Dans notre chambre, au niveau de ma tête, à
droite, lorsque je suis allongé sur le lit, se trouve une petite bibliothèque
qui appartient à Éléonore et ne contient, a priori, que des doubles. À
son pied, un tas de diverses choses, papiers, revues, dépliants. C’est là depuis
mon arrivée, ça s'empoussière, ça que n'a que l'utilité de servir de piédestal à
la lampe japonaise qui m'éclaire le soir lorsque j'y viens lire quelques pages
des quelques livres en cours disposés en un autre tas contre le premier. Il y a
également un Petit Larousse et un recueil de grilles de mots croisés de
Favalleli que, par périodes, je m'acharne à tenter de remplir ; cela fait vingt
ans que ça dure. Ce soir, j'ai noté tout cela en m'allongeant ; et notamment la
poussière qui recouvre à la fois le dictionnaire et la partie du premier tas non
soumise au pied de la lampe. J'ai décidé d'y mettre de l'ordre, de la propreté
et d'en ranger une partie dans la petite bibliothèque. C'est en effectuant ce
rangement que je suis tombé sur Énigmes de Pierre-Claude De Castro…
J'ai connu De Castro lorsqu'il était encore à Lys, il y a une quinzaine
d'années, et je me souvenais de ce livre que j'ai dû survoler à l'époque, mais
n'ai jamais possédé. Cet exemplaire ne m'appartient pas et sachant qu’Éléonore,
selon la loi des bandes, des cercles, des milieux, n'avait pu le connaître, je
me suis étonné que ce livre soit là. « I don't know. Ça devait être à Adémar...
» Énigmes est sorti en 1983, a été tiré à cinq cents exemplaires, imprimé
sur les presses Desmet-Dhondt, et les éditions Appelblauwzeegroen
partagent avec lui le copyright. Appelblauwzeegroen étaient les éditions
de Philippe Robert qui, du reste, signe l'un des textes présents dans cette
plaquette, sous-titré « Cinq documents ». Robert, de Castro,
inspirés par Roussel, se faisaient les porte-parole d'une certaine vision de
l'art par l'attachement à l'exotisme de photos, de gravures d'une autre époque
(début XXe
principalement), à celui de même lié à l'image du voyage, au répertoriage, à la
collection, à la notion de musée (de l'Inventaire ici, qui deviendra Imaginaire
ailleurs), à celle de frontière, à la mer (celle du Nord, principalement, ici
celle d'Oostende). Ils se faisaient illisible du laconisme et du
titillement de l'irraisonné, celui qui naît de la confrontation avec la
représentation d'un autre temps qui semble être celle d'un autre monde (et à
Roussel, on peut ajouter Gette dont le nom revenait tant dans les bouches des
« artistes » frais émoulus de la fameuse école de Croûte). Je l'ai lu et bien
examiné d'un bout à l'autre. Cela a dix-sept ans, et je crois bien ressentir ce
qu'eux-mêmes ont dû ressentir en regardant et en choisissant une nomenclature,
une gravure d'animal ou une photo d'explorateur du début du siècle : le vain
délice d'un irrémédiable obsolète. (Est-ce l'irrémédiable qui est
obsolète ou l'obsolète qui est irrémédiable ?)
8 mai 2000