« Avant d’être fixé sur mon sort [il vient d’apprendre l’imminence de sa mort], la crainte m’est venue plus d’une fois de ne pas savoir mourir, le moment venu, car il est certain que je suis horriblement impressionnable. Je me rappelle un mot du cher vieux docteur Delbende rapporté, je crois, dans ce journal. Les agonies de moines ou de religieuses ne sont pas toujours les plus résignées, affirme-t-on. Ce scrupule me laisse aujourd’hui en repos. J’entends bien qu’un homme sûr de lui-même, de son courage, puisse désirer faire de son agonie une chose parfaite, accomplie. Faute de mieux, la mienne sera ce qu’elle pourra, rien de plus. Si le propos n’était très audacieux, je dirais que les plus beaux poèmes ne valent pas, pour un être vraiment épris, le balbutiement d’un aveu maladroit. Et à bien y réfléchir, ce rapprochement ne peut offenser personne, car l’agonie humaine est d’abord un acte d’amour. »

 

Je ne puis m’empêcher de penser à ce que me disait Éric l’autre jour au sujet des souffrances qu’il avait endurées les premières semaines qui ont suivi son accident, et à sa conclusion : « Plus jamais ça, et je veux mourir d’un seul coup, sans m’en rendre compte ! » Je ne suis pas d’accord et le lui dis, et il me parle de sa mère qui a agonisé plusieurs semaines, et je pense à la souffrance de mon père avant qu’il ne meure. Il n’empêche que je refuse encore la mort dans l’inconscience…