Gonzague me parlait de Djian. Je lui ai dit ce que je pensais : je ne l'ai jamais lu, ai toujours refusé de le lire : je n'aime pas le personnage, ce qu'il suscite, ce qu'on en dit ; je déteste les films tirés de quelques uns de ses livres ; c'est un ami de Stephen Esher et je n'aime pas Stephan Esher. Réaction primaire, mais qui en vaut bien une autre lorsque l'on est devenu incapable de lire ce que l'on a de plus proche... Il sort alors de son sac un de ses livres, Crocodiles, recueil qu'il m'offre. Je lui promets de le lire. C'est l'occasion. La première ligne m'apprend qu'il aime beaucoup Brautigan, ce qui m'embête beaucoup puisque j'aime beaucoup Brautigan. Ça commence mal. Puis je note cette description succincte de la femme qui partage sa vie depuis quatorze ans : « Ma femme est grande, blonde, bien roulée. » Comme une cigarette, en somme. Depuis quatorze ans, il vit avec une cigarette... À ce stade de la lecture j'en suis au milieu de la première page , je ne sais si je dois sourire ou refermer et oublier ; ou bien me montrer indulgent en me gardant de côté l'éventualité que cette précision anatomique au sujet de sa compagne est délibérée, c'est-à-dire : je l'ai fait exprès, c'est juste pour provoquer. Bref, de la malice... Je lui concède la malice et poursuis. J'en ai lu la moitié, me suis arrêté là. Ce n'est ni déplaisant, ni désagréable ; seulement un peu vain, futile, et factice, c'est-à-dire une sorte de préciosité de l'ordinaire, de la simplicité ; des tranches de vie, des choses de la vie. Pourquoi pas. Mais c'est inconsistant et, paradoxalement, sans vie. En tout cas, peu vivant... Ce n'est manifestement pas travaillé, et voulu tel. Mais ce n'est pas non plus spontané, brut. C'est un peu entre les deux. Une sorte de Carver à la française ; en d'autres termes : une singerie ; avec de temps à autre, un imparfait du subjonctif. Pour faire joli, ou sérieux. Ou français... Je note, en passant, cette phrase illustrative : « [...] quel dommage que tant de fatigue accumulée s'abattît brusquement sur moi au moment où ma bien-aimée démarrait son strip-tease. » Un subjonctif, en l'occurrence peu heureux auquel répondra un peu plus loin un « eusse » complètement déplacé joint à une belle énormité de grammaire...
3 décembre 1996