de participer à son film…/Joséphine a un nouvel emploi à Londres : Life Style Manager. Elle m’en avait déjà parlé, emploi qui consiste à satisfaire les désirs de gens fortunées dépourvues de temps : leur trouver des meubles, une maison, un lieu de vacances, etc. Elle commence la semaine prochaine…/Ça ouvre à 16 h 00 et ça se termine aux alentours de 20 h 00. Mais vers 18 h 30, ça commence à se vider. Fin de matinée, les gens rentrent chez eux, le temps de se mettre à table et sans doute de s’installer face à un écran. Tant pis. Nous sommes partis à 19 h 00. Froid de canard au dehors et j’ai repensé à la maison sans chauffage depuis le matin. La voiture nous a ramenés comme une fleur à la maison avec Marie-Claude et Susan à l’arrière (les hommes devant, les femmes derrière !) qui riaient en regardant les vidéos sur le petit écran, tandis que Bernard me parlait de son travail pour la mairie, reproduction de 250 photos pour une exposition sur la presse de la fin du XIXe. La voiture glissait somptueusement sur l’autoroute avec la lune pleine juste au-dessus, accents de féerie qui nous ont tous laissés étourdis sur le pas de leur porte où nous nous sommes séparés…/(Max qui part, on se fait la bise, il me serre tendrement. C’est le mot : tendrement. J’en ai eu des frissons. Ce que du reste je lui ai dit : « Arrête, tu me fais des frissons ! »)/Nous avons reçu un très long message de Francko du Japon. Tout va bien, quoiqu’il se plaigne de la vie chère, notamment en matière de boisson. Il a rejoint Janusz qui l’initie aux merveilles de ce pays qui en moi commence à s’attaquer à Venise./Et puis cette chose dans Écrits mondains : l’histoire de Rossetti et de son amie Elizabeth Siddal qu’il a fait enterrer avec ses poèmes (les siens, à lui, je présume), mais pour les exhumer sept ans plus tard et les faire publier. Hm… Elizabeth aurait servi de modèle à Béatrice dans certaines (ou toutes ?) de ses toiles. Je pense évidemment à cette énigmatique peinture mettant en scène Dante, Béatrice et sa servante, dont le nom de l’auteur est tu et que j’attribue à Rossetti (ou pour le moins à un préraphaélite). Je n’en ai toujours pas trouvé trace… (Mais qui était le modèle de l’extraordinaire et sensuelle servante ? extraordinairement sensuelle…)/Quatre pages de Paradis cette nuit au lit./Retour 21 h 00, mange rapidement. Susan et Paul sont installés devant l’un des trois écrans d’ordinateur de Paul qui diffuse Harry Potter 2 qu’il vient de piquer sur Internet. Ils me proposent une place. Je refuse. Redescends, prends un café dans la cuisine. À mes pieds, les chats, le chien. Je pense au sourire et au regard comme moyens d’expression. De là, à toutes les expressions dont est capable un visage. Pour exprimer. Les expressions du visage sont faites, se sont faites, pour exprimer. Ce dont est dépourvu l’animal. Il n’exprime donc pas. Tout ce que l’on peut leur attribuer en termes d’expressions n’est qu’interprétation. L’animal ne sourit pas parce qu’il n’a rien à exprimer par la bouche. Pour corroborer, je leur fais des grimaces : comme de fait, elles n’ont su que me regarder, sans la moindre réaction. J’ai trouvé un quatre mains fastoche sur Internet. Mozart. (Sur ma gauche, une carte de Francko en provenance de HongKong.)/Puis je rejoins Susan et Paul. En définitive, je regarderai jusqu’au bout. Il était minuit lorsque je suis monté. Je m’étais promis auparavant de regarder l’un de mes DVD en retard. Je ne m’en sentais plus l’énergie. Ai décidé de me mettre au lit et de lire. Mais émail d’abord, puis je repense à ce que m’avait dit Pascal dans la journée, soit les DVD d’occasion sur Internet. J’y jette un œil. Il y a en des milliers. Tombe sur des Rosselini à deux euros, neufs dans leur emballage ! J’en commande illico trois…/Je suis arrivé avec ma guitare et la partition. Mais très vite, je l’ai dirigé vers le 4 mains qui, à ma grande surprise, l’a enthousiasmé. Nous y avons passé plus d’une heure, suite à laquelle j’ai exécuté une marche polonaise avec Julia. En rentrant, ai vaguement commencé la saisie de cette semaine avec Cage, Music for Merce Cunningham pour m’épauler. Susan est montée pour m’embrasser, est partie se coucher. J’ai revu Pierrot le fou en DVD. Anna est magnifique./(À l’instant, un mot de Laurent qui me remercie pour la traduction de la lettre pour Wyatt. Je ne lui ai toujours pas livré mes impressions...)/Susan travaille d’arrache-pied à une nouvelle traduction : les « disruptive strategies ». Ça concerne les nouvelles technologies, je n’ai pas bien compris de quoi il s’agissait. C’est sa première traduction pour le compte de la société qu’elle vient de créer : Lys Translations. /(Je la tins contre moi et tout à coup devint romain…)