Je
voulais voir Sous le soleil de Satan de Pialat. Du fait de la visite de
Casimir et Francette […], je n'en ai vu que la fin ; notamment le
passage où Depardieu soulève le corps mort de l'enfant et le brandit pour le
présenter à Dieu… Cette scène m'a beaucoup troublé. Je me suis demandé ce
qui pouvait inspirer un tel geste. Qu'est-ce qui est suffisamment fort pour
pousser un être à un tel acte ? La foi, bien sûr. Mais qu'est-ce que la
foi en pareil cas ? Et quelle que soit la nature et la teneur de cette
foi, est-ce une force suffisante pour qu'un être, en toute conviction, en
arrive à cet acte ?... Je conçois, je comprends la foi. Je conçois et
comprends Dieu (dont je ne retiens que l'idée, idée, tu le sais, qui me
plaît : c'est l'idée de Dieu et de tout ce qu'elle implique qui me plaît
et que j'approuve), en tant que concept et en tant qu'existence et réalité dans
la conscience et l'existence des gens. De ce fait, je comprends et approuve
tout ce qui lui est lié, c'est-à-dire les textes, les rites, les édifices, etc.
Mais là où je ne comprends plus, où je cale, c'est lorsque j'assiste à cet acte
qui consiste […], en quelque sorte, à concrétiser l'idée, à prolonger
l'idée par le corps... Non, je m'égare. Comment expliquer cela ? Je ne
trouve aucun mot, aucune image pour cerner cet élan incroyable, qui n'est pas
la prière, la génuflexion, la communion, par exemple, entre autres
manifestations de la foi […], mais est bien un acte solitaire, unique,
décidé, un acte qui concerne un être seul qui, confronté à cette situation
extrême – la mort de l'enfant –, est amené à le soulever
et à le brandir à la face de Dieu. Et le brandir concrètement. Et c'est ce
concrètement qui me trouble. Car en quoi est-il utile ? en
quoi est-il nécessaire d'agir, de matérialiser, de donner un mouvement à un
élan intérieur, et, qui plus est, de le faire seul, sans la présence d'autrui
qui à ce moment-là aurait pu devenir public et dès lors l'acte n'aurait plus eu
du tout le même sens...
Bref, qu'y a-t-il donc à ce
moment-là dans la tête de cet homme ? ou comment
peut-on croire en pleine lucidité – car je suis persuadé qu'il y a
lucidité – à l'existence de Dieu, c’est-à-dire ne pas croire
simplement en Dieu, mais croire en son existence entière et totale ? (c'est
du moins ainsi que je ressens et vois la chose... et peut-être faudrait-il
maintenant que je lise le texte ; il est possible que la réponse s’y
trouve)
22 mai 1990, dans une
lettre à B***
(Journal du Pauvre)