« Ce noble Vénitien, Dolfin, tel que je viens de le décrire ne pouvait pas faire fortune à Venise. Un gouvernement aristocratique ne peut aspirer à la tranquillité qu’ayant pour base et pour maxime fondamentale l’égalité entre les aristocrates. Or il est impossible de juger de l’égalité soit physique, soit morale autrement que par l’apparence, d’où il résulte que le citoyen qui ne veut pas être persécuté, s’il n’est pas fait comme les autres, ou pire, doit employer toute son étude pour le paraître. S’il a beaucoup de talent, il doit le cacher ; s’il est ambitieux, il doit faire semblant de mépriser les honneurs ; s’il veut obtenir, il ne doit rien demander ; s’il a une jolie figure, il doit la négliger : il doit se tenir mal, se mettre encore plus mal, sa parure ne doit rien avoir de recherché, il doit tourner en ridicule tout ce qui est étranger ; faire mal la révérence, ne pas se piquer d’une grande politesse, ne pas faire grand cas des beaux-arts, cacher son goût s’il l’a fin ; ne pas tenir un cuisinier étranger ; il doit porter une perruque mal peignée, et être un peu malpropre. M. Dolfin Bucintoro n’ayant aucune de ses qualités ne pouvait donc pas faire fortune dans Venise sa patrie. »