Bonjour monsieur Burnhoven,

Il y a une dizaine d'années, il aurait impensable que j'écrive une lettre autrement qu'à la main ; aujourd'hui, c'est presque l'inverse, et si je me suis adressé à vous par courrier postal, c'est parce que je n'avais plus votre adresse mail, et c'est cette dernière que j'utilise pour vous répondre, un comble. Du moins, je suis lisible (je comprends parfaitement votre désarroi, j'ai moi-même parfois beaucoup de mal à me relire).

Je vous remercie d'avoir accepté que j'utilise des passages de notre correspondance ; je vous enverrai le lien aussitôt que ça sera fait.

Mon séjour à Venise, puis les livres que j'en ai rapportés, ont fait que ma lecture de Castaneda a été interrompue. Je l'ai reprise et presque achevée. J'en suis au début de la seconde partie, l'analyse structurelle. J'ai lu les cent premières pages de la première avec beaucoup d'intérêt, mais un peu en retrait. J'ai lu à l'époque beaucoup d 'auteurs que je pourrais assimiler à Castaneda ou du moins placer dans la même mouvance et je pense que si j'avais lu Castaneda à ce moment-là, j'aurais été fortement secoué (comme l'avaient été certains de mes amis à qui j'ai récemment parlé de Castaneda et de la manière dont il était entré dans ma vie – tous ont été stupéfaits que je n'en aie jamais entendu parler). Mais avec le temps je m'en suis détaché, j'ai beaucoup lu et j'écris (ça a son importance dans la manière dont je lis qui n'est pas la même que celle du lecteur « ordinaire » – et ma vision de l'écriture de fiction joue aussi, vous en avez eu un aperçu), d'où le retrait, la distance qui se pose aujourd'hui par rapport à ce type de texte. Je suis tout de même intéressé et l'intérêt s'est tout à coup accru lorsqu'apparaît le corbeau, et, surtout, lorsque l'auteur est confronté au faux Don Juan. La question que je me suis alors posée est la suivante : « Mais que va-t-il se passer ensuite, que peuvent contenir les livres suivants ? » Suit l'analyse structurelle. J'en ai lu quelques pages et je me demande quel est son sens. Je la finirai, mais pour l'instant, j'ai l'impression d'une redondance : tout figure dans ce qui précède et ce ton scientifique, académique (très états-unien dans l'écriture – mais aussi dans le fait de tout vouloir expliquer, disséquer, comme si la relation de son expérience ne suffisait pas, comme s'il fallait à tout prix surcharger, surenchérir – je pense, dans un tout autre domaine, aux Bienveillantes de Littell) forme une rupture violente avec la première partie : la froideur et la rigueur scientifique contre l'envolée et le vertige dans un voyage hors du monde raisonnable. Je trouve cela dommage (mais c'est peut-être la volonté de l'auteur  je ne suis pas encore allé voir de plus près). Et je n'ai pas fini...

J'essaye d'imaginer l'effet qu'a pu, ou peut encore avoir, la lecture d'une telle expérience sur de jeunes cerveaux (un ami m'a rapporté que l'un de ses amis avait été à ce point secoué qu'il avait dû brûler la totalité des livres de Castaneda en sa possession, à la manière d'un exorcisme – livres qui, du reste, lui avaient été prêtés, mais c'est une autre histoire).

À maintes reprises, j'ai pensé à un autre texte d'enseignement d'ordre spirituel (mais sans le truchement de « drogues ») : Le zen de l'art chevaleresque du tir à l'arc de Herrigel : un maître japonais et son disciple occidental, et comment, en substance, l'on devient la cible et la flèche sans toucher à l'arc. Je vous le recommande si vous ne le connaissez pas...

(J'ai l'impression qu'il m'aurait fallu trois jours pour rédiger cette lettre à la main. Tant pis.) (Heureusement, j'écris toujours à la main, je veux dire mes écrits, journal et textes...)

Je vais commander le deuxième volume.

À bientôt,

Guy Grudzien

 

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